Publié dans le n° 173 des Dossiers de l'allaitement, août 2021.
D'après : CFRT modulators : impact on fertility, pregnancy and lactation in women with cystic fibrosis. Taylor-Cousar JL. J Clin Med 2020 ; 9 : 2706.
La mucoviscidose est causée par une mutation du gène codant pour une protéine (Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator – CFTR) qui sert de canal de transport des ions chlorure, avec pour conséquence des anomalies de ce transport dont les conséquences seront les plus importantes au niveau respiratoire, gastro-intestinal et reproducteur. L’espérance de vie des personnes souffrant de mucoviscidose a beaucoup augmenté, ainsi que leur qualité de vie, suite à l’amélioration des soins et à la mise au point de nouveaux traitements. Actuellement, la majorité des femmes souffrant de mucoviscidose arrivent à l’âge adulte et choisissent d’avoir des enfants. Des études ont constaté que ces femmes présentaient plus souvent des complications pendant leur grossesse que les femmes en bonne santé et que la grossesse avait un impact négatif sur leur qualité de vie, mais qu’elle ne semblait pas avoir d’impact sur leur taux de survie. Outre l’impact de la grossesse sur la maladie et celui de la maladie sur la grossesse, il est nécessaire de prendre en compte l’impact du traitement que ces femmes doivent suivre au long cours. C’est en particulier le cas des femmes traitées par modulateurs de CFRT, la classe la plus récente de médicaments pour le traitement de la mucoviscidose, pris par la grande majorité de ces femmes. Il en existe plusieurs, ciblant certaines mutations, et d’autres sont en cours d’évaluation. La combinaison d’éléxacaftor/ivacaftor/tézacaftor améliore d’en moyenne 13,8 % la fonction pulmonaire chez les personnes homozygotes pour la mutation Phe508del et de 10 % chez les personnes déjà traitées par la combinaison tézacaftor/ivacaftor. Les auteurs font le point sur l’impact de l’utilisation des modulateurs de CFTR sur la fertilité, la grossesse et la lactation.
L’épithélium de l’endomètre a normalement un niveau élevé d’expression de la CFTR. La mucoviscidose peut abaisser la fertilité en rendant les sécrétions cervicales plus visqueuses et en modifiant leur pH. L’impact nutritionnel de la mucoviscidose peut également avoir un impact négatif sur la fertilité, ainsi que l’insuffisance pancréatique. Le traitement par CFTR peut augmenter la fertilité, avec pour conséquence des grossesses imprévues. Les femmes qui ne souhaitent pas devenir enceintes doivent donc utiliser une méthode de contraception. La poursuite du traitement par modulateurs de CFTR pendant la grossesse sera discutée avec la mère. L’arrêt du traitement peut avoir un impact important sur la santé maternelle, mais par ailleurs il n’existe guère de données sur leur utilisation pendant la grossesse. Des études in vivo ont constaté un risque plus élevé de troubles mineurs chez le fœtus suite à l’administration de doses massives à la mère gestante, mais aucun des modulateurs de CFRT n’a eu d’impact négatif sur le taux de survie des fœtus ou sur l’organogenèse. Toutefois, ces produits n’ont pas été testés en association. Ces données sont rassurantes, mais il reste nécessaire d’être prudent. Il n’existe aucune étude sur leur utilisation chez la femme enceinte, mais quelques cas de grossesse sous ivacaftor et/ou lumacaftor ont été suivis. Parmi les 6 grossesses survenues chez 5 femmes traitées suivies par une étude, 4 fœtus ont été exposés au traitement pendant les 3 trimestres (pas de données pour la 5e grossesse, et pour la 6e grossesse, la mère a arrêté le traitement). Aucune anomalie n’a été rapportée chez les enfants. 3 d’entre eux sont nés à terme ; une femme a accouché de jumeaux prématurés, et chez la 5e femme, qui souffrait d’insuffisance pulmonaire sévère et qui a été traitée par ivacaftor en continu, les 2 grossesses se sont terminées par la naissance de prématurés (34-36 semaines de gestation). Dans une autre étude incluant 11 enfants exposés aux modula-teurs de CFTR in utero, aucune anomalie n’a été rapportée ; 3 femmes ont essayé d’arrêter le traitement pendant la grossesse, mais ont dû le reprendre en raison de l’aggravation de leur statut pulmonaire. Dans une autre étude, la mère a également tenté d’arrêter le traitement par ivacaftor et lumacaftor pendant la grossesse, mais a dû recommencer à le prendre. L’enfant a présenté une hyperbilirubinémie modérée en période néonatale, qui a disparu par la suite. Une enquête internationale auprès de centres spécialisés dans le suivi des patients souffrant de mucoviscidose a fourni des données sur 64 grossesses chez 61 femmes traitées par modulateurs de CFTR. 2 cas de complications maternelles pendant la grossesse semblant en rapport avec ce traitement ont été rapportés par ces centres. L’arrêt du traitement pendant la grossesse a induit une aggravation clinique chez 9 femmes, qui ont repris leur traitement. Plus de la moitié des enfants de ces femmes ont été exposés aux modulateurs de CFTR pendant les 3 trimestres de la grossesse, et aucune complication n’a été rapportée chez ces enfants. Le taux de fausses couches chez ces femmes a été inférieur au taux dans la population générale.
Pendant longtemps, on a déconseillé l’allaitement aux femmes souffrant de mucoviscidose, car on estimait que la maladie avait un impact négatif sur le taux de macronutriments et de sodium du lait maternel. Les études ont toutefois constaté que c’était faux. Actuellement, les recommandations en la matière se fonderont sur l’état clinique et nutritionnel de la mère, sa capacité à assumer les demandes énergétiques de la lactation, et sur la prise ou la reprise de traitements médicaux susceptibles d’être nocifs pour l’enfant allaité. Les modulateurs de CFTR sont actuellement utilisés chez des bébés dès 6 mois, mais il existe encore très peu de données sur leur utilisation en pédiatrie et chez la mère allaitante. Des études in vivo ont constaté qu’ils étaient excrétés dans le lait maternel. Même si l’ivacaftor n’induisait aucun problème chez le fœtus lorsqu’il était administré chez les rates gestantes à des doses similaires aux doses thérapeutiques chez l’être humain, on a constaté que son administration aux petits pendant la période de lactation induisait le développement d’une cataracte. Dans la mesure où des opacités cornéennes ont été rapportées chez des patients pédiatriques traités par ivacaftor, un suivi ophtalmologique régulier sera nécessaire chez les enfants allaités par une mère sous ivacaftor. Une étude a suivi l’excrétion lactée de l’ivacaftor et du lumacaftor chez une femme, ainsi que le taux plasmatique de l’enfant. Ces 2 produits étaient présents dans le sang du cordon, ainsi que dans le lait maternel et le sang de l’enfant à un taux très faible. Cette étude a constaté des fluctuations du bilan hépatique du nourrisson, mais il était difficile de savoir si elles étaient normales ou si elles étaient causées par le traitement maternel. Le bilan ophtalmologique de l’enfant est resté normal.
L’auteure de cet article, âgée de 28 ans, souffre de mucoviscidose (mutation homozygote F508del) diagnostiquée alors qu’elle avait 10 mois. Elle a été hospitalisée pour la première fois à 8 ans, et par la suite environ tous les 6 mois en raison d’aggravation des troubles pulmonaires. En 2015, elle était incluse dans une étude clinique sur le lumacaftor et, à sa grande surprise, elle est devenue enceinte. En raison de l’absence de données sur la prise de ce traitement pendant la grossesse, elle l’a arrêté. Elle a présenté une aggravation de son statut pulmonaire, puis une amélioration spontanée et elle a pu poursuivre sa grossesse en prenant des antibiotiques. Elle a accouché 10 jours avant la date prévue du terme d’un bébé en bonne santé qu’elle a décidé d’essayer d’allaiter. À 9 mois, alors qu’elle allaitait toujours, elle a présenté une aggravation de son état pulmonaire, et elle a décidé de poursuivre l’allaitement et de reprendre le traitement par lumacaftor. Quelques années plus tard, après une nouvelle aggravation pulmonaire suite à une pathologie virale, elle a débuté un traitement par éléxacaftor/tézacaftor/ivacaftor, ce qui a augmenté de 20 % sa fonction pulmonaire et amélioré significativement sa qualité de vie. Un mois après le début du traitement, elle a constaté qu’elle était à nouveau enceinte. Après discussion avec les médecins qui la suivent, il a été décidé que les bénéfices de la poursuite du traitement étaient significativement plus élevés que les risques potentiels pour le fœtus. Elle est actuellement à 28 semaines de grossesse et elle attribue sa bonne qualité de vie à la poursuite du traitement.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci