Publié dans le n° 174 des Dossiers de l'allaitement, septembre 2021
La grossesse et la lactation sont des périodes pendant lesquelles la mère devra couvrir les besoins en calcium du fœtus, puis du nourrisson. 30 g de calcium sont transférés de la mère au fœtus pendant la grossesse, puis 210 mg/jour pendant l’allaitement. On suppose que les modifications du métabolisme osseux induites par la grossesse et la lactation jouent un rôle important. Normalement, le métabolisme calcique de la femme s’adapte. L’absorption intestinale du calcium augmente pendant la grossesse, ce qui est normalement suffisant pour satisfaire les besoins calciques du fœtus. Pendant la lactation, la résorption osseuse augmente temporairement sous l’influence de la protéine apparentée à l’hormone parathyroïdienne, qui est absente en dehors de la grossesse. Celle-ci est sécrétée par le placenta et les glandes mammaires pendant la grossesse, son taux chute juste après la naissance, puis réaugmente avec le démarrage de l’allaitement. Elle augmente la résorption osseuse, d’autant que le taux circulant d’œstradiol est bas pendant l’allaitement. Le climat hormonal revient à l’état antérieur à la grossesse pendant le sevrage. Des études suggèrent que ces modifications du mé-tabolisme osseux pendant la grossesse et la lactation sont indépendantes des apports en calcium et en vitamine D.
L’ostéoporose associée à la grossesse et à la lactation (OGL) est un type rare d’ostéoporose (environ 0,4/100 000 femmes), rencontré à 70 % chez les primigestes, qui induit essentiellement des fractures vertébrales de compression douloureuses. Il est possible que son incidence soit plus élevée et que certaines femmes ne soient pas diagnostiquées ni traitées. Elle débute habituellement pendant le dernier trimestre de la grossesse ou pendant les premiers mois d’allaitement. Sa pathogenèse est mal connue ainsi que son étiologie. La lordose induite par la grossesse ou un éventuel alitement suite à une complication gestationnelle pourraient également jouer un rôle, ainsi que des prédispositions génétiques ou une sédentarité importante, en particulier pendant l’adolescence, période d’importante croissance osseuse. Une anomalie héréditaire du métabolisme osseux chez les femmes touchées est également possible. Dans la mesure où elle survient chez des femmes jeunes, il n’existe pas de données sur le statut osseux antérieur à la découverte de l’OGL. Elle est suspectée lorsqu’une femme enceinte ou allaitante présente des douleurs dorsales/lombaires sévères et persistantes. La radiographie constatera les fractures vertébrales de compression. L’IRM et la mesure de la densité osseuse par absorptiométrie biphotonique à rayons X confirmeront le diagnostic.
Les facteurs connus de risque d’ostéoporose liée à la grossesse et à l’allaitement sont des antécédents familiaux pour ce type d’ostéoporose, des antécédents personnels de baisse de la densité osseuse, une carence en vitamine D et/ou en calcium, un indice de masse corporelle bas, une faible activité physique, la prise de certains médicaments et le tabagisme. Ces facteurs semblent potentialiser l’impact de l’augmentation du turn-over osseux pendant la grossesse et l’allaitement. Les manifestations cliniques débutent le plus souvent pendant le 3e trimestre de la grossesse, le poids de l’enfant augmentant la lordose lombaire, ce qui favorise la survenue de fractures vertébrales, essentiellement au niveau thoracique et lombaire. Pendant l’allaitement, la fuite du calcium dans le lait maternel corrélée au faible taux d’œstradiol augmentera la résorption osseuse. Le pronostic est généralement bon, même si cette pathologie peut être douloureuse et invalidante lorsqu’elle survient. La rareté des cas fait qu’il n’y a pas de consensus concernant son traitement. Dans la grande majorité des cas, on recommande l’arrêt de l’allaitement, ainsi qu’une supplémentation en vitamine D et en calcium, combinée à la prise de biphosphonates. À noter que ces derniers s’accumulent dans les os. Ils pourront être transférés au fœtus pendant la grossesse suivante, et ils peuvent induire des malformations. Il est préférable de les éviter chez les femmes qui prévoient d’avoir d’autres enfants.
Ostéoposose pendant la 3e grossesse, ayant bien répondu à un traitement par tériparatide
A case report of pregnancy and lactation associated osteoporosis in the third pregnancy : robust response to teriparatide despite delayed administration. Cerit ET, Cerit M. Bone Rep 2020 ; 13 : 100706.
Cette femme de 35 ans a été admise dans le service spécialisé d’un CHU d’Ankara (Turquie) en raison de douleurs dorsales très importantes. Elle présentait un œdème dorsal et une perte de longueur entre T5 T7 et L1. Elle n’avait pas d’antécédents familiaux de fractures ostéoporotiques. Elle ne prenait aucun médicament susceptible de favoriser une ostéoporose. Elle ne fumait pas, ne consommait pas d’alcool, n’avait jamais pris de contraception orale, et elle était plutôt sédentaire. Elle avait allaité son 1er enfant pendant 9 mois, son 2e enfant pendant 12 mois, et ce sans aucun problème osseux. Elle allaitait son 3e enfant âgé de 2 mois. Son bilan biologique était normal. L’IRM du rachis a constaté la présence de fractures vertébrales multiples au niveau dorsal et lombaire. Son taux sérique de 25(OH)D était de 31 µg/l (normale : 30 à 80 µg/l). La densité osseuse était abaissée au niveau lombaire et fémoral. Le spécialiste a recommandé le port d’un corset thoraco-lombaire, l’arrêt de l’allaitement et une supplémentation quotidienne avec 1 g de calcium et 880 UI de vitamine D.
Cette femme a été revue 6 mois plus tard, la douleur étant toujours très importante. Aucune nouvelle fracture vertébrale n’était survenue. La densité osseuse lombaire avait augmenté de seulement 0,4 %. On a donc ajouté au traitement déjà prescrit du tériparatide à la dose de 20 µg/jour. 2 mois plus tard, la douleur avait significativement diminué et la densité osseuse lombaire avait augmenté de 18,1 %. À 18 mois post-partum, la douleur avait totalement disparu. La prise de tériparatide a été arrêtée, celle de calcium et de vitamine D étant poursuivie.
L’objectif du traitement est d’éviter la survenue de nouvelles fractures, de soulager la douleur souvent intense, et d’augmenter la densité osseuse. Un traitement non pharmacologique sera mis en place en première intention : supplémentation en calcium et en vitamine D, arrêt de l’allaitement, mobilisation douce, éviter de porter du poids, port d’un corset. Dans certains cas, une vertébroplastie pourra être utile. Concernant le traitement médical d’une OGL, il n’existe pas de consensus ni d’études randomisées comparant divers traitements. Il est donc difficile de savoir dans quelle mesure le problème finit par se résoudre spontanément avec le temps ou si le traitement a réellement un impact. Les études sur le sujet ont testé divers produits, tels que les biphosphonates, le tériparatide, la calcitonine, le dénosumab, le strontium ranélate. Les biphosphonates ont une demi-vie osseuse de 10 ans et ils resteront donc dans les os pendant de nombreuses années ; ils sont par ailleurs tératogènes, et il est préférable de les éviter chez une femme qui souhaite avoir d’autres enfants par la suite. Le strontium ranélate a des effets secondaires non négligeables. Le dénosumab est un anticorps monoclonal ; il s’est avéré très efficace, mais l’arrêt du traitement peut induire une récidive rapide de l’ostéoporose, qui doit être prévenue par la prise d’autres produits. Le tériparatide ne s’accumule pas dans les os, il n’est pas nocif pour le fœtus s’il est pris pendant la grossesse et il semble donc être une bonne option si l’OGL nécessite un traitement médical en l’absence d’amélioration après application pendant au moins 6 mois (12-18 mois) de mesures non pharmacologiques. L’amélioration est rapide sur le plan de la douleur, et les études sur ce produit ont constaté une augmentation importante de la densité osseuse après 12 à 18 mois de traitement.
Fracture de Barton du radius pendant la grossesse
Barton fracture of the distal radius in pregnancy and lactation-associated osteoporosis : a case report and literature review. Wang G, Bai X. Int J Gen Med 2020 ; 13 : 1043-9.
L’ostéoporose se manifeste le plus souvent par des compressions ou des fractures vertébrales, ou parfois par des fractures de la hanche, les fractures au niveau des membres supérieurs étant rares. Les auteurs rapportent un cas d’ostéoporose ayant induit une fracture de Barton, à savoir une fracture au niveau de l’extrémité distale du radius après un traumatisme minime.
Cette femme avait un enfant de 6 ans et elle était enceinte de 37 semaines de son 2e enfant lorsqu’elle a fait une chute en marchant, avec traumatisme minime au niveau du poignet droit. Elle s’est présentée à la consultation spécialisée des auteurs en se plaignant de douleurs au niveau du poignet droit. Elle avait allaité son 1er enfant jusqu’à 12 mois, et pendant la grossesse elle avait souffert de douleurs lombaires et au niveau des hanches. Elle n’avait par ailleurs aucun antécédent particulier, elle ne prenait pas de médicaments, ne consommait pas d’alcool et ne fumait pas. Elle n’avait pas d’antécédents familiaux d’ostéoporose ou de fracture. Son indice de masse corporelle était de 23,3 kg/m². Son poignet droit était déformé et œdémateux et les mouvements étaient réduits. Une IRM a été effectuée, qui a constaté une fracture de Barton au niveau du poignet droit. Une chirurgie était fortement indiquée au vu des constatations de l’IRM, mais en raison de la grossesse, il a été décidé d’effectuer une réduction de la fracture et de poser un plâtre. La mère a accouché à 38 semaines d’un bébé en bonne santé et elle a commencé à allaiter. Trois jours après l’accouchement, elle a été transférée en orthopédie pour la correction chirurgicale de la fracture.
À l’occasion de cette chirurgie, un bilan détaillé a été effectué : radiographie, scanner et bilan biologique. Ce dernier a constaté la baisse du taux sérique de calcium et de 25(OH)D tandis que le taux de phosphatases alcalines était élevé. On a effectué une absorptiométrie biphotonique à rayons X pour évaluer sa densité osseuse, qui était significativement abaissée au niveau des vertèbres lombaires et des hanches. Le diagnostic d’ostéoporose liée à la grossesse et à l’allaitement a été posé. On lui a demandé d’arrêter l’allaitement, et on lui a prescrit des suppléments de calcium (1 200 mg/jour) et de vitamine D (1 200 UI/jour). On lui a également recommandé de s’exposer au soleil, d’augmenter ses apports protéiques et de pratiquer une activité physique plus importante. Trois mois plus tard, la fracture était guérie et le fonctionnement du poignet était satisfaisant. Elle a été suivie pendant les 12 mois suivants, pendant lesquels le bilan biologique et la densité osseuse sont progressivement revenus à la normale.
Fracture malléolaire pendant la grossesse
Malleolar fracture in pregnancy and lactation-associated osteoporosis : a case report and literature review. Bai X et al. Arch Osteoporos 2021 ; 16(1) : 36.
Cette femme de 31 ans, vivant en Chine, s’est présentée aux urgences en raison d’une fracture malléolaire alors qu’elle allaitait un bébé de 3 mois. La fracture a été réduite aux urgences et une attelle en résine a été placée, puis elle a été transférée dans le service de traumatologie. Lors du bilan avant la réparation chirurgicale, l’absorptiométrie biphotonique à rayons X a constaté l’existence d’une ostéoporose, liée à la grossesse et à la lactation au vu des circonstances. Une chirurgie de réduction de la fracture avec pose d’une plaque de fixation a ensuite été effectuée. On a conseillé à cette femme d’arrêter l’allaitement, et on lui a prescrit une supplémentation en calcium et en vitamine D, ainsi que des biphosphonates. Pendant les 12 mois suivants, le suivi a constaté une amélioration progressive de la symptomatologie et la plaque interne a été enlevée à 12 mois.
Lorsqu’une fracture est constatée chez une mère allaitante, l’orthopédiste ou le traumatologue devraient systématiquement rechercher l’existence d’une ostéoporose liée à la grossesse et à l’allaitement. Un traitement adéquat permettra la guérison des fractures et l’amélioration de l’ostéoporose.
Un cas d’ostéoporose associée à la grossesse et à la lactation
Woman with pregnancy and lactation-associated osteoporosis (PLO). Bazgir N et al. Case Rep Obstet Gynecol 2020 ; 8836583.
Cette femme de 24 ans avait accouché par césarienne de son 1er enfant qu’elle allaitait. Elle est venue consulter dans le service de rhumatologie des auteurs en raison de douleurs dorsales importantes. Elle prenait des antalgiques non stéroïdiens et était suivie par un kinésithérapeute, mais cela ne soulageait guère la douleur. La radiographie vertébrale a constaté un tassement vertébral entre T11 et L5, avec de multiples fractures de compression. L’absorptiométrie biphotonique à rayons X a confirmé l’ostéoporose. Elle souffrait également de douleurs abdominales auxquelles aucune cause n’a pu être retrouvée, ainsi que d’une anémie liée à une carence en fer. Le bilan biologique a constaté un faible taux sérique de 25(OH)D, de phosphore et de calcium.
On lui a recommandé d’arrêter l’allaitement. Elle a immédiatement commencé à prendre des suppléments de calcium (500 mg/jour) et de vitamine D (50 000 UI toutes les 2 semaines), ainsi que du tériparatide (20 µg/jour). 3 semaines plus tard, une nette amélioration clinique et biologique était constatée. Le bilan radiologique s’était normalisé au suivi à 18 mois, et aucune nouvelle fracture n’était survenue.
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