Publié dans le n° 179 des Dossiers de l'allaitement, février 2022
D'après : Assisted nursing : a case study of an infant with a complete unilateral cleft lip and palate. Lopez-Bassols I. J Hum Lact 2021 ; 37(2) : 419-24.
Les fentes labiales, palatines ou labio-palatines peuvent être unilatérales ou bilatérales. Elles ne sont pas exceptionnelles (1 pour 500 à 700 naissances). Ces enfants seront difficiles à nourrir au sein comme au biberon en raison de l’impact plus ou moins important de la fente sur leur succion, leur déglutition et leur respiration. Ils ne peuvent le plus souvent pas créer la dépression intrabuccale nécessaire au bon transfert du lait. Ils se fatiguent rapidement et ont un risque significativement plus élevé de mauvaise prise de poids. Or, une prise de poids correcte est indispensable avant la chirurgie réparatrice. Le lait humain est particulièrement important pour ces enfants qui ont un risque élevé d’otite et d’infection des fosses nasales et du tractus digestif haut. L’allaitement abaisse le risque d’infections et favorise un bon développement du massif facial. Les auteurs présentent le cas d’une mère ayant allaité son enfant qui présentait une fente labio-palatine unilatérale complète.
La mère, originaire d’Afrique du Sud, vivait dans la banlieue de Londres (Angleterre). Elle avait 35 ans et attendait son quatrième enfant. L’échographie effectuée à 20 semaines de grossesse a constaté une fente labio-palatine unilatérale chez le fœtus. Elle a commencé à être suivie par une équipe spécialisée dans la gestion de cette malformation. Elle avait allaité exclusivement jusqu’à 6 mois ses trois premiers enfants et avait ensuite poursuivi l’allaitement, et elle souhaitait allaiter également son quatrième enfant. L’équipe était prête à la soutenir, mais lui a conseillé d’avoir des attentes réalistes : ils n’avaient jamais vu de mère réussir à allaiter directement au sein. Ils ont encouragé la mère à tirer son lait pour que son bébé puisse le recevoir à l’aide de biberons spéciaux pour ces enfants. Ils lui ont toutefois fourni un tire-lait hospitalier et un DAL (dispositif d’aide à la lactation). À 36 semaines de grossesse, les parents ont demandé à rencontrer l’auteur d’une vidéo sur l’allaitement des enfants présentant une fente labio-palatine (Herzog & Herzog-Ilser), avec qui ils ont pu discuter des diverses stratégies possibles, ainsi que de l’expression anténatale du colostrum. La mère avait fermement l’intention d’allaiter son enfant exclusivement jusqu’à 6 mois et de poursuivre ensuite l’allaitement, et affirmait qu’elle ne pouvait pas envisager autre chose.
Elle a accouché à 42 semaines et 2 jours, par voie basse suite à un déclenchement, dans un service ayant le label Hôpital Ami des Bébés. La fente labiopalatine complète était à gauche. Le nouveau-né a été immédiatement mis en peau à peau, et la mère a pu le mettre au sein, puis lui donner à la seringue du colostrum exprimé avant la naissance. La montée de lait est survenue à J2. La mère a poursuivi les mises au sein, mais on l’a encouragée à donner à son bébé du lait maternel exprimé à l’aide des biberons spéciaux qu’on lui avait fournis. Les parents ont utilisé diverses stratégies pour allaiter leur bébé. La mère le mettait au sein et exprimait manuellement son lait dans la bouche de son bébé. Puis le père donnait au bébé du lait maternel exprimé à l’aide d’une sonde fixée sur son doigt. Les choses étaient difficiles et la mère était très stressée à l’idée de ne pas réussir à allaiter son bébé directement au sein.
À J16, une IBCLC est venue voir la mère à domicile et une nouvelle stratégie a été tentée. Elle a mis son bébé au sein à l’aide d’un bout de sein, après avoir fixé sur le sein une sonde nasogastrique reliée à une grosse seringue remplie de son lait (la sonde passant sous le bout de sein et allant jusqu’au mamelon). Cela permettait au bébé d’obtenir facilement du lait maternel en étant au sein. Sa succion est devenue plus organisée et coordonnée. À J23, la mère a fait part de ses doutes concernant l’allaitement de son bébé à l’IBCLC revenue la visiter. Cette dernière l’a rassurée, a fourni un soutien émotionnel, et lui a expliqué qu’elle allaitait bel et bien son bébé, même si cela ne se passait pas comme elle l’aurait souhaité. Cela a remotivé la mère, qui a décidé que son bébé recevrait tout son lait au sein.
Les bébés présentant une fente labiopalatine ont une croissance plus basse que la moyenne en raison des difficultés pour les alimenter, et le bébé de cette mère n’était pas une exception. Il a repris son poids de naissance (4,420 kg) à J23. Si son poids de naissance était au 97e percentile, il était descendu au 15e percentile à 25 semaines post-partum, niveau auquel il s’est ensuite maintenu alors que l’allaitement était poursuivi. Il a commencé à prendre des solides régulièrement à partir de 9 mois. La correction de la fente labiale a été effectuée à 20 semaines. Pendant plusieurs semaines, nourrir l’enfant a été difficile : il avait visiblement mal en dépit des antalgiques administrés. Par la suite, la mère a pu le mettre au sein sans bout de sein, l’enfant recevant pendant les tétées du lait maternel exprimé administré à l’aide d’une sonde posée sur le sein et reliée à une seringue remplie de lait maternel exprimé. La correction de la fente palatine a été effectuée à 10 mois. Il a présenté une fissure au niveau de la plaie, qui s’est fermée spontanément aux alentours de 11 mois. Par la suite, la mère a poursuivi l’allaitement directement au sein tout à fait normalement.
Ce cas montre que lorsque la mère est déterminée à allaiter, qu’elle y est encouragée par son conjoint et sa famille et qu’elle est soutenue par une personne compétente en matière d’allaitement, allaiter exclusivement directement au sein un bébé souffrant d’une fente labio-palatine unilatérale complète est possible. Lorsque le bébé a toujours été mis au sein, le problème de la mise au sein après la correction chirurgicale ne se posera pas, car le bébé sait que le sein est source de nourriture et de réconfort. La nature et la sévérité de la fente ont un impact important sur les difficultés que rencontreront les parents pour alimenter leur enfant. On sait qu’un bébé présentant une fente labiopalatine complète ne peut pas créer de dépression intra-buccale, ce qui rend très difficile l’allaitement directement au sein, et on recommande habituellement à la mère de tirer son lait pour le donner à son bébé à l’aide de biberons spéciaux, des suppléments de préparation pour nourrissons étant bien souvent nécessaires. La mère dont le cas est présenté ici tirait son lait 8 fois par jour. Elle était arrivée à exprimer quotidiennement environ 900 ml de plus que ce dont son bébé avait besoin, et elle a donné au total 42 litres de lait au lactarium local.
Nourrir un bébé présentant une fente labiopalatine est long et difficile, et constitue souvent un stress pour les parents. Les mises au sein favorisent la création d’un lien mère-enfant solide, et la proximité physique des tétées et l’ocytocine sécrétée ont un impact positif sur la santé émotionnelle de la mère. Il serait nécessaire de mettre en place des groupes de soutien de mère à mère d’enfants présentant une fente, et qui ont allaité, afin de fournir un soutien aux nouveaux parents, les professionnels de santé ayant clairement des lacunes en la matière. Il peut y avoir des différences significatives d’un enfant à l’autre sur le plan de la capacité à se nourrir au sein, et le suivi de chaque dyade devrait être individualisé. Diverses stratégies seront tentées afin de déterminer celles qui s’avèrent les plus efficaces et les plus gérables par les parents. Le protocole # 17 de l’Academy of Breastfeeding Medicine sur l’allaitement des enfants présentant une fente est une source utile d’informations. Les mères de ces enfants auront besoin d’un soutien actif au long cours afin de leur permettre de recevoir autant de lait maternel que possible.
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