Voir aussi : Chylothorax et utilisation du lait humain
Alimentation d’enfants présentant un chylothorax post-chirurgical avec du lait humain à lipides modifiés
Il est possible de nourrir les bébés présentant un chylothorax suite à une chirurgie cardiaque avec du lait maternel délipidé et enrichi de façon appropriée
Publié dans le n° 169 des Dossiers de l'allaitement, avril 2021.
Growth of cardiac infants with post-surgical chylothorax can be supported using modified fat breast milk with proactive nutrient-enrichment and advancement feeding protocols : an open-label trial. DiLauro S et al. Clin Nutr ESPEN 2020 ; 38 : 19-27.
Le chylothorax est une complication courante de la correction chirurgicale des pathologies cardiaques congénitales chez les nourrissons. Un des fondements de son traitement est nutritionnel, avec remplacement des triglycérides (TG) incluant des acides gras (AG) à longue chaîne par des TG incluant des acides gras à chaîne moyenne. Pendant longtemps, l’allaitement a été contre-indiqué en raison des AG à longue chaîne qu’il contient, et une préparation pour nourrissons spécifique était donnée à ces nourrissons. Toutefois, certains ont proposé d’utiliser du lait maternel dégraissé, puis enrichi en AG adaptés, ce qui permet à ces enfants de bénéficier de la grande majorité des bénéfices du lait humain. Toutefois, la croissance des nourrissons souffrant de chylothorax est plus faible que la moyenne, et il n’existe pas de données sur la stratégie optimale d’enrichissement du lait maternel dégraissé pour optimiser leur croissance. L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact de 2 protocoles différents de modification du lait humain sur la croissance d’enfants opérés suite à une pathologie cardiaque congénitale et souffrant d’un chylothorax secondaire à cette intervention.
Tous les enfants de < 12 mois admis entre octobre 2015 et octobre 2017 dans ce service spécialisé canadien pour un chylothorax post-chirurgical ont été évalués sur le plan de leur éligibilité pour cette étude. Les enfants devaient être allaités au moins à 50 % avant la chirurgie, la mère était d’accord pour tirer son lait afin de fournir ≥ 50 % des apports de l’enfant pendant son séjour dans le service, et elle était d’accord pour dégraisser son lait en le centrifugeant après la sortie de son enfant et pour l’enrichir avec des lipides adaptés, tout le matériel nécessaire étant fourni aux familles. Les enfants éligibles ont été randomisés en 2 groupes pour application des 2 protocoles testés. Un groupe témoin a été constitué, incluant les enfants non allaités, ou dont la mère ne souhaitait pas tirer son lait, et qui ont été nourris avec une préparation pour nourrissons spéciale. Les mères des enfants allaités pouvaient utiliser un tire-lait hospitalier pendant qu’elles étaient près de leur enfant hospitalisé, ainsi qu’un tire-lait électrique à double pompage qui leur était fourni si nécessaire pour le tirer à leur domicile. Le lait exprimé sur une journée était regroupé pour être centrifugé après avoir été réfrigéré. La couche lipidique était prélevée et le taux de lipides de la partie aqueuse était mesuré par crématocrite afin de vérifier qu’elle en contenait ≤ 1 %. Le lait maternel dégraissé était ensuite enrichi avec un mélange d’huiles contenant des acides gras à chaîne moyenne, de façon à ce que les lipides constituent 40 à 57 % des apports caloriques. Des acides gras polyinsaturés à longue chaîne (acide linoléique et alpha-linolénique) étaient également apportés pour représenter respectivement 3-4 % et 0,5-0,75 % des apports énergétiques. Les enfants étaient quotidiennement supplémentés en vitamines A, C et D. Une fois par semaine, le taux de protéines du lait dégraissé était recherché, et le lait était alors enrichi en protéines si nécessaire pour obtenir un apport de 3,5 g/kg/jour chez l’enfant. Pour les 2 protocoles, un groupe a reçu du lait maternel enrichi afin d’obtenir un apport calorique élevé (0,8 kcal/ml, ACE) ou standard (0,68 kcal/ml, ACS). Les enfants du groupe témoin recevaient une préparation pour nourrissons spéciale apportant 0,68 kcal/ml, un autre produit étant utilisé (formule d’acides aminés enrichie) en cas d’intolérance au lait spécial. Les apports de tous les enfants ont été documentés de façon détaillée, ainsi que leur croissance et les éventuels problèmes rencontrés.
Parmi les 61 enfants éligibles pour cette étude, les parents ont accepté de participer et ont pu être suivis jusqu’à la fin de l’étude pour 8 enfants dans le groupe témoin, 7 enfants dans le groupe ACS et 8 enfants dans le groupe ACE. Il n’y avait pas de différences significatives entre les groupes sur le plan des caractéristiques infantiles. La durée moyenne de l’intervention nutritionnelle était de 51 jours. Les enfants recevant du lait maternel ont été nourris en moyenne à 99 % de lait maternel délipidé et enrichi ; 1 enfant a reçu du lait humain provenant d’un lactarium pendant son hospitalisation. 12 familles ont continué à centrifuger et enrichir le lait maternel après le retour au domicile, 2 enfants sont restés hospitalisés pendant toute la durée de l’intervention nutritionnelle et un enfant a été nourri exclusivement avec une préparation pour nourrissons spéciale après sa sortie du service. Globalement, il n’y avait pas de différences significatives entre les groupes sur le plan des apports en macro-nutriments et en calories, mis à part un apport calorique plus élevé chez les enfants pour qui le lait maternel a été enrichi en protéines. Le pourcentage d’enfants ayant présenté une intolérance alimentaire était similaire dans les 3 groupes. Pour 8 enfants (5 dans le groupe témoin, 1 dans le groupe ACS et 2 dans le groupe ACE), les manifestations d’intolérance ont été suffisantes pour qu’ils soient alimentés avec la formule d’acides aminés. Une gestion médicamenteuse a été nécessaire chez 11 enfants (prednisone chez 10 enfants, octréotide chez 2 enfants). La durée du drainage pleural et le volume de ce drainage étaient similaires dans les 3 groupes. La croissance des enfants (poids, taille et périmètre crânien) pendant l’intervention a été similaire dans les 3 groupes, avec une prise de poids médiane de 18 g/jour.
Cette étude présente des limitations, la principale étant le petit nombre d’enfants dans chaque groupe, ce qui limite la fiabilité de l’analyse statistique. De plus, les enfants dont l’état clinique était moins bon après la chirurgie ont été exclus de l’étude. Il est possible que la délipidation du lait maternel induise une baisse du taux de certains autres composants, mais ce lait reste du lait humain qui conserve nombre de ses capacités protectrices. Les résultats de cette étude confirment qu’il est possible de nourrir les bébés présentant un chylothorax suite à une chirurgie cardiaque avec du lait maternel délipidé et enrichi de façon appropriée, le traitement du lait maternel pouvant même être effectué par les parents à leur domicile si on leur fournit le matériel nécessaire. D’autres études sur le sujet, portant sur davantage d’enfants, sont nécessaires afin de mieux cerner les bénéfices de cette option chez ces enfants.
Gestion de 2 cas de chylothorax congénital
Dans ces deux cas, l'allaitement a été mis en place lorsque l’état de l’enfant s’était suffisamment amélioré
Publié dans le n° 181 des Dossiers de l'allaitement, avril 2022.
D'après : Two cases of congenital chylothorax : a successful story of medical management. Kankananarachchi I et al. Case Rep Pediatr 2021 ; 6634326.
Le chylothorax congénital est la principale cause d’effusion pleurale chez les nouveau-nés, avec une présentation clinique très variable suivant les enfants. Les auteurs rapportent le suivi de 2 cas de chylothorax congénital vus dans leur service hospitalier du Sri Lanka.
Ce bébé était né à terme et par voie basse avec un poids de 2,9 kg. Les échographies prénatales n’avaient constaté aucune anomalie. Il a rapidement présenté une détresse respiratoire après la naissance et il a été transféré en néonatalogie. La radiographie pulmonaire a constaté un important épanchement pleural à gauche. Il a été mis sous oxygène par voie nasale. La ponction a permis de constater que le liquide pleural était lactescent et qu’il contenait un taux élevé de triglycérides. Le reste du bilan biologique était normal. On a donc diagnostiqué un chylothorax congénital. Un drain intercostal a été posé. Le nouveau-né a été placé sous perfusion d’octréotide pendant 48 heures. Cela a permis une baisse rapide du volume de l’épanchement et une amélioration importante de l’état clinique de l’enfant. Toutefois, l’arrêt de l’administration d’octréotide a induit une rechute et elle a donc été reprise et poursuivie pendant 7 ours supplémentaires. Le drain intercostal a été enlevé à J5. À partir de J3, on a donné à l’enfant une préparation pour nourrissons spéciale, enrichie en acides gras à chaîne moyenne, poursuivie jusqu’à J7 puis remplacée par l’allaitement. Le bébé est sorti du service à J12 en étant exclusivement allaité. Au dernier suivi à 18 mois, il se portait bien.
Ce bébé était né par césarienne en urgence effectuée à 38 semaines de gestation en raison d’une détresse fœtale. Il pesait 3,1 kg et son Apgar à la naissance était normal. Il a développé une détresse respiratoire dans les heures suivant la naissance et il a été transféré en néonatalogie et placé sous oxygénation. La radiologie thoracique a constaté un épanchement pleural massif à gauche. L’échographie n’a retrouvé aucune anomalie cardiaque. Un drain intercostal a été posé. Le liquide pleural était lactescent et contenait un taux élevé de triglycérides. Le reste du bilan était normal. Il a été immédiatement placé sous perfusion d’octréotide. À J3, on a introduit une préparation pour nourrissons spéciale, et il a commencé à recevoir du lait maternel à J7. Le drain intercostal a été enlevé à J6. La perfusion d’octréotide a été arrêté à J10. L’enfant est sorti du service à J14. Il était exclusivement allaité et avait repris son poids de naissance. Au dernier suivi à 8 mois, sa croissance et son développement étaient parfaitement normaux.
Le chylothorax congénital est une pathologie rare dont le taux de mortalité est de 20 à 60 % (jusqu’à 98 % dans certains cas) en fonction de sa sévérité et de l’existence d’une hypoplasie pulmonaire, d’une insuffisance cardiaque ou d’autres pathologies associées. Dans les 2 cas présentés ici, les enfants ont guéri rapidement et n’ont pas présenté de complications pendant la durée de leur suivi, probablement parce que le chylothorax était isolé et n’était pas sévère (il n’avait pas été détecté par les échographies effectuées pendant la grossesse), mais c’est loin d’être le cas dans d’autres situations. L’octréotide semble une option efficace de traitement, même si son mécanisme d’action n’est pas connu et qu’il n’existe pas d’étude clinique randomisée sur son efficacité et son innocuité. Dans cette étude, ce traitement n’a pas induit d’effets indésirables chez les nourrissons. L’alimentation par voie orale a été débutée avec une préparation pour nourrissons riche en acides gras à chaîne moyenne, l’allaitement étant mis en place lorsque l’état de l’enfant s’était suffisamment amélioré. À noter qu’en l’absence d’une préparation pour nourrissons adaptée à l’état de ces enfants, on peut donner du lait maternel écrémé et enrichi en acides gras à chaîne moyenne.
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