Publié dans le n° 179 des Dossiers de l'allaitement, février 2022.
D'après : Benzodiazepine concentrations in the breast milk and plasma of nursing mothers : estimation of relative infant dose. Nishimura A et al. Breastfeed Med 2021 ; 16(5) : 424-31.
L’anxiété et le stress sont courants pendant la grossesse et en post-partum et peuvent avoir un impact négatif sur le déroulement de la grossesse, le développement du fœtus et celui du nourrisson. Lorsqu’on souhaite prescrire un anxiolytique pendant la grossesse et l’allaitement, il est nécessaire de peser soigneusement les bénéfices et les risques de ce traitement. Les benzodiazépines sont couramment utilisées dans le cadre du traitement de l’anxiété. A priori, la molécule utilisée pendant la grossesse sera privilégiée si le traitement est poursuivi après la naissance. Les benzodiazépines ne semblent pas être fortement excrétées dans le lait et sont le plus souvent considérées comme utilisables chez la mère allaitante. Avoir davantage d’informations sur leur excrétion lactée serait cependant nécessaire. Le but de cette étude japonaise était de rechercher le taux sérique et lacté de benzodiazépines chez des mères allaitantes afin d’évaluer le niveau d’exposition du bébé allaité.
Elle a été menée auprès de femmes enceintes âgées de ≥ 20 ans, qui prenaient une benzodiazépine et qui ont accepté de participer à l’étude après avoir été informées de façon approfondie. Des échantillons de sang et de lait maternel ont été collectés 3 à 6 jours après la naissance au moment du pic plasmatique (1 à 2 heures suivant les produits), et à nouveau à 1 mois post-partum à l’occasion d’un suivi en routine. Le plasma a été séparé par centrifugation, et les échantillons de plasma et de lait maternel ont été stockés à –30 °C jusqu’à analyse. Le taux de benzodiazépine a été recherché par chromatographie en phase liquide avec ionisation par électronébuliseur couplée à une spectrométrie de masse. La limite inférieure de détection dans le plasma et le lait maternel allait de 0,25 à 1 µg/l suivant les produits. Le rapport lait/plasma a été calculé, ainsi que le niveau d’exposition du bébé allaité (dose relative : % de la dose maternelle ajustée pour le poids) en partant du principe que l’enfant recevait 150 ml de lait maternel par kg et par jour. Le statut mental maternel a été évalué, et les auteurs ont pris en compte le dossier médical maternel, les dossiers de la mère et de l’enfant pendant le séjour en maternité, ainsi qu’une évaluation de l’état mental et du niveau de dépression chez la mère à 1 mois post-partum.
11 femmes ont fourni toutes les données nécessaires en post-partum précoce, et parmi elles 7 femmes ont fourni un échantillon de sang et de lait à 1 mois (les 4 autres femmes avaient arrêté l’allaitement). Ces femmes avaient en moyenne 34 ans, et elles étaient traitées pour dépression, anxiété, crises de panique, troubles dissociatifs ou troubles de la personnalité. Elles prenaient au total 8 benzodiazépines : alprazolam (2 femmes), clotiazépam (1 femme), loflazépate d’éthyle (2 femmes), flunitrazépam (2 femmes), clonazépam (1 femme), étizolam (1 femme), lorazépam (3 femmes) et brotizolam (1 femme), 2 femmes recevant 2 benzodiazépines. 7 femmes étaient primigestes. 5 femmes avaient accouché par voie basse, en moyenne à 39 semaines et 2 jours. Le taux lacté était inférieur à la limite de détection dans le 1er échantillon de lait maternel pour le lorazépam et le brotizolam. Pour les autres produits, il allait de 0,9 µg/l (étizolam) à 28,3 µg/l (alprazolam). Le rapport lait/plasma allait de 0,13 (loflazépate d’éthyle) à 0,52 (alprazolam), le nourrisson recevant 0,3 % (étizolam) à 7,3 % (alprazolam) de la dose maternelle ajustée pour le poids. À 1 mois, le taux lacté allait de 0,27 µg/l (brotizolam) à 13,7 µg/l (loflazépate d’éthyle), avec un rapport lait/plasma allant de 0,1 (loflazépate d’éthyle) à 0,59 (brotizolam), le nourrisson recevant 0,2 (brotizolam) à 5,3 % (alprazolam) de la dose maternelle ajustée pour le poids. En post-partum précoce, l’état émotionnel de toutes les mères était bon. Il s’était dégradé à 1 mois chez 3 mères, et la posologie d’anxiolytique a été augmentée chez 2 mères ; elle a été réduite chez une autre mère, et est restée inchangée chez les autres mères. Les raisons données par les 4 mères qui avaient sevré étaient la fatigue (2 mères), une production lactée insuffisante et une dégradation de l’état mental (1 mère) et le décès de l’enfant en période néonatale (1 mère, prenant de l’alprazolam). À 1 mois, tous les nourrissons se portaient bien et leur prise de poids était très bonne.
Cette étude portait sur très peu de femmes (voire 1 seule femme) pour chaque produit. La dose relative absorbée par le nourrisson allaité était < 10 % pour tous ces produits, mais elle pourrait être théoriquement légèrement > 10 % pour le loflazépate d’éthyle, ce qui ne doit toutefois pas amener à recommander le sevrage si une mère prend ce produit. D’autres études sont donc nécessaires pour en savoir davantage sur l’excrétion lactée des benzodiazépines. Les produits inclus dans cette étude sont compatibles avec l’allaitement. La mère et son bébé seront régulièrement suivis.
Prescription de brotizolam pendant la grossesse et l’allaitement
D'après : Brotizolam during pregnancy and lactation : brotizolam levels in maternal serum, cord blood, breast milk, and neonatal serum. Saito J et al. Breastfeed Med 2021 ; 16(7) : 579-82.
L’anxiété et les troubles du sommeil ne sont pas rares chez les femmes enceintes et allaitantes, et ces problèmes pourront être suffisamment importants pour nécessiter un traitement médicamenteux. Les benzodiazépines sont les molécules les plus couramment prescrites en pareil cas. Elles ont des pharmacocinétiques variables, et le prescripteur devra prendre en compte le niveau d’exposition du fœtus et du bébé allaité. Le brotizolam est une benzodiazépine sédative à courte demi-vie. Il n’existe actuellement pas de données sur son transfert placentaire, ni sur son excrétion lactée. Cette étude japonaise présente le cas d’une mère chez qui ces données ont été recherchées.
Cette femme de 28 ans souffrait d’un trouble bipolaire. Avant sa grossesse, elle était traitée par duloxétine, brexipiprazole, zolpidem et lorazépam en raison d’une dépression et d’insomnies, et ces molécules ont été arrêtées dès le début de sa 1ère grossesse. Elle est venue consulter alors qu’elle était enceinte de 7 semaines. Elle présentait une dépression et des insomnies, et on lui a prescrit du zolpidem (10 mg 1 fois par jour). La prise de duloxétine (20 mg/jour) a été reprise à 20 semaines de grossesse. Elle a également commencé à prendre du brotizolam (0,25 mg/jour), de la sertraline (25 mg/jour), de l’alprazolam (0,4 mg/jour) et de la trazodone (50 mg/jour) à partir de 24 semaines, tandis que la duloxétine et le zolpidem, estimés inefficaces, étaient arrêtés, le traitement par brotizolam, alprazolam et trazodone étant poursuivi. La posologie de sertraline a progressivement été augmentée jusqu’à 100 mg 2 fois par jour pendant le reste de la grossesse. Elle a accouché à 40 semaines par voie basse avec ventouse d’un bébé qui pesait 3 412 g, dont l’Apgar était de 7 et 9 à 1 et 5 minutes. Le nouveau-né a rapidement développé un syndrome d’abstinence néo-natal (fièvre, trémulation, cyanose). Il a été transféré en néonatalogie et mis sous oxygène et phénobarbital en IV jusqu’à J4. La mère a commencé à tirer son lait, et pendant son séjour en néonatalogie, le nourrisson a reçu du lait maternel exprimé (40 à 100 ml/jour) ainsi qu’une préparation pour nourrissons (100 à 220 ml/jour). La mère a mis son enfant directement au sein après sa sortie de néonatalogie, et à J8 il était exclusivement allaité, et il l’a été jusqu’à 3 mois. Pendant l’allaitement, la mère a poursuivi son traitement par brotizolam (0,25 mg/jour), sertraline (50 mg/jour), alprazolam (0,4 mg/jour) et zolpidem (10 mg/jour). Le nourrisson a été régulièrement suivi, et aucun effet secondaire lié au traitement maternel n’avait été constaté à 6 mois.
La mère prenait 0,25 mg de brotizolam le soir au coucher. Des échantillons de sang maternel ont été collectés 24 heures avant la naissance et 14 heures après une prise de brotizolam, puis à J4, 7 et 14 heures après une prise. Un échantillon de sang du cordon a été collecté immédiatement après la naissance, 9,2 heures après une prise. Des échantillons de sang ont été collectés chez l’enfant le jour de la naissance, puis à J2, J3 et J4 respectivement 10,2 heures, 50,7 heures, 74 heures et 98,4 heures après une prise maternelle. 4 échantillons de lait ont été collectés à J5, 7,1 heures, 16,4 heures, 19,2 heures et 29 heures après une prise maternelle. Le taux de brotizolam dans tous les échantillons a été recherché par chromatographie en phase liquide couplée à une spectrométrie de masse (limite inférieure de détection : 0,05 µg/l). Le taux sérique maternel était de 0,22 µg/l avant la naissance, et de 0,51 et 0,22 µg/l dans les 2 prélèvements effectués à J4. Le taux dans le sang du cordon était inférieur à la limite de détection. Le taux lacté était de 0,12 µg/l dans l’échantillon collecté 7,1 heure après la prise, et il était inférieur à la limite de détection dans les 3 autres échantillons. Le taux sérique infantile était inférieur à la limite de détection dans tous les échantillons.
Cette étude n’a pas permis d’identifier un pic lacté ni de calculer un rapport lait/plasma pour le brotizolam. Ce produit est lié à 92 % aux protéines plasmatiques et sa demi-vie est de 5 heures, ces caractéristiques étant certainement à l’origine de l’excrétion lactée négligeable de ce produit. Le syndrome néonatal d’abstinence de l’enfant était très probablement en rapport avec l’exposition in utero à la sertraline et/ou à l’alprazolam au vu de l’absence de détection du brotizolam dans le sang du cordon. Cette étude porte sur seulement 1 femme et d’autres études sur cette molécule sont nécessaires, mais ses résultats concernant la sécurité du brotizolam pendant la grossesse et l’allaitement sont rassurants.
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