Publié dans le n° 186 des Dossiers de l'allaitement, septembre 2022
D'après : Lactose intolerance : myths and facts. An update. Tocal MDC et al. Arch Argent Pediatr 2022 ; 120(1) : 59-66.
Le lactose est un composant majeur de tous les laits animaux dont il est le sucre spécifique, incluant le lait humain. C’est un disaccharide composé de galactose et de glucose, réunis par une liaison entre le carbone 1 du galactose et le carbone 4 du glucose. L’hydrolyse de cette liaison nécessite la présence d’une enzyme, la lactase (ou bêta-galactosidase), dont l’action permettra la digestion des 2 monosaccharides. L’activité de la lactase culmine à la naissance et baisse progressivement pendant le sevrage. Environ 35 % des adultes gardent une certaine activité de la lactase, avec d’importantes variations suivant les pays en fonction des pratiques alimentaires (jusqu’à 90 % dans les pays nordiques contre 10 % dans les pays d’Asie du Sud-Est). Des études récentes ont modifié notre perception sur l’intérêt nutritionnel du lactose, sa production, sa digestion et son absorption. En dépit des nouvelles connaissances acquises, les effets négatifs du lactose restent mieux connus du grand public que ses bénéfices. En conséquence, des mères pourront décider d’arrêter d’allaiter en raison de troubles digestifs attribués à une intolérance au lactose chez leur bébé, et de jeunes enfants pourront être mis sous un régime sans produits laitiers jusqu’à l’âge adulte pour la même raison sans aucune preuve à l’appui de cette intolérance. Afin de clarifier la situation, les auteurs font le point sur la physiopathologie de l’intolérance au lactose et les mythes autour de cette intolérance.
Le lactose est de loin le principal glucide de tous les laits animaux, mais son taux varie suivant les espèces. Dans le lait humain, il représente 90 % des glucides digestibles, avec un taux d’environ 70 g/l, ce qui représente en moyenne 40 % des apports caloriques. Son taux tend à augmenter pendant l’allaitement. Le lait de vache contient en moyenne 46 g/l de lactose. Les préparations pour nourrissons dites de 1er âge en contiennent 54 à 82 g/l. Le lactose est synthétisé au niveau de l’appareil de Golgi des lactocytes à partir du glucose et du galactose apportés par le sang. Cette synthèse dépend d’une enzyme constituée de 2 sous-unités : alpha-lactalbumine et galactosyltransférase. Au moment de la naissance, la prolactine stimulera l’activité de cette enzyme. La production mammaire de lactose est totalement indépendante des apports alimentaires maternels en lactose. Sa sécrétion augmente la pression osmotique intracellulaire, ce qui amène le passage d’eau depuis le sang jusque dans les cellules, puis la lumière des acini. Cette corrélation entre l’eau et le lactose maintient le taux lacté de lactose à un niveau relativement fixe, ainsi qu’une osmolarité similaire à l’osmolarité plasmatique maternelle. Le lactose est à l’origine de 60 % de l’osmolarité lactée.
Outre le fait qu’il constitue une source importante d’énergie, le lactose présente divers bénéfices pour le bébé allaité. Le glucose et le galactose sont impliqués dans la synthèse de divers autres composants du lait humain, comme les oligosaccharides (OS), les glycoprotéines et les glycolipides. L’hydrolysation du lactose a un impact au niveau de l’absorption intestinale d’eau, car l’absorption du glucose s’accompagne de l’absorption d’eau et de sodium. Le lactose favorise l’absorption du calcium, ainsi que celle du zinc et du magnésium chez des animaux, mais cela n’a pas été confirmé chez les humains. Le lactose a un index glycémique et un impact cariogénique plus bas que d’autres sucres, et il n’a pas le même impact de "récompense" au niveau du système nerveux central que le saccharose ou la maltodextrine. Le lactose est la seule source alimentaire de galactose. Ce dernier est particulièrement important dans la mesure où il est nécessaire à la synthèse de macromolécules comme les galactocérébrosides, les gangliosides et les mucoprotéines nécessaires aux membranes des cellules du système nerveux central. Environ 80 % du galactose est stocké au niveau du foie, les 20 % restants étant transportés vers d’autres organes. Le lactose est un nutriment important pour le microbiote intestinal, entre autres en raison de sa présence dans les OS lactés. On a identifié plus de 200 oligosaccharides dans le lait humain et tous ont en commun la présence de lactose dans leur structure. Certaines souches de Bifidobactéries peuvent relarguer le lactose à partir de certains OS, ce lactose pouvant ensuite être métabolisé. Des études in vitro ont constaté que le lactose induisait l’expression du gène codant pour la CAMP, une cathélicidine (un peptide antimicrobien) qui est la seule cathélicidine humaine au niveau des cellules épithéliales du colon.
L’intestin grêle du nourrisson ne peut absorber que les monosaccharides. L’hydrolyse du lactose est donc indispensable. La lactase est exprimée au niveau de la bordure en brosse des entérocytes. Le glucose et le galactose seront ensuite absorbés par les entérocytes en même temps que de l’eau et du sodium. On peut distinguer une activité de la lactase dès 8 semaines de gestation chez le fœtus, et elle augmente progressivement pendant le reste de la grossesse. Dès la 1ère tétée, son activité va rapidement augmenter et elle atteint 98 % de son taux maximal à J5. On a constaté que le taux de lactase était plus élevé à J10 chez les enfants allaités que chez les enfants nourris avec une préparation pour nourrissons. L’activité de la lactase chez les mammifères est régulée génétiquement, mais des mécanismes épigénétiques encore mal connus peuvent modifier le phénotype pour cette activité. On a constaté que cette activité baissait progressivement à partir de 12 mois, parallèlement au pourcentage du lait dans l’alimentation de l’enfant. Il semble que la persistance d’une activité de la lactase soit une composante génétique sélectionnée pendant notre évolution au cours des millénaires, en rapport avec notre alimentation. Il est important de souligner que le fait de consommer beaucoup de lactose ne suffit pas en soi pour induire la sécrétion de lactase, mais il semble que lorsqu’une activité importante de la lactase a été induite, cette activité ne sera plus affectée par la modification des apports alimentaires en lactose.
Les facteurs qui influencent la tolérance au lactose sont le niveau de lactase intestinale, l’importance des apports, l’intégrité de la muqueuse intestinale, le microbiote intestinal et le fonctionnement du colon. Le lactose qui n’a pas été hydrolysé gagne le colon où il sera fermenté par la flore locale. En fonction du profil de cette dernière, il pourra être métabolisé sans problème ou par des bactéries produisant un volume important de gaz et de métabolites dangereux. L’intolérance réelle au lactose (absence congénitale de lactase) se traduira par des troubles qui se développent dans les 30 minutes à 2 heures suivant son absorption, avec essentiellement une diarrhée aqueuse et une fermentation importante avec gaz et douleurs abdominales. Une intolérance secondaire au lactose est causée par des lésions de la muqueuse intestinale (suite à une gastroentérite par exemple), qui limite sa capacité à métaboliser le lactose. Cette intolérance est transitoire et réversible ; elle disparaîtra lorsque la cause aura disparu. Divers tests sont disponibles pour confirmer l’existence d’une déficience congénitale en lactase ou d’une intolérance secondaire au lactose.
Certaines souches de Bifidobactéries et de Lactobacilles ont une lactase qui leur permet d’utiliser le lactose comme source d’énergie. Sa métabolisation par ces bactéries produit des acides gras à courte chaîne, comme l’acide butyrique, une source importante d’énergie pour l’épithélium du colon, mais ne produit pas de gaz. Au contraire, des apports réguliers en lactose stimulent la croissance de ces bactéries bénéfiques. De ce point de vue, le lactose constitue un prébiotique. Le lait humain contient du lactose, des OS et des bactéries qui favorisent l’installation et le maintien d’un microbiote sain chez le bébé allaité, favorisant une digestion correcte du lactose. L’utilisation de probiotiques pour la gestion de l’intolérance au lactose reste sujet à controverse en raison des résultats discordants des études sur le sujet.
Lorsqu’un nouveau-né s’avère présenter une déficience congénitale en lactase confirmée par une biopsie intestinale, il devra impérativement recevoir une préparation pour nourrissons spéciale sans lactose, l’éviction du lactose devant être définitive. Une autre indication à la suppression du lactose est la galactosémie. Toutefois, l’allaitement ne doit pas être interrompu en cas d’intolérance secondaire au lactose, si l’enfant présente une diarrhée aiguë ou chronique. La poursuite de l’allaitement limite la perte de poids et la durée de la diarrhée, et le lait maternel reste l’aliment optimal dans ce cas comme dans la vaste majorité des pathologies infantiles. La plupart des enfants souffrant d’intolérance secondaire au lactose ne développeront pas de signes cliniques de malabsorption. Même les bébés de moins de 6 mois pourront tolérer le lait maternel sans signes cliniques importants. Une baisse ou une suppression des apports en lactose ne sera envisagée que de façon transitoire, chez les bébés présentant une malnutrition franche induite par une pathologie intestinale sévère. Les préparations pour nourrissons pauvres en lactose ou sans lactose contiennent des polymères de glucose pour remplacer le lactose, le plus couramment utilisé étant la maltodextrine. Cette dernière est rapidement métabolisée et elle a un index glycémique élevé. Les "laits" végétaux ne contiennent pas de lactose, mais ils ne sont pas recommandés dans ce cas. La baisse des apports en lactose ne devrait jamais se faire d’une façon qui abaisse l’apport calorique du produit donné à l’enfant.
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