Publié dans le n° 190 des Dossiers de l'allaitement, janvier 2023.
D'après : Emergency contraception while breastfeeding. Anderson PO. Breastfeed Med 2022 ; 17(8) : 635-7.
Si une mère allaite exclusivement ou presque (≥ 85 %) depuis < 6 mois et qu’elle est aménorrhéique, il est peu probable qu’elle tombe enceinte après un rapport sexuel non protégé, en raison de l’aménorrhée lactationnelle (MAMA). Toutefois, si ces conditions ne sont pas respectées, une grossesse est possible et une contraception d’urgence pourra être nécessaire. Il existe plusieurs alternatives de contraception d’urgence évaluées plus bas.
Il est important de prendre en compte l’efficacité d’une méthode et le délai écoulé depuis le rapport non protégé. Les études sur le sujet ont constaté qu’un dispositif intra-utérin (DIU) au cuivre et des doses faibles à modérées de mifépristone sont plus efficaces que les méthodes hormonales. L’ulipristal acétate est plus efficace que le lévonorgetrel, et le protocole Yuzpe (combinant la prise d’un œstrogène et d’un progestatif) est peu efficace (Cheung ; Shen). La contraception orale doit être utilisée dans les 5 jours qui suivent le rapport non protégé, mais une étude a constaté que la pose d’un DIU au cuivre était efficace jusqu’à 14 jours après un tel rapport. Le lévonorgestrel est efficace jusqu’à 5 jours après le rapport, mais pas autant que l’ulipristal pris dans les 3 à 5 jours suivant le rapport. Le lévonorgestrel semble également moins efficace que l’ulipristal chez les femmes obèses (Curtis ; Shen).
Lévonorgestrel
Le lévonorgestrel est un progestatif synthétique. On préconisait auparavant la prise de 2 doses de 0,75 mg à 12 heures d’intervalle, mais actuellement on le recommande en dose unique de 1,5 mg, par voie orale. Il est faiblement excrété dans le lait. Une étude menée auprès de 12 femmes allaitant un bébé âgé de 6 à 12 semaines a constaté un pic lacté de lévonorgestrel en moyenne 3,9 heures après la prise et une demi-vie lactée de 26 heures. Le taux lacté moyen était de 1,7 µg/l pendant les premières 24 heures, de 0,4 µg/l le jour suivant et de 0,2 µg/l le 3e jour. Les auteurs calculaient qu’un nourrisson exclusivement allaité recevrait au total 2,1 µg de lévonorgestrel pendant les 3 jours suivant la prise maternelle (Betrabet). Une étude a suivi 71 mères allaitantes ayant pris du lévonorgestrel pour une contraception d’urgence et n’a constaté aucun effet secondaire chez les enfants allaités (Polakow-Farkash). C’était également le cas dans une étude menée auprès de 1 158 femmes randomisées pour prendre ou non du lévonorgestrel en plus de la MAMA (méthode de l’allaitement maternel et de l’aménorrhée – Shaaban), ou d’une étude plus récente menée par la même équipe selon un protocole similaire (Shaaban). La croissance et le développement de tous les enfants ont été normaux. On estime que l’allaitement peut être repris 3-4 heures après la prise de lévonorgestrel pour une contraception d’urgence.
Ulipristal
L’ulipristal acétate (Ellaone®) est un modulateur synthétique sélectif des récepteurs de la progestérone, actif par voie orale. Il est utilisé à la dose unique de 30 mg pour la contraception d’urgence. Il est métabolisé en mono et didéméthyl ulipristal, le monodéméthyl ulipristal étant pharmacologiquement actif. Au début de sa commercialisation, sa prise pendant l’allaitement était déconseillée, et en 2015 l’OMS (WHO) a recommandé une suspension de l’allaitement pendant 1 semaine après la prise en raison de sa longue demi-vie sérique (32,4 ± 6,3 heures). Aux États-Unis, les recommandations du CDC en 2016 préconisaient une suspension de l’allaitement de seulement 24 heures (Curtis), et en 2018, suite aux recommandations de la FDA après analyse de l’étude de Curtis et al, plus aucune période de suspension n’était recommandée. Dans cette étude menée auprès de 12 mères allaitantes, des échantillons de lait ont été collectés toutes les 24 heures après la prise pendant 5 jours et on y a recherché l’ulipristal et le monodéméthyl ulipristal. Le taux lacté moyen d’ulipristal était de 22,7 µg/l pendant le 1er jour, 2,96 µg/l pendant le 2e jour, 1,56 µg/l pendant le 3e jour, 1,05 µg/l pendant le 4e jour et 0,10 µg/l pendant le 5e jour. Le taux lacté moyen du monodéméthyl ulipristal était respectivement de 4,49, 0,62, 0,28, 0,17 et 0,10 µg/l. Les auteurs calculaient qu’un nourrisson exclusivement allaité recevrait au total 5,2 µg/kg de produit actif (ulipristal + métabolite) pendant les 5 jours suivant la prise maternelle, soit environ 1 % de la dose maternelle, à savoir un niveau très faible d’exposition.
Protocole Yuzpe
Ce protocole fait appel à des contraceptifs oraux utilisés pour la contraception hormonale au long cours, à des doses plus élevées et plus rapprochées. Il n’est plus guère utilisé actuellement dans de nombreux pays, mais il le reste dans certains pays où d’autres contraceptions d’urgence ne sont pas disponibles. Il faut combiner la prise de 100 µg d’éthinyl œstradiol et de 0,50 mg de lévonorgestrel, ce qui équivaut à 2 pilules œstro-progestatives fortement dosées, et ce 2 fois à 12 heures d’intervalle. Cette méthode est moins efficace que les produits actuellement utilisés et elle induit fréquemment des nausées et des vomissements. Son utilisation pendant l’allaitement n’a pas été étudiée, mais celle de ces produits utilisés comme contraceptifs oraux au long cours l’a été et leur excrétion lactée est compatible avec l’allaitement. Il est peu probable que la dose plus élevée prise sur 24 heures pour la contraception d’urgence ait un impact négatif chez le bébé allaité, mais elle peut abaisser la production lactée au moins temporairement.
DIU au cuivre
La pose d’un DIU au cuivre chez les mères allaitantes a fait l’objet de nombreuses études dans lesquelles il était comparé à d’autres modes de contraception. Ce DIU est considéré comme la méthode la plus efficace de contraception d’urgence et il n’a aucun impact sur la lactation, mais aucune étude n’a été effectuée auprès de femmes l’utilisant pour la contraception d’urgence. Une méta-analyse concluait que son utilisation pendant l’allaitement n’induisait pas plus d’effets secondaires (expulsion, douleurs, saignements… amenant la femme à demander le retrait) que chez les femmes non allaitantes. Toutefois, il semble que le risque de perforation utérine soit plus élevé chez les femmes allaitantes en post-partum précoce (Berry-Bibee). L’impact du cuivre du DIU sur le statut maternel pour le cuivre pendant l’allaitement a été comparé dans 3 groupes de femmes : 2 groupes chez qui on a posé 2 DIU au cuivre différents et un groupe témoin sans stérilet. Des échantillons de lait ont été collectés avant la pose et 6 semaines plus tard, et aucune différence significative n’a été constatée entre ces divers groupes concernant le taux lacté de cuivre.
Mifépristone
La mifépristone (Mifégyne®) a été utilisée par voie orale pour la contraception d’urgence suivant divers protocoles : 2 prises de 25 mg à 12 heures d’intervalle, 10 mg/jour pendant 3 jours ou 10 mg/jour pendant 5 jours (Shen). Ces doses sont nettement plus basses que la dose de misoprostol de 200 mg utilisée pour les IVG. Concernant la contraception d’urgence, une dose < 25 mg est probablement moins efficace qu’une dose de 25 à 50 mg, mais ces 2 posologies sont plus efficaces que la prise de lévonorgestrel à la dose de 0,75 mg à 2 reprises à 12 heures d’intervalle. Il n’existe qu’une seule étude sur l’excrétion lactée de la mifépristone, menée auprès de 12 mères allaitantes qui en ont pris à dose élevée pour une IVG (Sääv). Elles allaitaient un enfant de 6 à 12 mois et elles ont fourni des échantillons de lait quotidiennement pendant 5 jours. Chez les 2 femmes ayant reçu la dose standard de 200 mg, la mifépristone était indétectable dans tous les échantillons de lait. 10 femmes ont reçu une dose de 600 mg de mifépristone. Son taux lacté était en moyenne de 172 µg/l le 1er jour, 66 µg/l le 2e jour, 31 µg/l le 3e jour, 24 µg/l le 4e jour et 25 µg/l le 5e jour. Ce taux était le plus élevé entre 6 et 9 heures après la prise, et il avait déjà fortement baissé entre 9 et 15 heures après la prise. Les auteurs estimaient qu’un nourrisson exclusivement allaité recevrait en moyenne 0,5 % de la dose maternelle (1,5 % au maxi-mum). Ils concluaient qu’aucune suspension de l’allaitement n’était nécessaire après une prise unique de mifépristone, mais qu’une dose de 200 mg était probablement préférable à une dose de 600 mg chez les mères allaitantes.
Contraception après la prise d’une contraception d’urgence
Il est prudent de démarrer une contraception régulière après la prise d’une contraception d’urgence, sauf en cas de pose d’un DIU au cuivre, dont l’impact contraceptif dure au moins 10 ans. Les méthodes non hormonales (préservatifs, diaphragme…) peuvent être utilisées immédiatement après une contraception d’urgence (Curtis). Certains recommandent une méthode non hormonale pendant au moins 7 jours après la contraception d’urgence, ou jusqu’aux règles suivantes (en raison des interférences entre les méthodes hormonales et la contraception d’urgence). Les progestatifs (pilules, implant, produit injectable) peuvent être utilisés, mais certains recommandent d’éviter les implants et la forme injectable jusqu’à 6 semaines post-partum. Les produits contenant un œstrogène sont habituellement déconseillés chez les mères allaitantes car ils peuvent interférer avec la production lactée, et les recommandations concernant le moment de leur introduction varient suivant les organismes. L’OMS estime que les contraceptifs oraux combinés ne devraient pas être utilisés avant 3-4 semaines post-partum en raison d’un risque thromboembolique plus élevé. L’OMS estime également qu’entre 6 semaines et 6 mois, leurs désavantages sont habituellement supérieurs à leurs bénéfices chez les mères allaitantes. Il est également possible de consulter le protocole de l’ABM sur le sujet (Berens).
En conclusion
Les produits actuellement prescrits pour la contraception d’urgence sont compatibles avec l’allaitement. La pose d’un DIU au cuivre et la prise d’ulipristal acétate et de mifépristone sont plus efficaces que la prise de lévonorgestrel. Le protocole Yuzpe n’est pas conseillé en raison de son efficacité médiocre et de ses effets secondaires. Pour la contraception au long cours mise en œuvre après la contraception d’urgence, le DIU au cuivre et la contraception par progestatifs seuls sont à privilégier.
Références
• Berens P, Labbok M. ABM clinical protocol #13: Contraception during breastfeeding, revised 2015. Breastfeed Med 2015 ; 10 : 3-12. www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/textes-de-l-academy-of-breastfeeding-medicine/1050-13-contraception-pendant-lallaitement
• Berry-Bibee EN et al. Safety of intrauterine devices in breastfeeding women : A systematic review. Contraception 2016 ; 94 : 725-38.
• Betrabet SS et al. ICMR Task Force Study on hormonal contraception. Transfer of norethisterone (NET) and levonorgestrel (LNG) from a single tablet into the infant's circulation through the mother's milk. Contraception 1987 ; 35 : 517-22.
• Cheung TS et al. The intrauterine device versus oral hormonal methods as emergency contraceptives : A systematic review of recent comparative studies. Sex Reprod Health 2021 ; 28 : 100615.
• Curtis KM et al. U.S. medical eligibility criteria for contraceptive use, 2016. MMWR Recomm Rep 2016 ; 65 : 1-103.
• Polakow-Farkash S et al. Levonorgestrel used for emergency contraception during lactation – A prospective observational cohort study on maternal and infant safety. J Matern Fetal Neonatal Med 2013 ; 26 : 219-21.
• Sääv I et al. Medical abortion in lactating women - low levels of mifepristone in breast milk. Acta Obstet Gynecol Scand 2010 ; 89 : 618-22.
• Shaaban OM et al. Emergency contraceptive pills as a backup for lactational amenorrhea method (LAM) of contraception : A randomized controlled trial. Contraception 2013 ; 87 : 363-9.
• Shaaban OM et al. Levonorgestrel emergency contraceptive pills use during breastfeeding; effect on infants' health and development. J Matern Fetal Neonatal Med 2019 ; 32 : 2524-8.
• Shen J et al. Interventions for emergency contraception. Cochrane Database Syst Rev 2019 ; 1 : Cd001324.
• WHO. Critères de recevabilité médicale pour l’adoption et l’utilisation continue de méthodes contraceptives, 5e ed, 2015. https://www.who.int/fr/publications/i/item/9789241549158
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