Publié dans le n° 182 des Dossiers de l'allaitement, mai 2022.
D'après : Breastfeeding with smoking cessation products. Anderson PO. Breastfeed Med 2021 ; 16(10) : 766-8
De nombreuses femmes en âge de procréer sont fumeuses, et certaines d’entre elles continueront à fumer pendant la grossesse et l’allaitement. L’impact négatif du tabagisme sur le fœtus est largement démontré, mais il a également un impact négatif pendant l’allaitement (Napierala). Des études ont constaté que les mères fumeuses étaient moins nombreuses à allaiter et qu’elles allaitaient moins longtemps. Le tabagisme semble abaisser la production lactée, peut-être en raison de l’impact de la nicotine, qui abaisse le taux sérique de prolactine et de somatostatine et augmente celui d’adrénaline. Les bébés de ces mères ont une prévalence plus élevée de coliques et d’infections respiratoires, et le tabagisme est un facteur majeur de risque de mort subite inexpliquée du nourrisson (MSIN). Le lait des mères fumeuses a un taux plus bas de certains nutriments, comme les antioxydants (Macchi), et un taux plus élevé de polluants tels que le plomb et le cadmium (Cherkani-Hassani ; Szukalska).
Certaines mères qui avaient arrêté de fumer pendant la grossesse attendent de ne plus allaiter pour recommencer (Orton). On pourra recommander à celles qui recommencent à fumer pendant l’allaitement de limiter leur consommation, d’éviter de fumer juste avant de mettre leur bébé au sein, de ne jamais fumer dans la même pièce que leur bébé, et d’enfiler un vêtement couvrant avant de fumer, qu’elles enlèveront après avoir fini de fumer et avant de prendre leur bébé dans leurs bras. On pourra également discuter avec ces mères des produits d’aide au sevrage tabagique utilisables pendant l’allaitement. Ces produits sont de deux types : les substituts nicotiniques et les médicaments (l’éventuel suivi psychologique sort du cadre de cet article).
Les substituts nicotiniques
On les recommande pour limiter le risque d’inhalation de la fumée de cigarette et des toxines qu’elle contient. Toutefois, la nicotine est susceptible d’augmenter le risque de MSIN. Des études sur des animaux suggèrent qu’elle est génotoxique et qu’elle induit la fabrication de radicaux libres. Les jeunes enfants exposés à la nicotine pourraient avoir un risque plus élevé d’asthme et d’emphysème par la suite, et certains spécialistes déconseillent fortement la nicotine sous toutes ses formes pendant l’allaitement (Alm ; Maritz). Toutefois, il n’existe pas de données fiables dans ce domaine.
Les substituts nicotiniques sont disponibles sous des formes dont la durée d’action peut être courte ou longue. Les formes à action courte sont les gommes, pastilles, comprimés, spray nasal, inhalateur. Leur utilisation induit un pic sérique de nicotine au bout de 4 à 15 minutes pour le spray et l’inhalateur, et de 15 à 30 minutes pour les gommes, pastilles et comprimés. La nicotine est absorbée par les muqueuses buccales et respiratoires, mais très peu par les poumons ou par le tractus digestif. Le taux plasmatique maternel de nicotine après utilisation d’un spray ou d’un inhalateur est environ 3 fois plus bas qu’après avoir fumé une cigarette. Ce taux après prise des produits par voie orale est variable en fonction de la teneur en nicotine du produit utilisé et du nombre de gommes ou autres pris quotidiennement, et il peut être similaire à celui constaté chez des mères fumeuses. Certains recommandent l’utilisation de produits à action courte, mais il n’existe pas d’étude comparant l’impact de ces produits par rapport à ceux à longue durée d’action.
Les patchs de nicotine sont les produits les plus souvent utilisés. Le pic sérique de nicotine est atteint après 6 à 8 heures, et ces produits maintiennent un taux sérique plus constant que ceux à courte durée d’action. Avec un patch à 21 mg, le taux lacté de nicotine est équivalent à celui obtenu en fumant 17 cigarettes par jour, mais il existe des patchs plus faiblement dosés. Une étude a recherché le niveau d’exposition de 15 nourrissons allaités par une mère utilisant des patchs à la nicotine. Les enfants avaient en moyenne 4,8 mois et le dosage des patchs allait de 7 à 21 mg/jour de nicotine (Ilett). Le taux lacté de nicotine était d’en moyenne 175 µg/l avec les patchs à 21 mg/jour de nicotine, soit un taux comparable à celui d’une mère fumeuse. Ce taux était de 140 et 70 µg/l avec les patchs à 14 et 7 mg/jour de nicotine. Le taux lacté de conitine baissait également avec le taux des patchs. Le taux plasmatique infantile de cotinine était de 22 µg/l avec les patchs à 21 mg/jour de nicotine, ce qui représentait 13,4 % du taux plasmatique maternel de cotinine au même moment. Au total, les enfants allaités étaient exposés à 1,9 % de la nicotine absorbée par la mère pour le poids et à environ 7,8 % du taux maternel ajusté pour le poids pour la nicotine + la cotinine. Cette étude constatait également que les mères utilisant ces patchs avaient une production lactée plus basse d’environ 17 % par rapport à la production lactée constatée par différentes études chez des mères non fumeuses, mais leur production lactée était similaire à celle constatée chez des mères fumeuses. Cette même étude faisait état d’un développement normal chez 5 de ces enfants.
Globalement, si ces produits sont largement utilisés par les mères fumeuses qui souhaitent arrêter de fumer, leur impact chez les mères allaitantes est mal documenté. Les produits à courte durée d’action exposent à des variations du taux sérique de nicotine plus proches de celles constatées chez les fumeuses, et la mère peut ajuster sa consommation par rapport aux horaires des tétées, comme pour les cigarettes. Chez les mères utilisant des patchs, le niveau d’exposition à la nicotine du bébé allaité est similaire à celui des bébés de mères fumeuses, mais sans les autres toxines présentes dans les cigarettes et sans exposition passive au tabagisme maternel. Il serait nécessaire de mener des études de bonne qualité sur l’impact de la nicotine chez l’enfant.
Les systèmes électroniques de délivrance de nicotine
Les cigarettes électroniques et autres produits de vapotage n’étaient pas conçus au départ comme des aides à l’arrêt du tabagisme. Toutefois, ils peuvent être utilisés dans ce but (Chan ; Hartmann-Boyce). Certaines mères qui fumaient avant la grossesse utilisent ces produits pour retarder la reprise du tabagisme après leur accouchement (Johnston). Les vapeurs délivrées par les e-cigarettes contiennent des produits potentiellement toxiques et cancérigènes similaires à ceux présents dans la fumée du tabac, mais à des doses plus basses, et le taux urinaire de ces toxines est également plus bas que chez les personnes fumeuses. Par ailleurs, une étude américaine menée auprès de femmes suivies par le PRAMS (Pregnancy Risk Assessment Monitoring System) a constaté que les femmes qui avaient utilisé ces produits pendant le dernier trimestre de leur grossesse et qui avaient probablement continué à le faire pendant l’allaitement étaient moins nombreuses à allaiter à 3 mois que les femmes non fumeuses et qui n’utilisaient pas ces produits (40,8 % contre 68,5 % – McBride).
Médicaments utilisés dans le cadre du sevrage tabagique
Le bupropion (Zyban®) est un antidépresseur qui semble avoir un impact bloquant sur certains récepteurs à la nicotine, mais qui pourrait également agir via l’inhibition de la recapture de la dopamine. Il est utilisé dans le cadre du sevrage tabagique à la posologie de 150 mg 2 fois par jour, en débutant le traitement 7 à 14 jours avant l’arrêt du tabagisme afin d’avoir un taux plasmatique stable. Il a 3 métabolites actifs dont le niveau d’activité est d’environ 50 % de celui du bupropion. Il a été étudié chez au total 14 mères allaitantes. Dans une étude, les auteurs estimaient que le bébé allaité recevrait en moyenne 2 % de la dose maternelle de produit actif (bupropion + ses métabolites actifs) ajustée pour le poids (Haas). Dans une autre étude, les auteurs estimaient que l’enfant recevait quotidiennement 5,1 à 31,1 µg/jour de nicotine, soit en moyenne 5,1 % (1,4 à 10,6 %) de la dose maternelle ajustée (Davis). Le bupropion et ses métabolites étaient indétectables dans le sang d’un bébé de 14 mois dont la mère prenait 100 mg de bupropion 3 fois par jour (Briggs). C’était également le cas chez un enfant exclusivement allaité de 15 semaines dont la mère prenait 75 mg/jour de bupropion, et chez un enfant de 29 semaines allaité à 80 % par une mère prenant 150 mg de bupropion par jour (Baab). Dans une étude incluant 3 nourrissons allaités âgés de 14 à 56 jours par une mère prenant 150 ou 300 mg/jour de bupropion, ce dernier était détectable dans les urines d’un seul des enfants ; ses métabolites n’ont toutefois pas été mesurés (Davis). Dans la plupart des études prenant ce fait en compte, aucun effet secondaire n’a été constaté chez les bébés allaités par une mère prenant du bupropion. Toutefois, des convulsions ont été rapportées chez 2 bébés allaités par une mère prenant une forme à libération prolongée (150 mg/jour). Curieusement, ces enfants avaient 6 à 6,5 mois et ils étaient partiellement allaités ; la responsabilité du bupropion semble donc peu probable (Chaudron ; Neuman). Il est utilisable pendant l’allaitement, l’enfant étant régulièrement suivi. Il est toutefois préférable de l’éviter lorsque l’enfant est un petit nourrisson.
La varénicline (Champix®) est un agoniste partiel des récepteurs nicotiniques neuronaux, qui se fixe au niveau des récepteurs à l’acétylcholine alpha 4ß2, impliqués dans la sécrétion de dopamine au niveau du cerveau, empêchant la nicotine de s’y fixer. Elle réduit l’"effet récompense" du tabagisme. Sa prise devrait être débutée 7 jours avant l’arrêt prévu du tabagisme afin d’avoir obtenu à ce moment un état d’équilibre. Il n’existe aucune donnée sur son utilisation pendant l’allaitement, que ce soit sur son taux lacté, son impact chez l’enfant allaité ou sur la production lactée. Un auteur souligne qu’à partir de données provenant d’animaux, la varénicline pourrait interférer avec le développement pulmonaire de l’enfant de la même façon que la nicotine (Maritz). En raison de l’absence de données, il est préférable de l’éviter, en particulier si la mère allaite un petit nourrisson ou un prématuré. D’après le fabricant, si une mère décide d’en prendre pendant l’allaitement, son bébé devrait être suivi à la recherche de convulsions et de vomissements importants.
En conclusion
Aucun des produits utilisés pour le sevrage tabagique ne présente un profil idéal pour une utilisation chez une mère allaitante. Soit ils sont susceptibles d’induire des effets secondaires chez l’enfant, soit les données manquent sur leur utilisation pendant l’allaitement. Le choix du produit sera fait au cas par cas, en fonction du profil de chaque mère sur le plan du tabagisme et de ses préférences. Certains produits comme les substituts nicotiniques à courte durée d’action semblent préférables dans la mesure où la mère peut moduler leur prise par rapport aux tétées.
Références
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• Macchi M et al. The effect of tobacco smoking during pregnancy and breastfeeding on human milk composition - a systematic review. Eur J Clin Nutr 2021 ; 75 : 736-47.
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• McBride M, Haile ZT. Association between electronic nicotine delivery systems use and breastfeeding duration. Breastfeed Med 2021.
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Article intéressant mais qui pousse pratiquement les fumeuses... à ne pas se soigner! En effet, même si les patchs ou autre substituts nocotiniques sont "nocifs", pour la mère et le bébé, ils permettront neammois à la mère de se sevrer du tabac!!! Le plus nocif dans l'histoire c'est le tabac... critiquer les moyens d'arrêter le tabac, sans offrir d'autres solutions, revient donc... à décourager les mères allaitantes fumeuses à arrêter de fumer! Au contraire, il faut les encourager à passer par ces substituts (toujours via leur médecin), qui augmentent leur chances de réussite d'arrêt complet.
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