Publié dans le n° 194 des Dossiers de l'allaitement, mai 2023.
D'après : Management of anti-seizure medications in lactating women with epilepsy. Yan R et al. Front Neurol 2022 ; 13 : 1005890.
L’épilepsie est une pathologie neurologique relativement courante, et 30-40 % des cas dans le monde surviennent chez des femmes en âge de procréer. Sa gestion est plus difficile chez les femmes en raison des importantes variations hormonales pendant la vie reproductive, liées aux cycles menstruels, à la grossesse, à la lactation et à la ménopause. Le traitement sera également plus délicat pendant la grossesse et la lactation dans la mesure où il est nécessaire de tenir compte de la toxicité potentielle des antiépileptiques pour le fœtus ou le bébé allaité. Les auteurs font le point sur le traitement anticonvulsivant chez les mères allaitantes.
Il est tout d’abord important de prendre en compte les nombreux bénéfices de l’allaitement pour la santé infantile, mais également la santé maternelle. Toutefois, de nombreuses mères épileptiques hésitent à allaiter ou sèvrent rapidement en raison de leurs craintes concernant l’impact de leur traitement sur leur bébé. Ces mères devraient bénéficier des informations disponibles sur le sujet afin de limiter leur anxiété et de pouvoir prendre des décisions informées. Le niveau d’excrétion lactée des anticonvulsivants varie suivant les produits en fonction de leur liaison aux protéines plasmatiques, de leur liposolubilité, de leurs caractéristiques pharmacocinétiques… Des études ont été menées sur nombre de ces produits, permettant d’avoir une idée de leur rapport lait/plasma et de calculer le niveau d’exposition de l’enfant allaité. Ces données sont toutefois à prendre avec prudence. Un rapport lait/plasma > 1 signifie que le produit se concentre dans le lait, mais cela n’est toutefois pas forcément un problème. De même, on estime que l’exposition infantile à ≤ 10 % de la dose maternelle ajustée pour le poids est peu susceptible d’induire un quelconque problème chez l’enfant, mais cela n’implique pas qu’un niveau supérieur d’exposition doive impérativement amener à déconseiller l’allaitement. La toxicité potentielle du produit doit être prise en compte, ainsi que les éventuels effets secondaires rapportés chez les enfants allaités. Le spécialiste Thomas Hale classe les médicaments en 5 classes, L1 à L5. L1 signifie qu’aucun effet secondaire n’a jamais été constaté en dépit de l’utilisation courante du produit, L2 qu’aucun effet secondaire (ou des effets secondaires mineurs) n’a été rapporté chez un nombre nettement plus limité de mères traitées, L3 qu’il n’existe pas de données totalement fiables sur le produit ou que des effets secondaires légers ou modérés ont été rapportés, L4 que des effets secondaires significatifs ont été rapportés mais que l’allaitement pourra être envisagé au cas par cas, et L5 que des effets secondaires sérieux ont été rapportés et/ou que la toxicité du produit est importante, et que l’allaitement est contre-indiqué si la mère allaite un nourrisson. La plupart des anticonvulsivants sont classés en L2, L3 ou L4, mais certains produits récents ne sont pas classés en raison de l’absence de données à leur sujet.
Produits classés L2
La phénitoïne (Di-Hydan®, Diphantoïne®) est liée à environ 89 % aux protéines plasmatiques, son volume de distribution est de 0,5-0,8 l/kg et sa biodisponibilité orale est de 95 %. Son pic sérique survient 4-12 heures après la prise et sa demi-vie est de 22-40 heures. Elle passe faiblement dans le lait maternel, avec un rapport lait/plasma de 0,18-0,45, l’enfant étant exposé à 0,6-7,7 % de la dose maternelle ajustée. Très peu d’effets secondaires ont été rapportés chez les enfants allaités exposés, mis à part de rares cas de methémoglobulinémie de mécanisme inconnu. Lorsqu’elle est prise en combinaison avec d’autres anticonvulsivants, on peut constater une sédation et une mauvaise prise de poids. Le suivi à long terme n’a pas constaté d’impact neurologique chez les enfants.
La fosphénitoïne (Prodilantin®) est le précurseur de la phénitoïne. Elle est rapidement métabolisée en phénitoïne après injection, avec une biodisponibilité de 100 %. Sa demi-vie est de 8-15 minutes après injection IV et de 22-41 minutes après injection IM. Son volume de distribution est de 0,06-0,15 l/kg et elle est fixée à 99 % aux protéines plasmatiques. Il n’existe pas de données sur son rapport lait/plasma ou sur le niveau d’exposition du bébé allaité.
La carbamazépine (Tégrétol®) a une demi-vie d’environ 15 heures. Elle est presque intégralement métabolisée et elle a un métabolite actif. Elle est fixée à 74 % aux protéines plasmatiques et son volume de distribution est de 0,8-1,8 l/kg. Son pic lacté survient 4-5 heures après la prise, son rapport lait/plasma est d’environ 0,69, et l’enfant est exposé à 3,8-5,9 % de la dose maternelle ajustée. Des cas anecdotiques d’ictère, de cholestase et d’élévation des transaminases ont été rapportés, ainsi que des vomissements ou une prise de poids insuffisante, mais elle est considérée comme utilisable pendant l’allaitement.
La lamotrigine (Lamictal®) est couramment utilisée pendant la grossesse et l’allaitement. Elle est liée à environ 55 % aux protéines plasmatiques, son volume de distribution est de 0,9-1,3 l/kg et sa biodisponibilité orale est de 98 %. Elle est extensivement métabolisée et son métabolite a une demi-vie d’environ 29 heures. Le rapport lait/plasma est de 0,56 et l’enfant est exposé à 9,2-18,3 % de la dose maternelle ajustée. De rares cas d’effets secondaires ont été rapportés (épisodes d’apnée, anomalies de la fonction hépatique, manque d’appétit, anémie…), mais elle est considérée comme utilisable pendant l’allaitement.
Le lévétiracétam (Keppra®, Leptax®, Levidcen®) a une biodisponibilité orale de 100 % et son pic sérique survient 1 heure après administration. Il est fortement transformé en métabolites inactifs. Son volume de distribution est de 0,7 l/kg. Il est lié à < 10 % aux protéines plasmatiques et sa demi-vie est de 6-8 heures. Le rapport lait/plasma est d’environ 1 et l’enfant est exposé à 3,4-7,8 % de la dose maternelle ajustée. De rares cas de somnolence, de succion faible… ont été rapportés chez des enfants allaités, mais il est considéré comme utilisable pendant l’allaitement.
La gabapentine (Neurontin®) a une biodisponibilité orale de 50-60 %, elle est liée à < 3 % aux protéines plasmatiques, son volume de distribution est de 0,8 l/kg, sa demi-vie est de 5-7 heures et son pic sérique survient 1-3 heures après la prise. Elle n’est pas métabolisée. Son rapport lait/plasma est de 0,7-1,3 et les études sur son excrétion lactée font état d’un niveau d’exposition de l’enfant à environ 6,6 % de la dose maternelle ajustée. Aucun effet secondaire significatif n’a été rapporté chez les enfants allaités.
Produits classés L3
L’oxcarbazépine (Trileptal®) appartient à la même classe que la carbamazépine, avec une activité similaire. Elle a un métabolite actif (DMH). Sa biodisponibilité orale est de près de 100 %, son volume de distribution est de 0,7 l/kg, elle est liée à 40 % aux protéines plasmatiques, le pic sérique survient au bout de 4,5 heures, sa demi-vie est de 2 heures, mais celle du DMH est de 9 heures. Son rapport lait/plasma est de 0,5. Des études ont fait état d’un niveau d’exposition de l’enfant allaité à 1,5-1,7 % de la dose maternelle ajustée. La majorité des bébés allaités ne présentent aucun effet secondaire, et aucun impact à long terme sur la croissance ou le développement infantiles n’a été rapporté. Elle est considérée comme utilisable pendant l’allaitement
Le topiramate (Epitomax®) a une biodisponibilité orale de 80 %, son volume de distribution est de 0,7 l/kg, il est lié à 15-41 % aux protéines plasmatiques, le pic sérique est constaté 1,5-4 heures après la prise et sa demi-vie est d’environ 21 heures. Il est peu métabolisé. Son rapport lait/plasma est de 0,86, et l’enfant est exposé à 24,68-55,65 % de la dose maternelle ajustée. Bien que cette exposition soit élevée, les études n’ont pas constaté d’effets secondaires significatifs chez les enfants allaités et il est considéré comme utilisable pendant l’allaitement.
La prégabaline (Lyrica®) a une biodisponibilité orale de 90 %, son volume de distribution est de 0,5 l/kg, elle n’est pas liée aux protéines plasmatiques et sa demi-vie est d’environ 6 heures. Elle est très peu métabolisée. Son rapport lait/plasma est de 0,34-0,76, et l’enfant allaité est exposé en moyenne à 7-18 % de la dose maternelle ajustée. Elle ne semble pas induire d’effets secondaires chez les enfants allaités et elle est considérée comme utilisable pendant l’allaitement.
Le lacosamide (Vimpat®) a une biodisponibilité orale de 100 %, un volume de distribution de 0,6 l/kg, il est lié à environ 15 % aux protéines plasmatiques et son pic sérique survient 1-4 heures après la prise. Il est partiellement métabolisé et sa demi-vie est d’environ 13 heures. Les données succinctes concernant son excrétion lactée font état d’un rapport lait/plasma d’environ 0,83 %, l’enfant étant exposé à environ 1,8 % de la dose maternelle ajustée. Si une étude portant sur une mère traitée par lévétiracétam et lacosamide a rapporté une léthargie et une succion faible chez son bébé, le lacosamide seul ne semble pas induire d’effets secondaires chez l’enfant allaité et il est considéré comme utilisable pendant l’allaitement.
Produits classés L4
L’éthosuximide (Zarontin®) a une biodisponibilité orale élevée, son volume de distribution est de 0,72 l/kg, il n’est pas lié aux protéines plasmatiques, son pic sérique est constaté 4 heures après la prise et sa demi-vie est de 30-60 heures (ce qui favorise son accumulation dans le lait maternel et chez l’enfant allaité). Son rapport lait/plasma est de 0,94, et le bébé allaité est exposé à 31,4-73,5 % de la dose maternelle ajustée, soit une exposition importante. Quelques cas d’effets secondaires ont été rapportés chez l’enfant allaité (sédation, succion faible et faible prise de poids).
Le zonisamide (Zonegran®) a une biodisponibilité orale de près de 100 %, son volume de distribution est de 1,45 l/kg, il est lié à environ 40 % aux protéines plasmatiques et sa demi-vie est d’environ 63 heures (ce qui favorise son accumulation dans le lait maternel et chez l’enfant allaité). Il est fortement métabolisé. Son rapport lait/plasma est d’environ 0,93, l’enfant est exposé à 28,9-44,1 % de la dose maternelle ajustée et on a constaté chez l’enfant un taux sérique représentant 44,2 % du taux sérique maternel. En dépit de son excrétion importante dans le lait maternel et du niveau élevé d’exposition du bébé allaité, aucun effet secondaire n’a été rapporté chez des enfants allaités par une mère prenant ce produit.
La primidone (Mysoline®) a une biodisponibilité orale de 90 %, un volume de distribution de 0,5-1 l/kg, elle est liée à environ 25 % aux protéines plasmatiques, son pic lacté survient 1-2 heures après la prise et sa demi-vie est de 5-18 heures. Son rapport lait/plasma est de 0,72 et l’enfant est exposé à 8,4-8,6 % de la dose maternelle ajustée. Si son excrétion lactée reste basse, elle est déconseillée pendant l’allaitement par l’Académie Américaine de Pédiatrie suite à quelques rapports de cas de sédation et de faible prise de poids chez l’enfant allaité. Elle sera utilisée avec précaution chez les mères allaitantes.
Le valproate (Dépakine®, Dépakote®, Divalcote®, Micropakine®) est totalement absorbé par voie orale, son volume de distribution est de 0,1-0,4 l/kg, il est lié à environ 94 % aux protéines plasmatiques, son pic lacté survient 1-4 heures après la prise et sa demi-vie est d’environ 14 heures. Son rapport lait/plasma est de 0,42, et le bébé allaité est exposé à 0,99-5,6 % de la dose maternelle ajustée. Aucun effet secondaire n’a été rapporté chez la majorité des enfants allaités par une mère traitée par valproate, mais on a rapporté de rares cas d’alopécie, de sédation, de pétéchies, de thrombocytopénie, d’anémie et d’hématurie.
Le phénobarbital (Alepsal®, Gardénal®) est un barbiturique à très longue demi-vie. Sa biodisponibilité orale est d’environ 80 %, son volume de distribution est de 0,5-0,6 l/kg, il est fixé à environ 51 % aux protéines plasmatiques, son pic lacté est constaté 0,4-0,6 heures après la prise, il est métabolisé à 75 % et sa demi-vie est de 53-140 heures (ce qui favorise son accumulation dans le lait maternel et chez l’enfant allaité). Son rapport lait/plasma est de 0,4-0,6 et l’enfant est exposé à environ 24 % de la dose maternelle ajustée. En raison du niveau important d’exposition infantile et de sa très longue demi-vie, son utilisation chez une mère allaitante devrait être prudente, l’enfant étant étroitement suivi.
Le clobazam (Likozam®, Urbanyl®) et le clonazépam (Rivotril®) sont des benzodiazépines qui ont longtemps été classées en L3, mais qui sont récemment passées en L4. Ces 2 molécules sont habituellement prescrites en association avec d’autres produits. La biodisponibilité orale du clobazam est de 87 %, son volume de distribution est de 1,43 l/kg, il est fixé à 80-90 % aux protéines plasmatiques, son pic lacté survient 0,5-4 heures après la prise et sa demi-vie est de 36-42 heures. Le clonazépam est rapidement absorbé, sa biodisponibilité orale est d’environ 93 %, son volume de distribution est de 1,5-4,4 l/kg, il est lié à 50-86 % aux protéines plasmatiques, son pic sérique survient 1-4 heures après administration, il est fortement métabolisé et sa demi-vie est de 18-50 heures. Son rapport lait/plasma est de 0,33 et l’enfant est exposé à 2,8 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. La longue demi-vie de ces produits favorise une accumulation chez l’enfant allaité et des cas de sédation infantile ont été rapportés. Si ces produits sont utilisés pendant l’allaitement, l’enfant sera suivi à la recherche d’une sédation.
Produits hors classement faute de données
Le rufinamide (Inovelon®) est lié à 34 % aux protéines plasmatiques, le pic sérique survient environ 6 heures après la prise, il est presque totalement métabolisé et sa demi-vie est de 6-10 heures. Il n’existe aucune donnée sur son excrétion lactée.
Le stiripentol (Diacomit®) est rapidement absorbé par voie orale et il est fixé à 99 % aux protéines plasmatiques. Il est habituellement utilisé en association avec d’autres anticonvulsivants. Il existe encore peu de données sur sa pharmacocinétique, et aucune sur son excrétion lactée.
Le pérampanel (Fycompa®) a une bonne biodisponibilité orale, il est lié à 95 % aux protéines plasmatique, et sa demi-vie est d’environ 105 heures. Il traverse la barrière hémato-encéphalique. Une étude a suivi une mère déjà traitée pendant la grossesse, et a constaté que son taux sérique de pérampanel augmentait pendant la grossesse et après la naissance. Le suivi de l’enfant à 11 semaines post-partum a constaté que son taux sérique avait baissé. Le rapport lait/plasma était de 0,13.
Le brivaracétam (Briviact®) est rapidement et totalement absorbé par voie orale, il est lié à < 20 % aux protéines plasmatiques, il est très fortement métabolisé, et sa demi-vie est de 7-8 heures. Il existe des données succinctes sur son excrétion lactée. Chez des enfants dont la mère était déjà traitée pendant la grossesse, le taux sérique infantile de brivaracétam était similaire à la naissance, à J5 et à 5 semaines, et il représentait 18-20 % du taux sérique maternel. Une étude faisait état d’un rapport lait/plasma de 0,71.
Le cannabidiol (Epidyolex®) a un impact anticonvulsivant dont le mécanisme reste mal connu. Après administration orale, il est très largement métabolisé. Il n’existe aucune donnée sur son utilisation chez les mères allaitantes. Les études menées auprès de femmes consommant du cannabis ont constaté que l’élimination urinaire persistait pendant des jours.
L’eslicarbazépine (Zébinix®) est bien absorbé par voie orale. Sa demi-vie est longue, il est lié à < 40 % aux protéines plasmatiques. Le pic plasmatique est atteint 2-3 heures après la prise et l’état d’équilibre est atteint 4-5 jours après le début du traitement, soit une demi-vie de 20-24 heures. Des études ont constaté une excrétion lactée chez des animaux, mais il n’existe aucune donnée sur son excrétion dans le lait humain.
En conclusion
Pour la majorité des femmes épileptiques traitées avant leur grossesse avec des anticonvulsivants, la poursuite de ce traitement sera nécessaire. Les décisions concernant le traitement pendant la grossesse et l’allaitement pourront être difficiles. Pendant longtemps, on a contre-indiqué l’allaitement à ces femmes, mais les données sur l’excrétion lactée des anticonvulsivants ont amené à prendre en compte le rapport bénéfices/risques de l’allaitement chez une mère traitée par anticonvulsivants, et à les encourager à allaiter dans la grande majorité des cas. Aucun effet secondaire n’a été rapporté suite à la prise de gabapentine, de phénytoïne, de prégabaline et de zonisamide. Des effets secondaires habituellement modérés ont été constatés avec les autres produits, mais ils étaient le plus souvent rares. En conséquence, le traitement (molécules, posologies...) sera discuté au cas par cas avec la mère. On privilégiera les monothérapies, et on prescrira la posologie efficace la plus basse possible. Dans tous les cas, le bébé allaité sera régulièrement suivi, et la mère sera informée sur les points à surveiller.
Niveau d’exposition à la lamotrigine du bébé allaité
D'après : Magnitude of lamotrigine exposure through breastfeeding. Kohn E et al. Breastfeed Rev 2022 ; 17(4) : 341-8.
L’épilepsie est la pathologie neurologique la plus fréquente chez les femmes en âge de procréer. Elle touche 0,5 à 1 % d’entre elles. La survenue de convulsions pendant la grossesse présente des risques pour la femme et pour le fœtus, et elle présente également des risques pour la mère et son nourrisson après la naissance. Il est donc nécessaire qu’elle soit traitée correctement. La lamotrigine est utilisée comme anti-épileptique, mais également dans le traitement du trouble bipolaire. Elle est administrée par voie orale, avec une biodisponibilité de 98 %. Elle est fixée à 55 % aux protéines plasmatiques, et elle a un volume de distribution relativement faible. Elle est essentiellement éliminée par voie urinaire. Un certain nombre d’études ont évalué son excrétion lactée, mais elles portaient au total sur peu de femmes. L’objectif de cette étude israélienne était d’évaluer de façon plus détaillée l’excrétion lactée de la lamotrigine et le niveau d’exposition du bébé allaité.
Elle a été menée auprès de 17 mères allaitantes. Elles ont fourni des données démographiques, socioéconomiques, médicales (incluant leur épilepsie, son traitement, les autres médicaments éventuellement pris), sur leur grossesse, leur accouchement et la santé de leur enfant. Elles sont venues dans l’unité de pharmacologie des auteurs au moins 5 jours après atteinte de l’état d’équilibre pour leur traitement par lamotrigine. 6 échantillons de lait ont été collectés : juste avant la prise le matin (ainsi qu’un échantillon de sang), puis 1, 3, 6, 9 et 12 heures après cette prise. Tous ces échantillons ont immédiatement été congelés à –20 °C jusqu’à analyse. Le taux de lamotrigine y a été recherché à l’aide d’un kit spécialisé par rapport à une courbe de calibrage. Le niveau d’exposition de l’enfant a été déterminé à partir du taux moyen de lamotrigine pour l’ensemble des échantillons de lait, en tablant sur la consommation de 150 ml/kg/jour de lait maternel par l’enfant.
Les mères avaient 25 à 38 ans. Elles avaient 1 ou 2 enfants. Elles prenaient 100 à 500 mg/jour de lamotrigine (300 ± 130 mg/jour). 5 d’entre elles prenaient également d’autres médicaments. Elles avaient accouché à 39,4 ± 2,1 semaines, d’un bébé pesant 3 350 ± 627 g. Au moment de l’étude, leur bébé avait 5 à 187 jours (62 ± 54 jours), et il pesait 3 030 à 9 200 g (4 743 ± 1 545 g). 13 bébés étaient exclusivement allaités et 4 étaient majoritairement allaités. Le taux sérique maternel de lamotrigine était en moyenne de 5,09 ± 3,35 mg/l (0,95 à 14,1 mg/l), le taux lacté étant de 3,12 ± 1,90 mg/l (0,89 à 8,14 mg/l). Le rapport lait/plasma était de 0,66 ± 0,22 (0,48 à 1,36). Il existait d’importantes variations individuelles dans ces taux. À partir de ces données, le nourrisson exclusivement allaité recevait 0,40 ± 0,16 mg/kg/jour de lamotrigine (0,21 à 0,73 mg/kg/jour), soit 11,6 ± 7,2 % (4,9 à 31,5 %) de la dose maternelle ajustée pour le poids. Ces données n’ont pas été calculées pour les enfants partiellement allaités dans la mesure où la mère ne pouvait pas être plus précise que "entre 50 et 75 %" concernant le pourcentage de lait maternel dans l’alimentation de leur enfant. À noter que les taux sériques et lactés n’étaient pas corrélés à la dose maternelle de lamotrigine, ce qui suppose l’existence d’importantes variations individuelles dans la pharmacocinétique de ce produit. Chez une même mère, il existait en revanche une étroite corrélation positive entre le taux sérique et le taux lacté. Aucun effet secondaire n’a été rapporté chez les mères ou leurs enfants, et le développement de tous les enfants était normal (suivi jusqu’à 12 à 24 mois).
Cette étude confirme les données publiées sur l’excrétion lactée de la lamotrigine. Son taux lacté est relativement élevé, et le bébé allaité est souvent exposé à plus de 10 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Par ailleurs, ce taux lacté présente d’importantes variations individuelles, indépendantes de la posologie maternelle. Le principal point faible de cette étude est qu’elle n’a pas collecté des échantillons de sang en même temps que tous les échantillons de lait chez la mère, ce qui aurait permis d’évaluer plus précisément le rapport lait/plasma, et qu’elle n’a pas non plus collecté d’échantillons de sang chez le bébé allaité, afin de mieux évaluer son exposition. Toutefois, et en dépit du niveau relativement élevé d’exposition du bébé allaité à la lamotrigine, aucun effet secondaire n’a jamais été rapporté chez un enfant allaité par une mère traitée par lamotrigine, y compris ceux suivis jusqu’à 3 à 6 ans. La lamotrigine est donc utilisable pendant l’allaitement. Il pourra être prudent de suivre régulièrement le taux de lamotrigine dans le sang maternel, en tant qu’indicateur fiable de son taux lacté et du niveau d’exposition du bébé allaité à ce produit.
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