Publié dans le n° 191 des Dossiers de l'allaitement, février 2023.
D'après : Increase of human milk fat inducing nutritional ketosis in exclusively breastfed infant, brought about by treating the mother with ketogenic dietary therapy. Tan-Smith C et al. J Hum Lact 2022 ; 38(2) : 281-6.
L’alimentation cétogène est utilisée dans le cadre du traitement de certaines pathologies, comme l’épilepsie réfractaire au traitement médical. On a constaté que l’état des personnes touchées s’améliorait à partir d’un certain niveau de production de cétones. Lorsqu’un nourrisson allaité présentait une telle épilepsie, on recommandait habituellement l’arrêt de l’allaitement, remplacé par un lait spécial. Les auteurs présentent le cas d’une mère qui souhaitait poursuivre l’allaitement dans toute la mesure du possible, et chez qui une alimentation cétogène a été mise en place afin d’augmenter son taux lacté de lipides.
Les parents de l’enfant étaient tous deux d’origine caucasienne et n’avaient aucun antécédent médical particulier. Après une grossesse parfaitement normale, la mère a accouché à domicile 12 jours après la date prévue du terme, sans aucune complication. Elle s’est présentée en consultation hospitalière 18 heures après la naissance en raison de crises épileptiques chez son bébé. L’examen a constaté une hémorragie ventriculaire avec extension parenchymateuse touchant essentiellement le lobe frontal droit. L’administration de lévétiracétam a permis de contrôler les crises. Mais l’enfant a développé une hydrocéphalie qui a nécessité la pose d’un shunt. La zone parenchymateuse touchée a évolué avec développement d’une porencéphalie frontale. L’enfant a été revu à 6 mois. Il était toujours sous lévétiracétam mais présentait des spasmes toniques asymétriques en salves. Les tentatives de traitement par clobazam, vigabatrine et stéroïdes ont été inefficaces pour contrôler les crises, et l’EEG constatait une activité de type épileptique au niveau frontal droit. Par ailleurs, son développement se caractérisait par un retard moteur, compatible avec des troubles hémiplégiques à gauche. À 7 mois ½, il avait 4 à 5 salves convulsives par jour. Il était toujours exclusivement allaité, entre autres en raison de son retard moteur. On a commencé à discuter avec les parents de la mise en œuvre d’un régime cétogène. La mère souhaitant poursuivre l’allaitement, l’équipe soignante a inclus un diététicien afin de déterminer avec la mère les modalités chez elle d’un régime cétogène susceptible d’augmenter son taux lacté de lipides, et de permettre à l’enfant d’avoir un régime cétogène à base de lait maternel.
Son enfant avait 10 mois lorsque ce régime a été débuté. Afin de le rendre plus facile à suivre, il contenait moins de lipides et davantage de protéines qu’un régime cétogène classique, et était conçu pour apporter environ 2 000 kcal/jour. Le pourcentage de lipides a été augmenté jusqu’à 79-80 %, celui des glucides étant réduit en proportion inverse. La mère recherchait quotidiennement à l’aide d’autotests sa glycémie et son taux de cétones. La mère a bien toléré le régime, ainsi que son bébé. Elle avait collecté un échantillon de lait avant le démarrage du régime, et a continué toutes les semaines pendant les 6 premières semaines du régime pour dosage des macronutriments. Elle a poursuivi l’allaitement exclusif, l’enfant ne recevant strictement rien d’autre sauf les antiépileptiques.
Après 3 semaines de régime et par rapport à l’échantillon collecté avant le début du régime, le taux lacté de lipides était passé de 27 à 68 g/l, le taux de protéines était passé de 12 à 16 g/l, le taux de glucides était passé de 34 à 80 g/l, l’apport calorique passant de 427 à 1 001 kcal/l. Le taux lacté de cétone était de 0,4 mmol/l et il est monté par la suite à 0,7-1,1 mmol/l. L’augmentation du taux lacté des macronutriments a permis à l’enfant de maintenir une bonne prise de poids avec l’allaitement exclusif. Le taux sérique infantile de cétones est passé de 1,1 à 1,6-2,1 mmol/l 3 semaines après le début du régime maternel. La fréquence des crises épileptiques a baissé de 75 à 90 % et le développement de l’enfant s’est significativement amélioré (il tenait bien sa tête, pouvait s’asseoir…), même si l’EEG constatait la persistance du foyer épileptogène au niveau frontal droit. 6 semaines après le démarrage du régime maternel, il a commencé à recevoir des solides (adaptés à un régime cétogène) et il a été sevré à 14 mois pour un régime cétogène, la mère reprenant son alimentation antérieure.
Ce cas est le premier à constater qu’il est possible d’augmenter significativement le taux de lipides dans le lait d’une mère qui allaite un bébé souffrant d’épilepsie résistant au traitement médicamenteux, via la mise en œuvre chez la mère d’un régime cétogène. Le lait maternel modifié suite à ce régime constitue pour l’enfant un régime cétogène qui s’est avéré efficace dans ce cas, tant sur les manifestations cliniques d’épilepsie que sur le développement général de l’enfant. On ignore si l’augmentation du taux sérique maternel de cétones s’accompagne d’une augmentation de leur taux lacté, et dans ce cas on ignore donc si l’augmentation du taux sérique infantile de cétones était en rapport avec l’apport via le lait maternel ou avec leur synthèse par le bébé. Il serait utile de rechercher le taux lacté de cétones. Cette expérience a amené les services de santé de Nouvelle-Zélande à modifier leurs recommandations concernant le régime cétogène chez les nourrissons épileptiques afin d’inclure la possibilité de poursuivre l’allaitement, la mère suivant un régime cétogène sous supervision d’un diététicien. L’augmentation importante du taux lacté de nutriments avec ce régime pourrait également être intéressante lorsque la mère allaite un nourrisson ayant des besoins caloriques élevés.
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