Publié dans le n° 170 des Dossiers de l'allaitement, mai 2021.
D'après : Women living with HIV in high-income settings and breastfeeding. Moseholm E, Weis N. J Intern Med 2020 ; 287 : 19-21.
La transmission verticale du VIH peut survenir pendant la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement. Les diverses stratégies de prévention mises en œuvre ont fortement abaissé le risque de transmission : dépistage prénatal en routine, traitement maternel par antirétroviraux pendant la grossesse et l’allaitement, modalités de l’accouchement, prophylaxie antirétrovirale chez le nouveau-né. Dans les pays développés, on recommande fortement aux mères séropositives pour le VIH de ne pas allaiter en raison de deux convictions : l’allaitement est un facteur de transmission verticale même avec les traitements antirétroviraux, et les préparations pour nourrissons ne présentent aucun risque pour les enfants vivant dans les pays développés. Toutefois, des études ont constaté que, même dans ces pays, le non-allaitement augmentait la morbidité et la mortalité infantiles. Et d’autres ont constaté que, dans les pays en voie de développement, l’allaitement exclusif combiné à la prise d’antirétroviraux était corrélé à un risque très faible de transmission du VIH à l’enfant. De plus en plus de femmes vivant dans les pays développés connaissent ces faits et savent que l’allaitement est recommandé dans les pays en voie de développement. De plus, la majorité des mères séropositives pour le VIH vivant dans les pays développés sont des immigrées originaires de pays où l’allaitement est la norme culturelle, et où il est de plus recommandé par les services de santé publique. De plus en plus d’experts estiment donc qu’il est nécessaire de réviser la recommandation de ne pas allaiter faite aux mères des pays développés et de la remplacer par une discussion ouverte des bénéfices et des risques des diverses alternatives. Les auteurs font le point sur le sujet.
Les thérapies antirétrovirales actuelles combinent la prise de plusieurs produits appartenant à des classes différentes afin d’optimiser l’efficacité et d’obtenir une charge virale indétectable. Cela permet également d’abaisser très fortement le risque de transmission, y compris celui de transmission verticale. Dans les pays développés, le traitement recommandé chez les femmes enceintes combine un inhibiteur de la transcriptase inverse et un inhibiteur des protéases ou un inhibiteur de l’intégrase. À noter que dans ces pays, la majorité des femmes enceintes séropositives pour le VIH sont traitées en raison d’un dépistage anténatal du VIH, et un certain nombre d’entre elles étaient déjà traitées au moment de la conception.
Les recommandations de l’OMS sur l’allaitement dans le cadre du VIH ont été réactualisées en 2016. Elles préconisent l’allaitement pendant au moins 12 mois et jusqu’à 24 mois et plus, la mère étant traitée par antirétroviraux. Ces recommandations sont particulièrement adaptées aux pays en voie de développement dans lesquels la prévalence du VIH est élevée et la morbidité et la mortalité infantiles pour diverses infections sont également élevées. Comme la prévalence du VIH et la mortalité infectieuse infantile sont basses dans les pays développés, les mères séropositives pour le VIH de ces pays s’entendent déconseiller vivement d’allaiter. Toutefois, comme dit plus haut, ce point est de plus en plus remis en question. L’allaitement présente de nombreux bénéfices à court et à long terme pour la santé infantile, mais également maternelle. Les mères immigrées originaires d’un pays où l’allaitement est la norme et où il est encouragé pourront ne pas comprendre pourquoi elles ne doivent pas allaiter dans leur nouveau pays de résidence. Elles peuvent également craindre d’être stigmatisées, le non-allaitement étant souvent perçu dans leur communauté comme le signe qu’elles ont le SIDA. De plus en plus de femmes s’informent sur Internet. Une enquête anglaise a constaté que, depuis 2012, 40 bébés nés d’une mère séropositive pour le VIH ont été allaités sans être contaminés. Une étude américaine récente constatait que 75 % des professionnels de santé qui ont répondu avaient été interrogés par une mère séropositive pour le VIH sur la possibilité d’allaiter, et 29 % avaient suivi une femme qui avait décidé d’allaiter contre l’avis médical. En effet, ces mères sont de plus en plus nombreuses à décider d’allaiter. Et ces mères, qui peuvent se retrouver à allaiter en cachette, pourront décider de le faire selon des modalités susceptibles d’augmenter les risques pour leur enfant. Prendre en compte les souhaits de la mère pourrait donc être plus efficace.
En l’absence de stratégie de prévention, le risque de transmission verticale du VIH de la conception à la fin de l’allaitement varie de 25 à 40 %. Le risque lié uniquement à l’allaitement est de 10 à 15 %. Mais lorsque la mère est entre autres sous antirétroviraux, le risque de transmission verti-cale devient < 1 %. Aucune étude n’a évalué le risque de transmission via l’allaitement dans les pays développés. Des études menées dans des pays en voie de développement ont fait état d’un risque presque nul de transmission lorsque la mère était traitée par antirétroviraux et que sa charge virale sérique était indétectable ; ce risque n’est toutefois pas totalement nul. La charge virale lactée semble un facteur majeur dans le risque de transmission via l’allaitement, ainsi que le stade de la maladie chez la mère. Tant les virus intracellulaires que les virus extracellulaires peuvent être à l’origine d’une contamination du bébé allaité. Les études sur le sujet suggèrent que les antirétroviraux suppriment les virus extracellulaires mais pas les virus intracellulaires, et qu’il existe donc toujours un pool infectieux de CD4+ dans le lait maternel. Mais on ignore quel en est l’impact à long terme et si certains antirétroviraux ont un impact sur ce réservoir cellulaire. Des études ont également constaté que le risque augmentait avec la durée de l’allaitement, et qu’il était plus élevé lorsque l’enfant n’était plus exclusivement allaité. Les autres facteurs en cause dans la transmission verticale post-natale ont essentiellement été étudiés dans les pays en voie de développement chez des mères qui ne sont pas sous antirétroviraux, et ils sont essentiellement en rapport avec les caractéristiques du virus, de la mère et de l’enfant. L’existence d’une mastite sub-clinique ou d’un muguet chez l’enfant augmente le risque de transmission. Le manque de respect du traitement antirétroviral en post-partum est loin d’être rare, en raison de la fatigue et du stress maternel pendant cette période. Une étude menée en Suisse a constaté que, parmi les 695 grossesses suivies pendant lesquelles les 2/3 des mères étaient sous antirétroviraux avant la conception, 34 % des femmes avaient reporté des consultations médicales et 12 % avaient été perdues de vue. Une étude française sur 169 femmes constatait que 14 % d’entre elles étaient venues irrégulièrement aux consultations et que 11 % n’avaient pas consulté pendant les 2 ans qui avaient suivi leur accouchement. L’absence de suivi régulier favorise le risque de réaugmentation de la charge virale et donc de contamination de l’enfant.
Dans la majorité des pays développés, le nouveau-né est placé sous prophylaxie antirétrovirale à partir de la naissance et jusqu’à 4-6 semaines si la charge virale maternelle est indétectable, plus longtemps si elle est détectable. Certains spécialistes ont préconisé de poursuivre la prophylaxie chez l’enfant pendant toute la durée de l’allaitement, ce qui est susceptible d’abaisser le risque de transmission, en particulier en cas d’augmentation de la charge virale lactée maternelle, ou si la mère a une charge virale sérique détectable avant la naissance. Toutefois, le traitement maternel semble permettre une prophylaxie suffisante chez l’enfant allaité. Actuellement, une prophylaxie infantile au long cours est déconseillée en raison de ses effets secondaires, mais elle peut être envisagée au cas par cas en fonction de la situation.
Les enfants allaités par une mère sous antirétroviraux sont exposés au traitement maternel, mais à des doses beaucoup plus basses que les doses pédiatriques. Les effets secondaires sérieux liés au traitement maternel semblent rares chez les bébés allaités. Toutefois, il existe très peu de données sur les risques liés à la prise maternelle d’inhibiteurs de l’intégrase. Une étude hollandaise a suivi chez une femme l’excrétion lactée du dolutegravir et a constaté un taux plasmatique infantile significatif. D’autres études sur ce produit pendant la grossesse et l’allaitement sont en cours dans plusieurs pays. Globalement, les données sur l’excrétion lactée des antirétroviraux restent insuffisantes. De plus, ces études ont évalué leur impact à court terme, et des études sur l’impact à long terme seraient nécessaires. Une autre question est celle de l’induction de résistances suite à l’exposition infantile aux antirétroviraux via le lait maternel ou via la prise directe dans le cadre de la prophylaxie post-natale. L’apparition d’une résistance est particulièrement fréquente après exposition aux inhibiteurs non nucléosidiques (INNTI), suivis par les inhibiteurs de la transcriptase inverse (INTI). Une étude menée en Afrique sub-saharienne a constaté un taux de résistance à la névirapine chez 75 % des enfants qui en avaient reçu contre 6 % dans le groupe placebo. Les résultats d’autres études suggèrent que l’exposition via le lait maternel peut induire une résistance, ce qui augmente le risque d’échec du traitement. Toutefois, toutes les études sur le sujet ont été menées dans des pays en voie de développement.
Concernant les mères séropositives pour le VIH vivant dans les pays développés, un certain nombre de facteurs sont à en prendre en compte par les professionnels de santé qui suivent ces mères, incluant le contexte familial et social dans lequel vit la mère et les raisons pour lesquelles elle souhaite allaiter. De plus en plus d’experts soulignent l’importance d’une approche individualisée visant à minimiser les risques et les problèmes, ce qui nécessite de prendre en compte le point de vue et les souhaits de la mère. Si cette dernière se sent écoutée et prise en compte, cela limitera la prévalence des pratiques à risque et augmentera la motivation maternelle à respecter les consignes améliorant le niveau de sécurité. La mère et le professionnel de santé discuteront ensemble des diverses alternatives, de leurs risques et de leurs bénéfices. À noter toutefois qu’une telle discussion pourra ne pas être adaptée à certaines mères, et qu’il est particulièrement important de tenir compte du contexte.
Il existe des recommandations pour le suivi des femmes séropositives pour le VIH qui décident d’allaiter, mais il n’existe pas de réel consensus à leur sujet. Globalement, on recommande un suivi régulier, clinique et biologique, de la mère et de l’enfant. La British HIV Association recommande des tests mensuels chez la mère et l’enfant, et les recommandations américaines sont de rechercher la charge virale maternelle deux fois par mois et de tester l’enfant à l’occasion de toutes les consultations pédiatriques prévues en routine. Un suivi étroit peut favoriser une bonne relation mère-médecin et améliorer le respect du traitement, mais il peut également être source de stress ou de l’impression maternelle d’être espionnée. Il n’existe pas de données sur l’intérêt de rechercher la charge virale uniquement dans le plasma ou également dans le lait maternel. Théoriquement, la femme devrait être revue dans les quelques jours qui suivent le test si la charge virale a augmenté, mais il n’existe guère de données sur la meilleure conduite à tenir en pareil cas chez la mère allaitante. De même, il n’existe guère de données sur les recommandations à appliquer en cas de survenue d’une mastite. Il n’existe pas de données sur l’impact d’une mastite lorsque la mère a une charge virale lactée/plasmatique indétectable. Il est important de savoir qu’un sevrage brutal présente des risques et qu’il ne sera pas toujours facilement accepté par l’enfant allaité. Les mères devraient également être informées sur les risques liés à l’allaitement partiel, en particulier si elles ont une charge virale mesurable.
Il existe de nombreuses inconnues en matière d’allaitement par les mères séropositives pour le VIH vivant dans les pays développés, où les femmes sont presque toujours systématiquement traitées, les soins étant remboursés, et où il est le plus souvent facile de nourrir un enfant avec une préparation pour nourrissons. Des données ont montré que le risque de transmission verticale du VIH était très bas lorsque la mère était traitée par antirétroviraux et que sa charge virale était indétectable, mais très bas ne signifie pas nul. Le fait qu’une mère séropositive pour le VIH pourra décider d’allaiter contre l’avis des médecins pour des raisons personnelles, sociales et/ou culturelles, si nécessaire en cachette, est de plus en plus reconnu, et il est donc préférable de prendre en compte les souhaits de la mère afin d’optimiser le niveau de sécurité. Toutefois, il existe peu de données sur lesquelles fonder des recommandations fiables et scientifiquement justifiées pour le soutien et le suivi de ces mères. Nous avons également besoin d’études sur les raisons qui amènent une mère à respecter scrupuleusement son planning de traitement et de suivi médical, ou à ne pas le faire, afin de mettre en œuvre des stratégies plus acceptables pour les mères. Il est important de comprendre que les mères immigrées, nées dans un pays où l’allaitement est la norme et de plus recommandé chez toutes les mères, pourront avoir besoin d’un soutien différent de celui des femmes nées dans un pays développé. Même si on ne peut pas encore recommander l’allaitement aux mères séropositives pour le VIH vivant dans les pays développés, il est indispensable de reconnaître que certaines d’entre elles voudront allaiter, et que le rôle des professionnels de santé est de les informer et de les suivre de façon à permettre à ces mères de faire des choix informés, ce qui optimisera le niveau de sécurité.
NDLR : exprimer son lait et le pasteuriser à son domicile est également une possibilité, si la mère souhaite être sûre de ne faire courir aucun risque de contamination à son bébé.
Merci pour la mis à jour c'est très intéressant.
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