Publié dans le n° 193 des Dossiers de l'allaitement, avril 2023.
D'après : Drugs for treating alcohol use disorders during lactation. Anderson PO. Breastfeed Med 2022 ; 17(11) : 872-4
Une étude américaine a constaté que 36 % des mères allaitantes consommaient de l’alcool (contre 40 % des mères qui n’allaitaient pas). Certaines d’entre elles pouvaient abuser de l’alcool avant leur grossesse ou développer un tel abus pendant l’allaitement. L’alcoolisme est un trouble complexe et difficile à prendre en charge, qui nécessite un soutien psychosocial et un traitement médicamenteux. Sa prévalence semble avoir augmenté pendant l’épidémie de COVID-19. Un médecin pourra donc avoir à prescrire un traitement médicamenteux d’aide au sevrage de l’alcool chez une mère allaitante. Il existe globalement peu ou très peu de données sur les produits utilisables.
Médicaments approuvés pour le sevrage alcoolique
L’acamprosate (Aotal®) est un analogue de la taurine dont la structure est similaire à celle de l’acide gamma-amino butyrique (GABA). On estime qu’il agit en modulant l’activité glutaminergique mais son mécanisme exact est inconnu. Sa principale utilité est de favoriser une abstinence complète. Il n’existe aucune donnée sur son utilisation pendant l’allaitement. C’est une petite molécule très faiblement liée aux protéines plasmatiques et elle est donc susceptible de bien passer dans le lait maternel. Toutefois, sa disponibilité orale est faible (il est administré sous forme de comprimés gastrorésistants), ce qui limitera son excrétion lactée ainsi que son absorption par le bébé allaité. Les diarrhées sont le principal effet indésirable, et le bébé allaité sera surveillé sur ce plan. Il fait partie des produits conseillés en première intention pour le sevrage alcoolique. S’il n’est pas contre-indiqué pendant l’allaitement, d’autres produits pourraient être préférables.
La naltrexone (Selincro®) est un antagoniste des opiacés. Elle est métabolisée en bêta-naltrexol, qui est le produit actif. La consommation d’alcool induit la sécrétion d’opiacés endogènes qui encouragent la poursuite de la consommation, et la naltrexone peut bloquer ce renforcement lié à la consommation d’alcool. La naltrexone est efficace pour abaisser le niveau de consommation chez les gros buveurs et elle favorise l’abstinence. Elle a été étudiée chez une femme qui allaitait un enfant de 1,5 mois, qui en prenait 50 mg/jour pendant la grossesse et a poursuivi le traitement pendant l’allaitement (Chan). Elle a fourni des échantillons de lait exprimés entre 3,7 et 23 heures après une prise. La naltrexone était indétectable à partir de 8 heures post-dose, tandis que le bêta-naltrexol restait détectable dans tous les échantillons, à un taux moyen de 46 µg/l. La demi-vie lactée de la naltrexone et du bêta-naltrexol était de respectivement 2,5 et 7,7 heures. Ces deux molécules étaient indétectables dans le sang de l’enfant collecté 9,5 heures après la prise maternelle et 30 minutes après une tétée. Les auteurs estimaient qu’un nourrisson exclusivement allaité recevrait environ 7 µg/kg/l de ces deux molécules, soit 0,86 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Le bébé n’a présenté aucun effet secondaire. La naltrexone semble donc un bon choix pendant l’allaitement.
Le nalméfène (Selincro®) est un antagoniste des récepteurs du système opioïde. Il est censé être pris environ 2 heures avant une éventuelle exposition à l’alcool afin d’encourager l’abstinence. Il n’existe aucune donnée sur son excrétion lactée, mais son niveau de toxicité est du même ordre que celui de la naltrexone ou de la naloxone, et un effet secondaire chez le bébé allaité semble peu probable. À noter que ce produit augmente le taux sérique de prolactine chez les hommes et les femmes non allaitantes.
Le disulfirame (Espéral®) bloque la métabolisation de l’acétaldéhyde (un métabolite de l’alcool), ce qui induit diverses réactions désagréables en cas d’ingestion d’alcool. Il n’existe aucune donnée sur son utilisation pendant l’allaitement, et il est donc déconseillé.
Médicaments utilisés hors AMM
Le baclofène (Baclocur®) est un agoniste du récepteur GABA approuvé comme myorelaxant. Il peut être utile chez les alcooliques qui présentent une spasticité musculaire ou une dyskinésie, et son excrétion lactée a été évaluée chez des femmes présentant ce type de problèmes. Une femme souffrant de paraplégie spastique en a pris une dose unique de 20 mg à J14. Le pic lacté, 4 heures après la prise maternelle, était de 0,13 mg/l, et la demi-vie lactée était de 5,6 heures. Les auteurs estimaient que 22 µg au total étaient excrétés dans le lait maternel pendant les 26 heures suivant la prise (Eriksson). Suite à une lésion médullaire, une femme a pris 20 mg de baclofène 4 fois par jour pendant la grossesse et l’allaitement. Elle a fourni des échantillons de lait à divers moments pendant 3 jours consécutifs. Le pic lacté était de 0,343 mg/l et le taux lacté moyen était de 0,297 mg/l. À partir des taux constatés, les auteurs estimaient que le bébé allaité recevait environ 0,048 mg/kg/jour, soit 3,6 % de la dose maternelle ajustée (Lin). Enfin, une femme souffrant de myopathie spastique suite à une lésion cérébrale a reçu du baclofène par injection intrathécale à l’aide d’une pompe pendant la grossesse et l’allaitement (330 µg/jour). Elle a fourni un échantillon de lait, dont le taux de baclofène était de 0,616 µg/l (Hara). L’excrétion lactée du baclofène est donc faible et ne devrait pas poser de problème chez le bébé allaité, en particulier s’il a plus de 2 mois. Le nourrisson sera surveillé à la recherche d’une sédation.
La gabapentine (Neurontin®) module l’activité du GABA. Elle pourrait être utile chez les personnes alcooliques présentant également une comorbidité traitée avec ce produit (syndrome sévère des jambes sans repos par exemple). Elle peut également soulager les troubles induits par le sevrage alcoolique. Il existe peu de données sur son excrétion lactée. Une étude a suivi 4 femmes qui avaient accouché depuis 12 à 21 jours et une 5e qui était à J97 (Ohman). Elles ont fourni des échantillons de lait 10 à 15 heures après une prise (0,6 à 2,1 g/jour suivant les femmes). Leur taux lacté était de 4,5 mg/l en moyenne (1,2 à 8,7 mg/l). Les auteurs estimaient qu’un nourrisson exclusivement allaité recevrait 0,2 à 1,3 mg/kg/jour de gabapentine, soit 1,2 à 3,8 % de la dose maternelle ajustée. Une autre étude menée par la même équipe faisait état de taux lactés du même ordre dans 8 échantillons de lait fournis par 3 mères supplémentaires (Ohman). Enfin, une étude a suivi une femme qui en a pris 600 mg 3 fois par jour pendant les 6 premières semaines post-partum pour des douleurs dorsales chroniques (Kristensen). Elle a fourni 8 échantillons de lait sur 24 heures. Le taux lacté allait de 5 à 7 mg/l, et un nourrisson exclusivement allaité était exposé à 0,86 mg/kg/jour de gabapentine, soit 2,34 % de la dose maternelle ajustée. La gabapentine est considérée comme utilisable pendant l’allaitement. L’enfant sera suivi à la recherche d’une sédation, d’une prise de poids insuffisante ou d’un retard de développement.
L’ondansétron (Setofilm®, Zophren®) est un antagoniste de la sérotonine qui peut abaisser la sécrétion de dopamine au niveau du système nerveux central. Il semble être le plus efficace chez les personnes de < 25 ans dont l’alcoolisme est récent. Aucun effet secondaire n’a été rapporté chez les nouveau-nés lorsque la mère en recevait pendant la césarienne ou le post-partum précoce pour la prévention des nausées et des vomissements (Jelting ; Uerpai-rokkit). Un modèle mathématique a été utilisé pour estimer son excrétion lactée à partir de 67 échantillons de sang et de 53 échantillons de lait collectés auprès de 78 mères qui avaient reçu de l’ondansétron en IV (Job). Ce modèle prédisait un pic lacté moyen de 20,2 µg/l et estimait que l’enfant recevrait en moyenne 3,3 % de la dose maternelle ajustée et 1,6 % de la dose utilisée chez les enfants à partir de 1 mois (ce produit est utilisable en pédiatrie). Aucun effet secondaire n’est attendu chez le bébé allaité.
L’oxybate de sodium (Xyrem®) est le nom pharmaceutique de l’acide gamma-hydroxybutyrique (GHB), une molécule qui module l’activité du GABA. Il est normalement présent dans le lait maternel à un faible taux (0,13 à 1,3 mg/l – Busardò ; Swick), et des mères traitées par ce produit pour une narcolepsie ont allaité. Le traitement typique de la narcolepsie est de 2 prises pendant la nuit, l’allaitement étant habituellement suspendu après la 1re dose et jusqu’à 4-6 heures après la 2e dose, l’allaitement étant ensuite repris. Une étude a suivi une femme qui en prenait 3 g à 2 reprises pendant la nuit. Son taux lacté 4, 10 et 16 heures après la 2e dose était de 3,5, 0,9 et 0,8 mg/l (Barker). Dans une autre étude, une femme en prenait 4 g 2 fois par nuit. Elle tirait son lait et le jetait pendant les 4 heures suivant ces 2 prises. Elle a allaité exclusivement jusqu’à 6 mois, son enfant étant régulièrement suivi. Son développement a été normal (Gashlin). Dans le cadre d’un sevrage alcoolique, l’oxybate est pris 3 à 4 fois par jour, ce qui rendra difficile de respecter une suspension de l’allaitement de 4 heures après chaque prise. Toutefois, les doses prescrites représentent 30 à 50 % des doses prescrites pour la narcolepsie, ce qui abaisse d’autant le risque théorique pour le nourrisson.
Le topiramate (Epitomax®) augmente l’activité du GABA et abaisse le taux de dopamine dans le système nerveux central. Il pourrait être plus spécifiquement utile chez les personnes souffrant de migraines ou de binge drinking. Sa principale indication est le traitement de l’épilepsie et son excrétion lactée a été étudiée dans ce cadre. Des posologies maternelles allant jusqu’à 200 mg/jour induisaient une excrétion lactée allant de 3,1 à 5,9 mg/l (Gentile ; Kacirova ; Öhman). Les enfants de ces mères n’ont pas présenté d’effet secondaire et leur développement a été normal. Le bébé d’une mère prenant 100 mg/jour de topiramate a toutefois présenté une diarrhée à J40, ainsi qu’une baisse de la prise de poids. 2 semaines plus tard, la mère a arrêté l’allaitement et la diarrhée a disparu dans les 24 heures (Westergren). De rares cas de sédation ont également été rapportés. L’enfant allaité sera suivi sur le plan des selles, du niveau d’éveil, de la prise de poids et du développement général.
En conclusion
Il existe peu de données sur l’excrétion lactée des produits utilisables pour le sevrage alcoolique. La naltrexone est probablement le meilleur choix pendant l’allaitement. Les médicaments utilisés hors AMM comme le baclofène, la gabapentine, l’ondansétron et le topiramate sont probablement utilisables chez la mère allaitante.
Références
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