Publié dans le n° 169 des Dossiers de l'allaitement, avril 2021.
D'après : The "Lactation After Infant Death (AID) framework" : a guide for online health information provision about lactation after stillbirth and infant death. Carroll K et al. J Hum Lact 2020 ; 36(3) : 480-91.
La majorité des mères qui accoucheront d’un bébé mort-né ou dont l’enfant décédera pendant les premières semaines ou les premiers mois devront affronter, outre le deuil de leur enfant, les problèmes liés à la montée de lait ou à la lactation. Cer-taines mères dont le bébé est plus âgé pourront avoir entreposé des stocks de lait maternel exprimé dans leur congélateur. Pourtant, la gestion de la lactation est rarement abordée par les professionnels de santé avec les parents en deuil, ce qui les laissera démunis dans une période où ils sont particulièrement vulnérables. La mère devra gérer les engorgements, la douleur, les écoulements de lait et les éventuelles complications d’un arrêt brutal de l’allaitement. Discuter avec les parents des diverses options possibles pour la gestion de la lactation pourra être difficile sur le plan émotionnel, tant pour le professionnel de santé que pour les parents, d’autant qu’en raison du tabou qui entoure le décès d’un enfant, les professionnels de santé ne sont guère formés sur le soutien aux parents endeuillés. Il serait donc utile d’avoir un protocole écrit sur lequel s’appuyer, qui présentera les diverses options : suppression de la lactation ou expression et don du lait. Recevoir un document auquel ils pourront se référer en cas de besoin sera très utile pour les parents qui pourront avoir du mal à retenir des informations orales en raison du choc émotionnel induit par le décès de leur enfant. Les auteurs présentent dans cet article le développement d’un outil, le protocole After Infant Death (AID), ses divers points et ses limites.
Les auteurs ont consulté divers guides écrits pour aider à la rédaction de protocoles correctement conçus, documentés et argumentés. L’une des premières étapes était de rechercher le soutien de personnes ayant l’expérience du domaine couvert par le protocole. Les auteurs ont donc consulté des IBCLCs, des néonatalogistes, des gestionnaires de lactariums et des conseillers spécialisés dans l’accompagnement des parents endeuillés. Toutes ces personnes résidaient dans trois États différents d’Australie et représentaient des universités, des services de néonatalogie, des lactariums et des organisations à but non lucratif. La variété des personnes incluses limitait le problème des conflits d’intérêt et des divers biais. Les auteurs ont ensuite passé en revue la littérature publiée sur le deuil parental et la lactation dans ce contexte, en faisant une recherche aussi large que possible. Cela leur a permis d’identifier les informations capitales pour soutenir les parents, à partir desquelles ils ont commencé à rédiger leur protocole. Ce dernier a fait l’objet d’une révision continuelle par les diverses personnes incluses dans le processus, pour veiller à l’adapter au mieux aux besoins des parents. Tout ce processus a confirmé que les parents endeuillés avaient vraiment besoin d’un document écrit leur donnant des informations sur la lactation après la perte d’un enfant, reconnaissant les réponses émotionnelles variées qui peuvent survenir dans la gestion de la lactation, permettant aux parents de limiter le risque de problèmes causés par une gestion inadéquate de la lactation, et fournissant des données sur les diverses alternatives possibles afin d’aider les parents à faire un choix informé.
Les conseils sur la lactation seront différents suivant que la mère a fait une fausse couche tardive, a accouché d’un enfant mort-né ou décédé dans les jours suivant la naissance, ou que l’enfant est plus âgé et que l’allaitement est bien lancé. Il est difficile de savoir exactement à partir de quel stade de la grossesse une fausse couche déclenchera une lactation. Il sera donc prudent d’informer les parents sur cette possibilité suite à une fausse couche dès 4 mois de grossesse. Les discussions sur le sujet avec les parents devraient être ouvertes et ne porter aucun jugement, mais il est impératif que le sujet soit abordé. Dans le cas contraire, cela aggravera la détresse de la mère qui ne s’attendait pas à devoir gérer une montée de lait. Les informations données devraient aborder les modifications des seins liées à la lactation, les risques d’engorgement, de fuites de lait et de mastites, et l’inconfort ou la douleur qui pourront les accompagner, afin que la mère y soit préparée et puisse les gérer. Il est particulièrement important de prévenir une mastite en raison des risques de complications. On décrira les stratégies de la gestion de la douleur, pharmacologiques et non pharmacologiques. Il n’existe actuellement pas de consensus sur la gestion de la suppression de la lactation, et sur les diverses stratégies pharmacologiques et non pharmacologiques de suppression de la lactation, ainsi que les bénéfices et les risques de ces stratégies. Il ne doit toutefois pas être supposé a priori que les parents souhaiteront supprimer la lactation le plus rapidement possible. Il faudra donc aborder la gestion du lait éventuellement exprimé si la mère préfère une stratégie non pharmacologique pour arrêter la montée de lait, ou abaisser progressivement sa production lactée.
Il existe actuellement très peu de données concernant le choix maternel de tirer son lait pendant une période plus ou moins longue après le décès de son bébé. Les mères devront donc recevoir des informations sur l’expression de leur lait et sa gestion par la suite. Pour certaines mères, donner leur lait à un lactarium les aidera à faire le deuil de leur enfant. Or, certains lactariums excluront ces mères, et ils devraient donc être informés sur la nécessité d’avoir des protocoles concernant spécifiquement le don de lait par des mères ayant perdu leur enfant. S’il existe très peu de données sur la collecte de ce lait par les lactariums, il en existe encore moins sur le partage informel de lait, alors que cela pourrait intéresser les familles en deuil, en particulier si elles ont dans leur entourage une mère qui aurait besoin de lait humain pour son enfant (ou s’il n’y a pas de lactarium dans leur région). Les parents devraient donc être informés des diverses options pour le don de lait humain, et sur les pratiques optimales à respecter en cas de partage informel. Les parents devraient également être encouragés à ne pas s’appuyer uniquement sur des ressources disponibles sur Internet. Le décès d’un enfant est une épreuve difficile à surmonter et un soutien spécifique sera généralement nécessaire (spécialiste en lactation, groupe de soutien aux parents endeuillés…).
La principale limitation d’un protocole d’information aux parents ayant perdu leur enfant est le manque de données scientifiques fiables sur le sujet et le peu de retour de la part des familles concernées. Très peu d’études ont été menées sur le sujet. Le protocole décrit dans cette étude se fonde sur des données publiées en anglais et essentiellement menées dans des pays occidentaux, et il pourra ne pas être adapté à d’autres pays et cultures. Les parents dont l’enfant est décédé doivent gérer la détresse liée au deuil, et ils doivent actuellement bien souvent affronter également la détresse liée à une lactation à laquelle la mère ne s’était pas forcément préparée (en cas de fausse couche ou d’enfant mort-né), ou à un allaitement brutalement interrompu (décès de l’enfant plus âgé), et tous les problèmes physiologiques et émotionnels que cela implique. Afin d’améliorer le soutien aux parents ayant perdu un bébé, d’autres études sur la lactation dans ce cadre sont indispensables.
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