Publié dans le n° 178 des Dossiers de l'allaitement, janvier 2022.
D'après : Marijuana, breastfeeding, and the use of human milk. Position Statement #3071. NANN Board of Directors. Adv Neonatal Care 2021 ; 21(3) : 176-7.
La légalisation de la consommation de marijuana dans certains états des États-Unis et certaines provinces du Canada a augmenté le niveau d’interrogations concernant sa consommation pendant la grossesse et l’allaitement. Des études ont constaté que la consommation pendant la grossesse augmentait le risque de prématurité et de faible poids de naissance, et pouvait induire des déficits neurocognitifs chez les enfants et les adolescents exposés in utero. Les principes actifs de la marijuana sont excrétés dans le lait maternel, mais les données évaluant leur impact chez l’enfant allaité sont insuffisantes pour permettre de l’évaluer avec fiabilité. Les auteurs font le point sur le sujet.
Selon les études, 3,4 à 16 % des femmes enceintes et/ou allaitantes consomment de la marijuana aux États-Unis, et ce taux est en augmentation. Au Canada, 3,5 % des femmes enceintes en consommaient en 2016. Dans la mesure où l’évaluation de sa consommation dépend des réponses des femmes à des questionnaires, ce taux est probablement sous-estimé. La consommation est plus fréquente chez les femmes plus jeunes, ayant un niveau plus bas de scolarité, qui en consommaient avant la grossesse et qui ont débuté tardivement le suivi prénatal. Les enquêtes menées aux États-Unis ont constaté que ces femmes étaient moins nombreuses à commencer à allaiter et qu’elles allaitaient moins longtemps lorsqu’elles avaient consommé de la marijuana pendant la grossesse. L’allaitement présente de nombreux bénéfices pour l’enfant, incluant un meilleur développement neurologique et cognitif, ce qui doit être pris en compte lorsqu’on discute d’allaitement avec une femme consommatrice de marijuana. Concernant la consommation maternelle, on doit prendre en compte sa fréquence, la puissance du produit utilisé et la méthode de consommation. Diverses organisations considèrent qu’il est nécessaire de fortement décourager la prise de marijuana pendant l’allaitement, les femmes souhaitant quand même la poursuivre devant être informées de son impact potentiel et de l’importance de réduire la fréquence de consommation et d’éviter d’exposer l’enfant aux vapeurs de marijuana (si elle est fumée).
La marijuana est extraite d’une plante, le Cannabis sativa. Elle contient plus de 400 molécules différentes dont environ 60 cannabinoïdes pharmacologiquement actifs. Les principaux sont le del-ta 9 tétrahydrocannabinol (D9-THC) et le cannabidiol (CBD), ce dernier n’ayant aucun impact psychoactif. Les préparations naturelles ont des concentrations très variables, et leur taux de D9 THC a augmenté avec le temps. Il est liposoluble, et très rapidement absorbé par le système nerveux central. Il se fixera au niveau des récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2. Le CB1 joue un rôle majeur dans le développement du cerveau du fœtus. Environ 10 % des consommateurs deviennent dépendants, ce pourcentage étant plus élevé chez les adolescents. La liposolubilité du D9 THC favorise son excrétion lactée. Une étude pilote a constaté qu’environ 2,5 % de la quantité consommée par la mère était excrétée dans le lait, avec un pic environ 1 heure après la consommation. La demi-vie du D9 THC est d’approximativement 27 heures, l’accumulation de ce produit dans le lait maternel étant fonction de la fréquence d’utilisation et du métabolisme maternel.
En dépit des nombreuses études menées sur le sujet, il reste difficile d’évaluer avec précision l’impact de la consommation maternelle de marijuana pendant la grossesse, dans la mesure où la mère consomme souvent d’autres drogues et où il est difficile d’obtenir des données sur toutes les variables confondantes. Toutefois, les données sont suffisantes pour conclure à un impact négatif sur le fœtus. Les enfants des mères consommatrices avaient un poids de naissance plus bas de 300 g en moyenne, l’impact sur la taille et le périmètre crânien étant mal cerné. Des études ont également fait état d’un risque d’accouchement prématuré plus élevé de 12 à 27 % lorsque la mère en consomme pendant la grossesse. On a également constaté un impact négatif à long terme : déficits neurocomportementaux et cognitifs chez des enfants d’âge préscolaire, troubles de l’attention, hyperactivité, moins bons scores pour la perception visuelle, la mémoire visuelle, la compréhension du langage, le fonctionnement exécutif, taux plus élevé de dépression et d’anxiété, et même des altérations morphologiques au niveau du cortex frontal chez des enfants de 6-9 ans, déficit des fonctions exécutives, visuelles, spatiales, moins bon niveau scolaire et taux plus élevé de tabagisme et de toxicomanie à 14-22 ans. Une étude sur des jeunes de 18-22 ans a utilisé l’IRM fonctionnelle pour évaluer leur fonctionnement neuro-logique et a constaté que l’exposition à la marijuana avait un impact négatif sur ce fonctionnement au niveau de divers circuits neuronaux liés aux fonctions exécutives. À noter que les personnes incluses dans toutes ces études ont été exposées pendant la période fœtale à de la marijuana dont le taux de principes actifs était nettement plus bas qu’actuellement.
Habituellement, les femmes ne commencent pas à consommer de la marijuana pendant l’allaitement, mais poursuivent leur consommation antérieure. Cela rend très difficile l’évaluation de l’impact lié spécifiquement à l’exposition aux produits actifs de la marijuana via le lait maternel. Toutefois, les études menées sur des animaux suggèrent que l’exposition via le lait maternel a un impact similaire à l’exposition in utero. Il faut également prendre en compte l’exposition à la fumée de marijuana si le bébé est dans la même pièce que la personne qui en fume. Au vu de la prévalence croissante de la consommation de marijuana chez les adolescents et les jeunes adultes, il est raisonnable de s’inquiéter de l’exposition des nourrissons à ce produit alors que leur système nerveux central est en plein développement.
Les auteurs font les recommandations suivantes :
• Le lait maternel est le meilleur choix pour l’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants.
• Si le lait maternel n’est pas disponible, on peut envisager le don de lait humain, obtenu auprès d’un lactarium ayant testé le lait collecté sur le plan de la marijuana et des autres drogues illicites.
• Les données sur l’impact de la consommation maternelle de marijuana pendant l’allaitement sur l’enfant allaité sont insuffisantes.
• Il n’existe pas de niveau de consommation de marijuana connu pour être sans aucun danger pour l’enfant allaité.
• Toutes les mères allaitantes doivent être informées sur les risques potentiels de la marijuana pendant l’allaitement.
• Les professionnels de santé devraient informer les mères sur les risques de la consommation de marijuana à court et à long terme, et on devrait leur recommander de s’abstenir d’en consommer.
• Si la mère décide de poursuivre cette consommation, on l’informera sur l’intérêt de limiter sa consommation et sur les moyens de minimiser l’exposition de son bébé.
• Lorsque le professionnel de santé sait que la mère est consommatrice de marijuana, il devrait veiller à l’informer sans la juger, et la soutenir dans son allaitement.
• Les informations données aux mères sur le sujet devraient être fondées sur des données objectives, être dépourvues de jugement ou de menaces.
• Les professionnels de santé devraient connaître les divers services à contacter lorsqu’ils constatent qu’un nourrisson est impacté par la consommation maternelle de marijuana. Ils devraient s’impliquer dans des initiatives destinées à faire connaître l’impact négatif de la consommation de marijuana pendant la grossesse et l’allaitement.
• D’autres études sur la consommation maternelle de marijuana pendant l’allaitement sont nécessaires.
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