Publié dans le n° 184 des Dossiers de l'allaitement, juillet 2022.
D'après : Monoclonal antibodies during breastfeeding. Anderson PO. Breastfeed Med 2021 ; 16(8) : 591-3.
Il existe maintenant de nombreux anticorps monoclonaux prescrits dans un nombre croissant de pathologies. L’auteur fait le point sur leur utilisation pendant l’allaitement.
Les anticorps monoclonaux sont des IgG synthétiques (essentiellement des IgG1) dont le poids moléculaire est de 145 000 à 150 000 Da. Ils sont administrés par voie parentérale car ils sont très peu absorbés par voie orale. Par ailleurs, le pic lacté survient habituellement 4 à 7 jours (voire > 2 semaines) après administration d’une dose. Leur taux sérique peut continuer à augmenter après plusieurs doses, et il existe d’importantes variations individuelles dans leur distribution et leur élimination. Leur pharmacocinétique est donc très différente de celle de la plupart des médicaments de faible poids moléculaire. Par ailleurs, l’évaluation des risques potentiels pour le bébé d’un médicament pris par une mère allaitante se fonde sur le calcul de la dose ajustée pour le poids, mais ce calcul est adapté aux médicaments de faible poids moléculaire susceptibles d’être absorbés par voie orale par le bébé allaité.
Par exemple, une étude a suivi l’excrétion lactée du natalizumab chez une mère qui en recevait 5 mg/kg toutes les 8 semaines. Elle a constaté un pic lacté de 2,83 mg/l, soit le taux lacté le plus élevé jamais retrouvé pour un anticorps monoclonal parmi les 30 études publiées sur ces molécules. Le natalizumab est une IgG4, et les IgG de cette classe passent mieux dans le lait mature que les IgG des autres classes. Si on applique le calcul de la dose ajustée à ce produit, le résultat est curieux. Le produit est donné toutes les 8 semaines, et la dose ajustée peut être calculée à partir du taux lacté constaté à un moment, divisée par le nombre de jours entre 2 doses, ou à partir du taux lacté constaté à un moment, considéré comme dose reçue quotidiennement par le bébé allaité. Avec la première méthode, on obtient une dose relative de 2,2 % de la dose maternelle, tandis qu’avec la seconde on obtient une dose relative de 124 % (2,2 % x 56 jours), soit 24 % de plus que ce que la mère a reçu, ce qui est bien entendu impossible dans la mesure où les anticorps monoclonaux passent peu dans le lait et ne seront guère absorbés par l’enfant. Globalement, la dose ajustée pour le poids n’est pas pertinente en ce qui concerne ces produits.
L’OMS a proposé de calculer le rapport entre le taux sérique infantile et le taux sérique maternel, méthode beaucoup plus adéquate pour évaluer le niveau de sécurité, car cela prend en compte l’excrétion lactée et l’absorption par le bébé allaité. Des études sur la digestion du palivizumab dans le tractus digestif du nourrisson ont trouvé que le produit était détruit à environ 50 %. Appliqué au taux lacté maximum de natalizumab, cela signifie que le bébé sera exposé quotidiennement à environ 1 mg de natalizumab. Chez les adultes, seulement 0,01 % des IgG présentes au niveau de l’intestin peuvent passer intactes dans la circulation générale, soit 0,01 mg chez le bébé, qui va se répartir dans le corps de l’enfant. En tablant sur un volume de distribution de 0,25 l, cela correspondra à un taux sérique d’environ 0,04 mg/l. Le taux sérique moyen d’une personne à qui on administre 300 mg de natalizumab est d’environ 110 mg/l. Le taux sérique infantile représenterait donc environ 0,04 % du taux sérique maternel, ce qui est négligeable.
Certains facteurs pourraient augmenter le taux sérique infantile d’anticorps monoclonaux. Pendant les 4 à 7 premiers jours post-partum, les jonctions entre les cellules épithéliales mammaires et les cellules intestinales infantiles ne sont pas encore complètement fermées, et les anticorps monoclonaux passeront donc davantage dans le lait, et davantage dans le sang du nouveau-né à partir de son tube digestif. Toutefois, le volume de colostrum est faible, ce qui limite le transfert du produit à l’enfant. Attendre que la montée de lait soit bien établie pourrait être recommandé avant d’injecter ce type de produit à la mère allaitante. La mastite peut également favoriser le transfert lacté de divers médicaments, incluant les IgG. Une étude a constaté que le taux lacté d’IgG chez des mères souffrant de mastite était en moyenne 4 fois plus élevé, mais il pouvait être jusqu’à 35 fois plus élevé. La mastite subclinique pourrait également faciliter le transfert lacté des IgG, et cela pourrait être une explication pour les taux lactés significativement plus élevés d’anticorps monoclonaux chez quelques mères. Certains ont envisagé la possibilité d’un impact négatif de ces anticorps sur la flore intestinale du nourrisson. Il n’existe aucune donnée sur le sujet, mais c’est envisageable avec les plus toxiques de ces produits, utilisés comme anticancéreux, sur lesquels on a fixé une toxine qui doit être délivrée dans la tumeur. Mais en pareil cas, la toxine est probablement beaucoup plus problématique que l’anticorps qui la transporte.
Lorsqu’ils sont administrés pendant le 3e trimestre de la grossesse, les anticorps monoclonaux traversent la barrière placentaire, et le nouveau-né pourra donc avoir un taux sérique mesurable du produit. Parmi toutes les études publiées sur le sujet, un seul cas de taux sérique infantile mesurable pouvait éventuellement être en rapport avec l’allaitement, même s’il est difficile de comprendre comment un tel taux sérique d’infliximab puisse être en rapport avec l’allaitement. Il faut toutefois noter que, parmi tous les enfants exposés in utero aux anticorps monoclonaux, aucun n’a présenté d’effet indésirable identifiable. C’est également le cas des 368 enfants exposés à ces produits pendant l’allaitement qui ont été suivis pendant au moins 6 mois, ce résultat étant toutefois à prendre avec précaution dans la mesure où l’allaitement était souvent contre-indiqué aux mères qui en recevaient dans le cadre d’un traitement anticancéreux.
Globalement, on peut poser des principes de base :
• La majorité des mères traitées par anticorps monoclonaux ont un taux lacté extrê-mement bas de l’anticorps monoclonal dans leur lait
• Environ la moitié de l’anticorps qui passera dans le lait sera détruit dans le tractus digestif de l’enfant
• Le taux d’anticorps absorbés par l’enfant à partir du lait maternel est négligeable
• Lorsque le nouveau-né a un taux faible mais détectable d’anticorps monoclonal dans son sang suite au transfert placentaire, aucun effet indésirable n’a été rapporté, bien qu’il existe un risque potentiellement plus élevé d’infection ou de complication suite à une vaccination (infection suite à un vaccin à germe vivant ou mauvaise réponse à un vaccin inactivé) avec les anticorps monoclonaux immunosuppresseurs.
Diverses organisations de spécialités médicales ont publié des recommandations de plus en plus permissives concernant l’allaitement par une mère sous anticorps monoclonaux. Ils sont le plus souvent utilisés dans le traitement des pathologies inflammatoires intestinales, du psoriasis, de la polyarthrite rhumatoïde et autres pathologies du même type. Par exemple, une recommandation précise que l’administration d’anticorps monoclonaux pour le traitement d’une pathologie inflammatoire intestinale peut être repris 24 heures après un accouchement par voie basse et 48 heures après une césarienne. Les bénéfices de l’allaitement doivent être pris en compte, ainsi que les bénéfices pour la mère d’un traitement efficace. Il n’existe aucune recommandation concernant les anticorps monoclonaux à visée anticancéreuse. Le plus souvent, on recommande de suspendre l’allaitement pendant une durée variable, habituellement 5 à 6 demi-vies du produit administré, ce qui peut signifier des mois, rendant l’allaitement impossible en pratique. Toutefois, les instructions du fabricant concernant le daratumumab (utilisé dans le traitement du myélome multiple) précisent que les données existantes suggèrent que les anticorps monoclonaux excrétés dans le lait maternel ne passeront pas dans le sang de l’enfant de façon importante.
On reconnaît de plus en plus que la grande majorité des anticorps monoclonaux administrés aux mères allaitantes ne présentent guère de risques pour le nourrisson allaité en raison de leur faible passage lacté et de leur absorption négligeable par l’enfant. Les produits à visée oncologique sont actuellement l’exception, en partie en raison d’une possible toxicité et en partie en raison du manque de données, mais on ignore dans quelle mesure la grande méfiance vis-à-vis de ces produits spécifiques est justifiée.
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