Publié dans le n° 176 des Dossiers de l'allaitement, novembre 2021.
D'après : Direct oral anticoagulant safety during breastfeeding : a narrative review. Daei M et al. Eur J Clin Pharmacol 2021.
Il existe peu de données concernant la sécurité des anticoagulants oraux directs pendant l’allaitement, alors que ces produits pourraient être une bonne alternative aux héparines de faible poids moléculaire. Ils sont efficaces, présentent peu de risques et sont administrés par voie orale. Les auteurs ont recherché toutes les études publiées jusqu’en janvier 2021 sur l’excrétion lactée des trois produits habituellement utilisés : apixaban, dabigatran et rivaroxaban.
Apixaban (Eliquis®)
L'apixaban est un inhibiteur oral hautement sélectif du facteur Xa. Il est lié à 87 % aux protéines plasmatiques et il est rapidement absorbé par voie orale. Deux études ont été publiées sur son excrétion lactée. La première étude a suivi 3 mères allaitantes (Datta). Elles prenaient toutes de l’apixaban à la posologie de 5 mg 2 fois par jour. Elles étaient à l’état d’équilibre et ont fourni des échantillons juste avant une prise, puis 1, 2, 4, 6, 8, 10 et 12 heures après cette prise. L’apixaban y a été recherché par chromatographie en phase liquide ultra-haute performance couplée à une spectrométrie de masse. Le pic lacté était constaté 2 heures après la prise chez les 3 mères et il était de 1,23 ± 0,02 mg/l. Sur la base de l’absorption de 150 ml/kg/jour par le nourrisson allaité, celui-ci recevait en moyenne 0,02 mg/kg/jour, soit une dose représentant en moyenne 18 % (14 à 21 %) de la dose maternelle ajustée pour le poids. La deuxième étude (Zhao) a suivi cette excrétion chez une femme, volontaire pour cette étude, qui allaitait un enfant de 23 mois et qui avait accepté de suspendre l’allaitement pour participer à cette étude. Elle en a pris 2 doses de 5 mg à 12 heures d’intervalle. Elle a fourni des échantillons de sang et de lait juste avant la première prise, puis 3,5, 7, 12, 16 et 24 heures après cette prise (les 2 derniers groupes d’échantillons étant collectés après la seconde prise). Le rapport lait/plasma de l’apixaban était de 2,61, et l’enfant allaité aurait reçu 12,78 % de la dose maternelle ajustée pour le poids.
Dabigatran étexilate (Pradaxa®, Praxbind®)
C’est une prodrogue. Il est rapidement absorbé et converti en dabigatran, qui est un inhibiteur direct puissant, compétitif et réversible de la thrombine. Une seule étude a été publiée sur son excrétion lactée (Ayuk). Elle a été menée chez deux mères incluses 2 à 7 ours après leur accouchement, et qui avaient décidé de ne pas allaiter. Elles avaient accouché par voie basse, ne présentaient aucun problème médical, ne prenaient aucun traitement médical et n’avaient aucun facteur de risque de saignement ni de problème rénal ou hépatique. Elles ont pris une dose unique de 220 mg de dabigatran étexilate. Des échantillons de sang et de lait ont été collectés juste avant la prise, puis 1, 2, 3, 5, 7 et 10 heures après cette prise. Le taux de dabigatran a été recherché dans tous les échantillons par chromatographie en phase liquide ultra-haute performance couplée à une spectrométrie de masse. Le pic sérique de dabigatran survenait 2-3 heures après la prise, le pic lacté survenant 5-7 heures après la prise. Ce pic lacté était de 8 µg/l chez une mère et de 53 µg/l chez l’autre mère (respectivement 4 % et 12 % du taux sérique chez ces mères). Le nouveau-né allaité aurait reçu respectivement 0,35 et 2,7 µg/kg de dabigatran pendant la durée du suivi, soit 0,01 et 0,07 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Les auteurs ont évalué l’impact potentiel du dabigatran présent dans le lait maternel. Pour ce faire, ils ont incubé du sang du cordon avec une quantité de dabigatran correspondant au taux qui serait retrouvé dans le sang de l’enfant en tablant sur un volume sanguin du nouveau-né de 80 ml/kg et sur une absorption totale du dabigatran présent dans le lait maternel. Ils ont estimé que le taux sérique infantile serait < 0,1 ng/l à J1, J3 et J5 avec une posologie maternelle de 220 mg de dabigatran, soit 100 000 fois moins que le taux nécessaire à un impact pharmacologique. Si au vu de ces résultats, le dabigatran semble un bon choix chez la mère allaitante, cette étude ne portait que sur deux mères qui en ont pris une dose unique. D’autres études sur ce produit sont nécessaires.
Rivaroxaban (Xarelto®)
C’est lui aussi un inhibiteur oral hautement sélectif du facteur Xa. 4 études ont été publiées sur son excrétion lactée.
La première étude a suivi une femme de 40 ans qui a développé une embolie pulmonaire bilatérale et une cardio-myopathie à J5 après un accouchement par césarienne en urgence à 30,5 semaines de gestation (Wiesen). Elle avait commencé à allaiter et on lui a demandé d’arrêter l’allaitement en raison de son état clinique et des traitements prévus. Elle a été traitée entre autres par rivaroxaban, 15 mg deux fois par jour. Au troisième jour du traitement, elle a exprimé tout le lait disponible dans les deux seins avant la prise matinale, puis 3, 6 et 10 heures après cette prise. Des échantillons de sang maternel ont été collectés aux mêmes moments. Le rapport lait/plasma était de 0,4, le taux lacté moyen était de 38,4 µg/l, et l’enfant aurait reçu 2,4 µg/kg en moyenne pendant les 10 heures du suivi, soit 1,3 % de la dose maternelle ajustée pour le poids.
Les auteurs de la deuxième étude (Muysson) ont étudié son excrétion lactée chez deux femmes à qui on en a prescrit pour un AVC chez l’une et pour une embolie pulmonaire bilatérale pour l’autre (15 mg deux fois par jour pendant 3 semaines, puis 20 mg deux fois par jour jusqu’à 6 mois post-partum). Ces mères ont décidé de sevrer, mais ont auparavant fourni des échantillons de lait après 10 jours de traitement, juste avant puis 1, 3, 5, 8, 10, 12 et 24 heures après une prise ; 7 jours après le passage à une prise quotidienne de 20 mg, une nouvelle série d’échantillons a été collectée, juste avant puis 1, 2, 4, 8, 12, 12 et 24 heures après une prise. Avec la prise de 15 mg deux fois par jour, le taux lacté de rivaroxaban était en moyenne de 0,16 ± 0,0004 mg/l chez les deux femmes, avec un pic lacté de 0,3 ± 0,02 mg/l constaté 1 heure après la prise. Le taux baissait ensuite progressivement pour revenir plus ou moins au taux antérieur à la prise au bout de 12 heures. L’enfant aurait été exposé à environ 5 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Pendant le traitement par 20 mg une fois par jour, le taux lacté moyen était de 0,07 ± 0,02 mg/l avec un pic lacté de 0,26 ± 0,01 mg/l constaté 2 heures après la prise. Ce taux baissait ensuite de la même façon qu’avec la prise de 15 mg deux fois par jour. L’enfant allaité aurait été exposé à environ 4 % de la dose maternelle ajustée pour le poids.
Dans la troisième étude, la femme était déjà traitée avant la grossesse (Saito). Elle a arrêté le traitement car elle souhaitait devenir enceinte, et la prise de rivaroxaban a été reprise à J5 post-partum. Elle allaitait partiellement son bébé de 3 mois au moment de l’étude. Elle a exprimé des échantillons de lait à partir de chaque sein 1 heure avant une prise, puis 3, 6, 9, 12, 15 et 18 heures après la prise orale de 15 mg de rivaroxaban, et ce pendant deux jours différents. Le taux de rivaroxaban y a été mesuré par chromatographie couplée à une spectrométrie de masse. Le taux lacté de rivaroxaban allait de 10,1 à 55,1 µg/l le premier jour de collecte et de 8,6 à 52,8 µg/l le deuxième jour. Le pic lacté était constaté 6 heures après la prise ; le taux lacté baissait rapidement par la suite et il était revenu au taux constaté avant la prise au bout de 18 heures. La demi-vie lactée du rivaroxaban était de 4,7 heures. Le taux lacté moyen était de 22,7 µg/l. Sur la base d’une consommation de lait maternel par l’enfant de 150 ml/kg/jour, l’enfant recevait en moyenne 0,0034 mg/kg/jour, soit 1,79 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. À 18 mois, la mère allaitait toujours. L’enfant n’a présenté aucun effet secondaire apparent et sa croissance a été normale.
Dans la quatrième étude (Zhao), deux femmes qui allaitaient toutes les deux un enfant de 8 mois et volontaires pour cette étude pendant laquelle l’allaitement a été suspendu ont pris une dose unique de 20 mg de rivaroxaban. Des échantillons de sang et de lait ont été collectés juste avant la prise, puis 1, 2, 3, 5, 7 et 10 heures après cette prise. Le taux lacté du rivaroxaban était d’en moyenne 107,06 ± 13 µg/l, le pic lacté étant constaté 2 heures après la prise. Le rapport lait/plasma était de 0,27, et l’enfant allaité aurait reçu 1,63 % de la dose maternelle ajustée pour le poids.
En conclusion
D’après ces données limitées, le dabigatran était le produit le plus faiblement excrété dans le lait. Le rivaroxaban et le dabigatran étaient présents dans le lait maternel à un taux compatible avec l’allaitement, tandis que l’apixaban était excrétée à un taux plus élevé que la limite considérée comme acceptable. Toutefois, on ignore la biodisponibilité orale de ces produits chez l’enfant exposé via le lait maternel. Rechercher leur taux sérique infantile serait nécessaire pour évaluer cette biodisponibilité avec précision. D’autres études sont donc nécessaires sur ces produits.
Références
• Ayuk P et al. Investigation of dabigatran secretion into breast milk : Implications for oral thrombo-prophylaxis in post-partum women. Am J Hematol 2020 ; 95 : E10–E3.
• Datta P et al. Transfer of apixaban into human milk. Obstet Gynecol 2021 ; 137(6) : 1080-2.
• Muysson M et al. Rivaroxaban treatment in two breastfeeding mothers : a case series. Breastfeed Med 2020 ; 15(1) : 41-3.
• Saito J et al. Rivaroxaban concentration in breast milk during breastfeeding : a case study. Breastfeed Med 2019 ; 14(10) : 748-51.
• Wiesen MH et al. The direct factor Xa inhibitor rivaroxaban passes into human breast milk. Chest 2016 ; 150 : e1–4.
• Zhao Y et al. Are apixaban and rivaroxaban distributed into human breast milk to clinically relevant concentrations ? Blood. 2020 ; 136 : 1783-5.
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