Publié dans le n° 178 des Dossiers de l'lalaitement, janvier 2022.
D'après : Antidepressants and breastfeeding. Anderson PO. Breastfeed Med 2021 ; 16(1) : 5-7.
On estime que 10 à 15 % des mères présenteront une dépression du post-partum. Un traitement pharmacologique n’est pas le traitement de première intention, mais il pourra être nécessaire en cas de dépression sévère et/ou en l’absence d’impact des interventions psychologiques ou psychosociales. Le choix du produit à administrer dépendra de divers facteurs. Si la femme prenait déjà un antidépresseur avant la grossesse et que ce produit était efficace et bien toléré, la poursuite du traitement avec le même produit est à privilégier. C’est également le cas chez les femmes ayant débuté un traitement pendant la grossesse. L’allaitement est particulièrement important en cas de traitement pendant la grossesse, car il limitera les problèmes liés à un syndrome de sevrage chez le nouveau-né. Si le traitement est débuté après la naissance, on pourra privilégier les produits ayant un profil favorable pendant l’allaitement.
Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS)
Ces produits sont habituellement considérés comme les molécules de première intention pendant l’allaitement. Il existe toutefois d’importantes différences entre les divers produits sur le plan de leur pharmacocinétique et du pourcentage de la dose maternelle ajustée pour le poids, ou dose infantile relative (DIR), à laquelle le nourrisson sera exposé. La DIR est d’environ 0,5 % pour la sertraline (Zoloft®) et de 1 à 1,5 % pour la paroxétine (Deroxat®, Divarius®). Ces deux molécules représentent le premier choix dans cette classe d’antidépresseurs chez les femmes qui n’ont pas d’antécédents de dépression. À noter que le taux sérique infantile de ces deux produits est le plus souvent indétectable, et ils sont donc considérés comme le meilleur choix. La paroxétine n’est en revanche pas un bon choix pendant la grossesse en raison d’une possible tératogénicité.
À l’opposé, la fluoxétine (Prozac®) a un très mauvais profil de sécurité pendant l’allaitement. La DIR est d’environ 6 %, ce qui est acceptable, mais certains enfants peuvent être exposés à des DIR allant jusqu’à > 20 %. Sa demi-vie est de 4 à 6 jours et elle a un métabolite actif, la norfluoxétine, dont la demi-vie est de 9,3 jours. Ces longues demi-vies induisent une accumulation progressive dans le lait maternel, et le nourrisson allaité peut avoir un taux sérique de produit actif allant jusqu’à 59 % du taux sérique maternel. Malgré tout, si la mère était déjà traitée par fluoxétine pendant la grossesse, la plupart des spécialistes recommandent la poursuite du traitement pendant l’allaitement. Des effets chez le bébé tels que des coliques, de l’agitation ou une sédation ont été rapportés, mais aucun impact sur le développement n’a été constaté chez des enfants suivis jusqu’à 1 an.
Le citalopram (Séropram®) se situe entre les molécules de première intention et la fluoxétine. Sa DIR est de 4 à 8 % et celle de l’escitalopram (Séroplex®), son métabolite actif, est de 3,5 à 4 %. Ces deux produits ont eux-mêmes des métabolites actifs. Leur demi-vie est de 27 à 35 heures. De l’irritabilité et de la somnolence ont été rapportés chez des nourrissons allaités par des mères sous citalopram. Contrairement à ce qui est rapporté par certains articles, le citalopram ne peut pas être considéré comme un produit de première intention comme la sertraline et la paroxétine.
Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA)
La venlafaxine (Effexor®) est la molécule la plus ancienne dans cette classe et celle pour laquelle on a le plus d’informations. Elle est métabolisée en desvenlafaxine, son métabolite actif, dont le taux lacté est habituellement plus élevé que celui de la venlafaxine car elle a une demi-vie de 11 heures contre 5 pour la venlafaxine. Leur DIR combinée est d’environ 6,5 %. La desvenlafaxine a été recherchée dans le sérum des enfants allaités, et elle y est présente à un taux allant d’indétectable à 37 % du taux sérique maternel. Quelques cas d’agitation ou de somnolence ont été rapportés chez des enfants allaités par des mères traitées par venlafaxine ou desvenlafaxine, mais ces effets secondaires sont rares.
La duloxétine (Cymbalta®) passe très faiblement dans le lait humain et sa DIR est de < 1 %. Son taux sérique infantile était indétectable chez un enfant et représentait 0,8 % du taux sérique maternel chez un autre enfant. Aucun effet secondaire infantile n’a été rapporté, mais les données sur ce produit sont succinctes. Il n’existe aucune donnée sur le lévomilnacipran, mais le milnacipran, une de ses formes racémiques, a une DIR de < 5 %.
Les tricycliques
Ces antidépresseurs plus anciens sont actuellement beaucoup moins utilisés car ils ont davantage d’effets secondaires que les IRS, alors qu’ils présentent certains avantages. Leur DIR est de 1 à 2 %, leur taux sérique infantile est habituellement bas ou indétectable.
L’amitriptyline (Elavil®, Laroxyl®) est le produit pour lequel on a le plus d’informations. Une sédation majeure a été rapportée chez un nourrisson allaité alors que la mère ne prenait que 10 mg/jour d’amitriptyline, dont la responsabilité a été confirmée par un test d’arrêt de sa prise par la mère, puis par sa réintroduction. D’autres nourrissons ne présentaient aucun problème alors que leur mère prenait 175 mg/jour d’amitriptyline. La nortriptyline, qui est en fait le métabolite actif de l’amitriptyline, est un bon choix pendant l’allaitement : elle n’a pas de métabolite actif et elle induit moins d’effets secondaires.
Le seul tricyclique pour lequel des effets secondaires sérieux ont été rapportés est la doxépine (Quitaxon®). Un nourrisson de 8 semaines a été retrouvé hypotonique, pâle, somnolent et respirant à peine 4 jours après que la posologie maternelle de doxépine a été portée de 10 à 25 mg 3 fois par jour. Un autre nourrisson de 9 jours avait une succion et une déglutition faibles, une hypotonie, des vomissements et une perte de poids suite à la prise maternelle de 35 mg de doxépine le soir au coucher. Il est donc préférable d’éviter ce produit pendant l’allaitement.
Le bupropion
Le bupropion (Zyban®) est métabolisé en 3 métabolites actifs qui sont environ 2 fois moins actifs que le produit mère. Des données provenant de quelques mères ont rapporté une DIR de 1,4 à 10,6 %, essentiellement en rapport avec les métabolites actifs. Toutes ces molécules ont été retrouvées à de faibles taux dans le sérum infantile, mais les données sont succinctes. Le risque de convulsions dose-dépendant lié au bupropion est connu. Deux enfants allaités par une mère sous bupropion ont présenté des convulsions alors qu’ils avaient tous les deux environ 6 mois. La mère de l’un d’entre eux prenait également de l’escitalopram. Il est préférable d’éviter le bupropion pendant l’allaitement.
Les triazolopyridines
La trazodone est rarement utilisée seule dans le traitement de la dépression, mais elle peut être utilisée à faibles doses comme sédatif. Dans les quelques rapports de cas sur son excrétion lactée, celle-ci était faible ou indétectable et aucun effet secondaire n’a été rapporté chez les enfants allaités. Les faibles posologies prescrites pour un impact sédatif sont très peu susceptibles d’avoir un impact négatif chez le bébé allaité.
La néfazodone a été étudiée chez quelques mères. Son excrétion lactée et celle de son métabolite actif sont variables, avec une DIR de < 1 à 6,2 %. Il n’existe aucune donnée sur le taux sérique infantile. Un prématuré de 9 semaines a présenté une sédation, une léthargie, une succion faible et une hypothermie alors que sa mère prenait 300 mg/jour de néfazodone. Jusqu’à plus ample informé, il est préférable d’utiliser d’autres produits, en particulier lorsque le bébé allaité est un nouveau-né ou un prématuré.
Les inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO)
Les anciens IMAO ont toujours été considérés comme à risque pendant l’allaitement, et il n’existe donc pas de données sur l’excrétion lactée de l’isocarboxazide, de la phénelzine ou de la tranylcypromine.
La sélégiline (Emsam®) est utilisée dans le traitement de la maladie de Parkinson, mais elle est actuellement indiquée comme antidépresseur administré sous forme de patchs transdermiques. Le fabricant recommande l’arrêt de l’allaitement jusqu’à 5 jours après l’enlèvement du dernier patch. Toutefois, le cas d’une femme souffrant de dépression sévère et traitée avec des patchs de sélégiline pendant la grossesse et l’allaitement (6 mg/jour) a été rapporté. Elle a allaité exclusivement son bébé. Le taux sérique de sélégiline était indétectable à J12 chez le nourrisson et son développement à 5 mois était normal.
Le moclobémide (Moclamine®) est utilisé pour le traitement des dépressions sévères et des phobies sociales. Deux études menées auprès d’un total de 14 mères, dont 13 mères qui ont allaité alors qu’elles étaient traitées par ce produit, ont fait état d’une DIR de 1 à 4 %. Aucun enfant n’a présenté d’effet secondaire.
En conclusion
De nombreux antidépresseurs peuvent être prescrits pendant l’allaitement. Le premier choix est habituellement l’antidépresseur que la femme prend déjà ou a déjà pris avec succès. En cas de premier traitement chez une mère allaitante, la sertraline, la paroxétine et éventuellement la nortriptyline sont considérées comme le premier choix en raison de leur faible excrétion lactée, du risque faible d’effets secondaires chez l’enfant et des bonnes connaissances à leur sujet. Il est recommandé d’éviter la doxépine, le bupropion, la fluoxétine, la néfazodone, la venlafaxine, la plupart des IMAO, ainsi que des produits récents pour lesquels aucune donnée n’est disponible, comme le lévomilnacipran, la vilazodone et la vortioxétine (Brintellix®). Les femmes qui sont déjà traitées pendant la grossesse auront besoin d’un soutien actif dans le démarrage de l’allaitement et leur nouveau-né sera surveillé à la recherche de manifestations d’un syndrome de sevrage.
Références
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