Publié dans le n° 174 des Dossiers de l'allaitement, septembre 2021.
D'après : Impact of nipple shield use on milk transfer and maternal nipple pain. Coentro VS et al. Breastfeed Med 2021 ; 16(3) : 222-9.
Les problèmes de mamelons douloureux sont une cause importante de sevrage plus précoce que souhaité au départ. De nombreuses femmes se voient proposer l’utilisation de bouts de sein afin de gérer les problèmes de mamelons douloureux et de favoriser la poursuite de l’allaitement. Des études ont fait état d’un moins bon transfert du lait à l’enfant lorsque la mère utilise un bout de sein, et certains spécialistes estiment que ceux-ci auront un impact négatif sur l’allaitement. Toutefois, ces études sont plutôt anciennes, et on a constaté que les bouts de sein permettaient au contraire un meilleur transfert du lait lorsque l’enfant était un prématuré. L’objectif de cette étude australienne était d’évaluer l’impact des bouts de sein sur le transfert de lait maternel à l’enfant et sur les douleurs des mamelons chez la mère.
Des mères qui allaitaient un enfant de 1 à 6 mois ont été recrutées à partir de la patientèle d’IBCLC et de réseaux communautaires entre juillet 2016 et juin 2019. Elles ont été réparties en deux groupes : un groupe cas constitué de mères ayant des problèmes de mamelons douloureux et qui utilisaient des bouts de sein ultra-minces en silicone pour gérer la douleur, et un groupe témoin n’ayant pas de problèmes d’allaitement. Par ailleurs, ces mères avaient accouché à ≥ 37 semaines de gestation, elles donnaient ≤ 1 supplément de préparation pour nourrissons par jour. On a exclu les mères chez qui une cause avait été diagnostiquée pour les douleurs mamelonnaires, qui avaient subi une chirurgie mammaire ou portaient des piercings mammaires, et celles dont l’enfant présentait un problème de santé ou une anomalie orale. Toutes les mères sont venues à deux reprises au laboratoire des auteurs pour deux sessions pendant lesquelles elles ont allaité leur bébé avec et sans bout de sein (ordre des sessions tiré au sort), le bébé recevant le même sein (le plus douloureux) lors des deux sessions dans le groupe cas, le sein pris par l’enfant étant tiré au sort lors des deux sessions dans le groupe témoin. Les mères ont évalué le niveau de douleur ressenti avant et après chaque session, et elles ont été suivies par téléphone à trois reprises pour recueil de données sur le déroulement de leur allaitement. Lors de chaque session, les dimensions du mamelon ont été soigneusement mesurées avant la tétée, et on a donné à la mère un bout de sein dont le diamètre était ≥ 4 mm à celui du mamelon lors de la session avec bout de sein. Le bout de sein a été posé sur le sein par une IBCLC qualifiée. Le volume de lait absorbé par l’enfant a été mesuré par pesée avant et après la tétée sur une balance de haute précision. Des échantillons de lait de début et de fin de tétée ont été collectés et leur taux de lipides a été recherché par crématocrite, afin de calculer le pourcentage de lait disponible consommé par l’enfant. Par ailleurs, les mères ont complété un journal sur 24 heures, dans lequel elles ont noté le volume de lait absorbé par leur bébé sur ces 24 heures, par pesées avant et après chaque tétée avec la balance qui leur avait été fournie, les mères notant également le volume de lait maternel éventuellement exprimé pendant cette journée, ainsi que les horaires et la durée de chaque tétée.
25 mères dans le groupe cas et 34 mères dans le groupe témoin ont fourni toutes les données et ont été suivies jusqu’à la fin de l’étude. Les mères du groupe cas étaient un peu plus jeunes, étaient moins nombreuses à avoir un diplôme universitaire, étaient beaucoup plus souvent primipares et elles prévoyaient d’allaiter moins longtemps que celles du groupe témoin. Les bébés des deux groupes présentaient des caractéristiques globalement similaires, à part un âge gestationnel à la naissance un peu plus bas dans le groupe cas et un âge plus bas au moment de leur inclusion dans l’étude (6 ± 4 semaines versus 9 ± 6 semaines post-partum dans le groupe témoin). Dans le groupe cas, l’utilisation d’un bout de sein n’avait pas d’impact statistiquement significatif sur le volume de lait pris à partir du sein utilisé (46 ± 28 ml sans bout de sein versus 40 ± 25 ml avec bout de sein), sur le pourcentage de lait disponible consommé (59 ± 31 % versus 53 ± 29 %), ou sur le score pour la douleur (17 ± 12 versus 16 ± 14). En revanche, le bout de sein avait un impact significatif dans le groupe témoin ; il abaissait significativement le volume de lait absorbé (31 ± 22 ml versus 65 ± 33 ml sans bout de sein) et le pourcentage de lait disponible consommé (33 ± 30 % versus 64 ± 22 %), le score pour la douleur étant très bas lors des deux sessions (1 en moyenne). La fréquence quotidienne des tétées n’était pas corrélée à l’utilisation d’un bout de sein. Elle baissait avec le temps écoulé depuis la naissance. Les mères du groupe cas étaient plus nombreuses à tirer leur lait que celles du groupe témoin, la fréquence des séances d’expression baissant elle aussi avec le temps. À 12, 16 et 20 semaines post-partum, le taux d’allaitement était similaire dans les deux groupes, ainsi que le taux d’allaitement exclusif à 20 semaines. La fréquence quotidienne de l’utilisation des bouts de sein baissait également avec le temps dans le groupe cas ; 38 % des mères avaient cessé de les utiliser à 12 semaines, 70 % à 16 semaines, et une seule mère les utilisait encore à 20 semaines en raison de la persistance des problèmes douloureux.
Il était intéressant de constater que, chez les mères présentant des problèmes de mamelons douloureux, l’utilisation d’un bout de sein n’avait pas d’impact significatif sur le volume de lait absorbé par l’enfant, sur le pourcentage de lait disponible absorbé par l’enfant, ni même sur le niveau de douleur ressentie par la mère pendant la tétée. Cela était peut-être en rapport avec le fait que la plupart de ces mères utilisaient les bouts de sein depuis plusieurs semaines, et que la douleur pouvait déjà avoir diminué par rapport à ce qu’elle était au départ. D’ailleurs, la majorité des mères de ce groupe avaient arrêté d’utiliser les bouts de sein à 16 semaines. Il était tout aussi intéressant de constater que l’utilisation d’un bout de sein par des mères ne présentant pas de problèmes d’allaitement avait un impact négatif sur le volume de lait pris par leur enfant et sur le pourcentage de lait disponible qu’il avait absorbé, peut-être parce que le bébé n’était pas habitué au bout de sein. À noter que 8 dyades recrutées au départ dans le groupe témoin ont dû être exclues de l’étude car leur bébé a refusé de prendre le sein avec un bout de sein. Le protocole de l’étude ne permettait pas de déterminer si cela serait différent avec un bébé habitué au bout de sein, et cela mériterait d’être étudié. La principale limitation de cette étude est le petit nombre de mères incluses. Ses résultats ne peuvent pas être extrapolés à des dyades dans lesquelles les bouts de sein sont utilisés pour d’autres raisons que la gestion de problèmes de mamelons douloureux. Les bouts de sein présentent des bénéfices et des risques. Leur utilisation devrait être soigneusement pesée, et les dyades chez qui ils ont été recommandés devraient être régulièrement suivies jusqu’à arrêt de leur utilisation.
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