Coin du prescripeur publié dans le n° 169 des Dossiers de l'allaitement, avril 2021.
D'après : Drug treatment of Raynaud’s phenomenon of the nipple. Anderson PO. Breastfeed Med 2020 ; 15(11) : 686-8.
La maladie de Raynaud touche 3-5 % de la population, sa prévalence étant environ 4 fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Elle se caractérise par un vasospasme des vaisseaux sanguins au niveau des extrémités, et ce vasospasme peut toucher les mamelons. Il peut être très douloureux et amener la mère à sevrer. Typiquement, il se caractérise par une évolution triphasique de la couleur du mamelon : blanc en raison du vasospasme, puis bleu ou pourpre suite à la désoxygénation locale du sang, puis rouge lorsque le sang afflue de nouveau en réaction. Il est souvent diagnostiqué à tort comme une candidose et traité par antifongique. Des cas de survenue de vasospasme des mamelons suite au traitement par labétalol d’une pré-éclampsie ont été rapportés. Les tétées, et l’exposition des mamelons au froid peuvent déclencher les symptômes.
Les stratégies non pharmacologiques incluent l’optimisation des pratiques d’allaitement, le réchauffage des mamelons immédiatement après la tétée, éviter le froid, la gestion du stress, et limiter la consommation de caféine, des bêtabloquants et des vasoconstricteurs. Si le tabac est incriminé par certains, il ne semble pas être un facteur majeur de vasospasme des mamelons. Des traitements pharmacologiques ont été recommandés lorsque ces mesures étaient insuffisantes, mais aucun des produits préconisés n’a fait l’objet d’une évaluation rigoureuse dans le cadre du vasospasme des mamelons.
Inhibiteurs calciques
Ils sont les produits les plus souvent recommandés. Ils incluent l’amlodipine (Amlor), la félodipine (Flodil), l’isradipine (Icaz), la nicardipine (Loxen), la nifédipine (génériques), la nimodipine (Nimotop) et la nisoldipine. Ces produits agissent surtout au niveau des vaisseaux périphériques, alors que le diltiazem (Bi Tildiem, Mono Tildiem, Tildiem) ou le vérapamil (Isoptine) sont nettement moins actifs à ce niveau, raison pour laquelle ces 2 produits ne sont pas conseillés en cas de vasospasme. Une méta-analyse sur ces inhibiteurs calciques pour le traitement de la maladie de Raynaud a constaté qu’ils abaissaient la fréquence et la sévérité des épisodes.
La nifédipine est actuellement considérée comme le traitement de première intention, et la majorité des études publiées sur le vasospasme des mamelons incluaient des femmes traitées par nifédipine lorsqu’un traitement était prescrit. L’amlodipine a une plus longue durée d’action, ce qui constitue un avantage par rapport à la nifédipine, et elle a été utilisée pour le traitement du vasospasme des mamelons, mais il existe nettement moins de données. Dans la plupart des études, la nifédipine est prescrite à la dose de 20 mg trois fois par jour, mais des études ont rapporté des posologies de 10-15 mg trois fois par jour ou jusqu’à 30-60 mg par jour sous forme à libération prolongée. Les effets secondaires possibles sont des céphalées, des vertiges, une hypotension et une tachycardie. Il est possible d’en limiter la survenue en débutant par la prise de 10 mg 2 à 3 fois par jour et en augmentant très progressivement jusqu’à au maximum 60 mg/jour. L’amlodipine a été utilisée à une posologie de départ de 5 mg/jour, avec augmentation progressive si nécessaire jusqu’à 20 mg/jour. Ces deux molécules sont faiblement excrétées dans le lait maternel et leur taux sérique infantile est inférieur à la limite de détection. Aucun effet secondaire n’a jamais été rapporté chez l’enfant allaité.
Inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (PDE5)
Ils incluent le sildénafil (Balcoga, Granpidam, Mysildecard, Revatio), le tadalafil (Adcirca, Talmanco) et le vardénafil (Levitra). Ces vasodilatateurs seront envisagés lorsque les inhibiteurs calciques n’ont pas été efficaces. Une méta-analyse sur leur utilisation pour le traitement du syndrome de Raynaud a constaté qu’ils étaient modérément efficaces sur la fréquence, la sévérité et la durée des crises. Il n’existe pas de données sur leur utilisation pour le traitement du vasospasme des mamelons. Ils sont prescrits à la posologie de 20 mg 3 fois par jour pour le sildénafil, 5-20 mg 1 fois par jour pour le tadalafil et 10 mg 2 fois par jour pour le vardénafil. Les effets secondaires rapportés sont des poussées de rougissement, des céphalées, des vertiges, et parfois une hypotension, une arythmie, des troubles visuels ou un AVC. Le sildénafil est le seul produit dont l’excrétion lactée a été étudiée, chez deux femmes traitées pour hypertension pulmonaire. L’excrétion lactée était très faible chez la première femme, et aucun effet secondaire n’a été rapporté chez l’enfant de la seconde femme.
Autres produits
D’autres produits sont utilisés dans le traitement de la maladie de Raynaud, mais ils n’ont jamais été utilisés pour traiter un vasospasme des mamelons. Le losartan (Cozaar) est un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine. À la posologie de 50 mg/jour, il abaissait la fréquence et la sévérité des épisodes de syndrome de Raynaud plus efficacement que la nifédipine à la posologie de 40 mg/jour. Il n’existe pas de données sur son excrétion lactée, mais le candésartan (Atacand, Kenzen), une autre molécule de cette classe, a été étudié ; il passe faiblement dans le lait et il n’était guère détectable dans le sang du bébé allaité. La fluoxétine (Prozac), un antidépresseur de la famille des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. À la dose de 20 mg/jour, elle abaissait la sévérité et la fréquence des épisodes de syndrome de Raynaud plus efficacement que la nifédipine à la posologie de 40 mg/jour. Elle passe bien dans le lait et le taux sérique infantile peut être significatif ; des effets secondaires ont été rapportés chez des bébés allaités par une mère sous fluoxétine.
Nitroglycérine
La nitroglycérine est un vasodilatateur à action rapide. En application locale, il peut traiter une vasoconstriction sous-cutanée. Deux études ont évalué son impact au niveau des mains et des doigts lors des épisodes de syndrome de Raynaud, et ont constaté son efficacité. Aux États-Unis, elle est disponible sous forme de pommade à 2 % (les études avaient utilisé un produit qui en contenait 1 à 2 %). Les céphalées étaient l’effet secondaire le plus souvent rapporté, ainsi qu’une hypotension posturale chez les personnes prenant également d’autres vasodilatateurs. Il existe peu de données sur son utilisation pour le traitement du vasospasme des mamelons. Une femme chez qui la nifédipine n’avait pas été efficace a utilisé une crème à 0,2 % de nitroglycérine et on lui a dit d’arrêter d’allaiter. Le vasospasme a disparu, mais on ignore si c’était la conséquence du traitement. L’utilisation d’une pommade à la nitroglycérine chez des mères allaitantes pour le traitement de fissures anales n’a induit aucun effet secondaire chez leurs enfants. Toutefois, une application sur les mamelons pourrait induire une absorption par le bébé allaité. De plus, l’excipient utilisé dans la pommade commercialisée aux États-Unis contient de la vaseline, un dérivé du pétrole fortement susceptible d’avoir des effets secondaires chez le bébé allaité, et on ignore dans quelle mesure l’essuyage des mamelons avant la mise au sein réduira ce risque. À noter qu’une pommade à la nitroglycérine ne doit jamais être utilisée chez les personnes traitées par un inhibiteur de la PDE5 en raison des interactions entre ces deux types de produits.
Suppléments alimentaires
Divers suppléments alimentaires peuvent être utiles pour traiter le vasospasme des mamelons : huile de poisson, huile d’onagre, vitamine B6, L-arginine. Aucun de ces produits n’a toutefois fait l’objet d’études de bonne qualité. Une femme souffrant de vasospasme a pris 150 à 200 mg/jour de vitamine B6 pendant 4 jours, puis 25 mg/jour, et elle ne rapportait aucune amélioration. L’huile d’onagre et les huiles de poissons contiennent des acides gras en oméga-3 et oméga-6, qui sont des précurseurs des prostaglandines et de la prostacycline. La prostaglandine E et la prostacycline ont été utilisées en IV pour traiter le syndrome de Raynaud avec des résultats globalement peu concluants. La prise de ces huiles pendant des jours ou des semaines sera nécessaire avant d’obtenir un impact, et elles doivent plutôt être utilisées à titre prophylactique chez une femme ayant des antécédents de syndrome de Raynaud plutôt que pour le traitement des épisodes. Ces huiles sont parfaitement compatibles avec l’allaitement. La L-arginine est un précurseur de l’oxyde nitrique, un vasodilatateur naturel. Une étude a fait état d’une amélioration suite à son utilisation en cas de syndrome de Raynaud, mais elle n’a pas été utilisée en cas de vasospasme. On peut en prendre par voie orale (1-2 g/jour) ou en pommade. C’est un acide aminé normalement présent dans le lait maternel, et aucun effet secondaire n’est attendu chez l’enfant allaité.
Références
• Anderson J et al. Raynaud’s phenomenon of the nipple : A treatable cause of painful breastfeeding. Pediatrics 2004 ; 113 : e360-4.
• Lawlor-Smith L, Lawlor-Smith C. Vasospasm of the nipple – A manifestation of Raynaud’s phenomenon : Case reports. BMJ 1997 ; 314 : 644-5.
• Avila-Vega J et al. Raynaud’s phenomenon of the nipple as a side-effect of labetalol : Case report and literature review. Case Rep Womens Health 2019 ; 23 : e00135.
• Waldman R et al. Reply : Additional clinical pearls for the management of Raynaud phenomenon of the nipple. J Am Acad Dermatol 2019 ; 81 : e113.
• Stringer T, Femia A. Raynaud’s phenomenon : Current concepts. Clin Dermatol 2018 ; 36 : 498-507.
• Thompson A, Pope J. Calcium channel blockers for primary Raynaud’s phenomenon : A meta-analysis. Rheumatology 2005 ; 44 : 145-50.
• Roustit M et al. Phosphodiesterase-5 inhibitors for the treatment of secondary Raynaud’s phenomenon : Systematic review and meta-analysis of randomised trials. Ann Rheum Dis 2013 ; 72 : 1696-9.
• Qiu O et al. Use of nitroglycerin ointment to treat primary and secondary Raynaud’s phe-nomenon : A systematic literature review. Rheumatol Int 2018 ; 38 : 2209-16.
• Curtiss P et al. A systematic review and meta-analysis of the effects of topical nitrates in the treatment of primary and secondary Raynaud’s phenomenon. J Am Acad Dermatol 2018 ; 78 : 1110-18.e3.
• O’Sullivan S, Keith M. Raynaud phenomenon of the nipple : A rare finding in rheumatology clinic. J Clin Rheumatol 2011 ; 17 : 371-2.
• Noti A et al. Exposure of babies to C(15)-C(45) mineral paraffins from human milk and breast salves. Regul Toxicol Pharmacol 2003 ; 38 : 317-25.
• Morino C, Winn S. Raynaud’s phenomenon of the nipples : An elusive diagnosis. J Hum Lact 2007 ; 23 : 191-3.
• Belch J et al. Evening primrose oil (Efamol) in the treatment of Raynaud’s phenomenon : A double blind study. Thromb Haemost 1985 ; 54 : 490-4.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci