Publié dans le n° 196 des Dossiers de l'allaitement, septembre 2023.
D'après : Treatment of nail fungus while breastfeeding. Anderson PO. Breastfeed Med 2022 ; 17(10) : 779-80.
Les mycoses des ongles sont difficiles à traiter, et on peut estimer que leur traitement peut attendre la fin de l’allaitement. Toutefois, une mère pourra souhaiter être traitée pendant l’allaitement en raison de l’inconfort induit par la mycose. L’auteur fait le point sur leur traitement chez la mère allaitante.
Traitements oraux
Le traitement oral des mycoses des ongles est plus efficace et il sera plus court qu’un traitement local, mais il présente un risque plus élevé d’effets secondaires, et il existe souvent peu de données sur l’utilisation des antifongiques utilisés dans ce cadre pendant l’allaitement.
La terbinafine (Lamisil®) semble être la molécule la plus efficace. Il n’existe pas d’étude publiée sur son utilisation pendant l’allaitement. Toutefois, le fabricant fait état d’une étude menée auprès de 2 femmes allaitantes dont la production lactée était faible (Stephen). Elles ont pris 500 mg de terbinafine (le double de la posologie quotidienne recommandée), puis ont "vidé" leurs seins toutes les 6 heures pendant les 72 heures suivantes. Le pic lacté de terbinafine était constaté pendant les 6 premières heures après la prise (7,3 et 7,9 mg/l chez les 2 femmes). Ce taux était respectivement de 2 et 2,4 mg/l entre 6 et 12 heures, et de 0,15 et 0,25 mg entre 12 et 18 heures. La terbinafine était indétectable après 18 heures. Le principal métabolite de la terbinafine était indétectable dans tous les échantillons. La production lactée quotidienne de ces mères était respectivement de 218 et 41 ml, et le taux cumulé de terbinafine excrétée dans le lait pendant les premières 18 heures suivant la prise était de 0,65 et 0,15 mg. À partir des taux constatés dans cette étude, un nourrisson exclusivement allaité serait exposé à 3,8 % de la dose maternelle ajustée pour le poids.
Le fluconazole (Triflucan®) est utilisé pour le traitement des candidoses mammaires, cadre dans lequel il a fait l’objet d’études. Chez une femme devait en prendre 200 mg/jour pendant 30 jours, son taux lacté a été recherché dans un échantillon collecté après 18 jours de traitement. Le pic lacté survenait 2 heures après la prise et il était de 4,1 mg/l (Schilling). Dans une autre étude, une femme allaitait un bébé de 12 semaines. Elle a pris une dose unique de 150 mg de fluconazole. Les taux les plus élevés étaient de 2,9 et 1,7 mg/l 2 et 5 heures après la prise. Ce taux était respectivement de 1,8 et 1 mg 24 et 48 heures après la prise, avec une demi-vie lactée d’environ 30 heures (Force). À partir de ces données et en se fondant sur le pic lacté, un nourrisson exclusivement allaité par une mère prenant 200 mg/jour de fluconazole recevrait au maximum environ 0,6 mg/kg/jour, soit 60 % de la posologie néonatale et 20 % de la posologie recommandée chez les enfants plus âgés. Dans une étude sur le traitement d’une candidose mammaire chez 96 mères allaitantes (Moorhead), les mères ont pris en moyenne 7,3 gélules de 150 mg de fluconazole (1 à 29 gélules) jusqu’à disparition de la douleur. 7 mères ont rapporté des effets secondaires pouvant être liés à leur traitement chez leur enfant (joues rouges, douleurs abdominales, selles liquides ou contenant du mucus).
L’itraconazole (Sporanox®) appartient à la même famille que le fluconazole. Aucune étude n’a été publiée sur son utilisation pendant l’allaitement. Toutefois, une étude non publiée a été menée auprès de 2 femmes qui ont pris 2 doses d’itraconazole de 200 mg à 12 heures d’intervalle (Briggs). Elles ont fourni des échantillons de lait 4, 24 et 48 heures après la 2e dose. Le taux lacté d’itraconazole était en moyenne de 70,2, 27,7 et 16,2 µg/l à ces 3 suivis. 72 heures après la 2e dose, son taux lacté était de 20,1 µg/l chez une femme et indétectable (< 5 µg/l) chez l’autre femme. Le métabolite actif de l’itraconazole n’a pas été recherché. À partir des données retrouvées dans la littérature médicale, des auteurs estimaient qu’un bébé exclusivement allaité âgé de 3 à 12 mois recevrait environ 1,48 % de la dose maternelle d’itraconazole ajustée pour le poids et aurait un taux plasmatique représentant 0,77 % du taux plasmatique maternel (McNamara & Abassi). Le traitement d’une mycose des ongles doit être poursuivi pendant au moins 12 semaines et il n’existe pas de données sur l’excrétion lactée de l’itraconazole pendant une prise au long cours, mais cette molécule est utilisée pour le traitement au long cours chez les nourrissons présentant une infection fongique du système nerveux central, à la posologie de 5 mg/kg 2 fois par jour. Il pourra être utile d’effectuer un bilan hépatique chez le bébé en cas de traitement maternel au long cours. Le fluconazole est probablement préférable à l’itraconazole.
La griséofulvine (Griséfuline®) est utilisée depuis des décennies, entre autres pour le traitement des mycoses des ongles. Elle est beaucoup moins utilisée maintenant, car elle est moins efficace que d’autres antifongiques, nécessite un traitement plus long et induit davantage d’effets secondaires. Il n’existe aucune donnée sur son utilisation pendant l’allaitement. En raison de sa toxicité potentielle et de sa très longue demi-vie, elle est déconseillée pendant l’allaitement.
L’oteseconazole est un nouvel antifongique azolé dont la demi-vie est particulièrement longue (138 jours), recommandé pour le traitement des candidoses vulvaires et vaginales. Il est déconseillé chez les femmes en âge de procréer en raison de la toxicité fœtale constatée par les études sur des animaux, et en raison de sa demi-vie, le produit pouvant persister dans le corps de la mère pendant > 2 ans, période pendant laquelle une grossesse est déconseillée. Il n’existe aucune donnée sur son utilisation pendant l’allaitement.
Le posaconazole (Noxafil®), le fosravuconazole et le ravuconazole sont également des azolés utilisés dans le traitement des mycoses des ongles. Il n’existe aucune étude sur leur excrétion lactée.
Traitements locaux
En raison du peu de données disponibles sur leur excrétion lactée, il n’existe pas de consensus concernant l’utilisation des antifongiques locaux pendant l’allaitement, ce qui amène certains à les contre-indiquer (Ricardo). Toutefois, le passage systémique de ces produits lorsqu’ils sont appliqués sur les ongles est si faible qu’un quelconque impact chez le bébé allaité est hautement improbable.
Le ciclopirox (Myconail®, Mycoster®, Onytec®) n’a fait l’objet d’aucune étude concernant son excrétion lactée. Dans la mesure où seulement environ 1,3 % du produit est absorbé après application locale, il n’est guère susceptible d’induire des effets secondaires chez le bébé allaité.
L’efinaconazole semble être le produit le plus efficace en applications locales pour le traitement des mycoses des ongles, même si cette efficacité est seulement d’environ 50 %. Cette efficacité est plus importante en cas de mycose récente. Il est considéré comme le traitement de première intention en cas de mycose des ongles légère à modérée et pour le traitement au long cours destiné à éviter une récidive (Gupta). Il n’existe aucune donnée sur son excrétion lactée, ainsi que sur celle du tavaborole. Toutefois, ces deux derniers produits ont un passage systémique très faible après application locale et une excrétion lactée mesurable est hautement improbable.
Photothérapie
Les thérapies laser au dioxyde de carbone ou YAG (yttrium-aluminium-grenat) sont également utilisées seules. Certains spécialistes estiment qu’elles constituent le traitement à privilégier pendant l’allaitement. Toutefois, elles semblent plus efficaces lorsqu’elles sont combinées avec des antifongiques locaux tels que la terbinafine (Zhang). On peut également utiliser une thérapie photodynamique en appliquant un photosensibilisateur tel que l’acide aminolévulinique, avec un certain succès (Anon ; Frazier). Il n’existe aucune étude sur son utilisation pendant l’allaitement, mais là encore son passage systémique est négligeable dans ce cadre et une excrétion lactée mesurable n’est pas attendue.
Prophylaxie
L’application locale d’antifongiques deux fois par semaine est parfois recommandée chez les personnes à haut risque (diabète, immunosuppression). Cette application permet d’abaisser significativement le risque de récidive (Ricardo). L’efinaconazole et le tavaborole sont probablement les meilleurs choix en raison de leur longue persistance au niveau de l’ongle. Cette prophylaxie devrait être poursuivie pendant au moins 3 ans (Anon). Il n’existe aucune donnée sur l’excrétion lactée des produits utilisés dans une utilisation aussi longue.
En conclusion
Le traitement local d’une mycose des ongles chez une mère allaitante ne présente guère de risques pour le bébé allaité, mais ce type de traitement est relativement peu efficace. Les traitements par voie orale sont plus efficaces, mais il existe peu de données sur leur utilisation pendant l’allaitement. Le fluconazole est le produit le plus étudié chez les mères allaitantes et les jeunes enfants, et il est donc le produit à privilégier. La combinaison d’une photothérapie et d’un traitement local est probablement le meilleur choix pendant l’allaitement, mais ce traitement est peu pratique et il est plus coûteux.
Références
• Anon. Treatment of onychomycosis. Med Lett Drugs Ther 2021 ; 63 : 164-8.
• Briggs GG et al. Drugs in pregnancy and lactation, 11th ed. Baltimore. Williams & Wilkins. 2017.
• Force RW. Fluconazole concentrations in breast milk. Pediatr Infect Dis J 1995 ; 14 : 235-6.
• Frazier WT et al. Onychomycosis : Rapid evidence review. Am Fam Physician 2021 ; 104 : 359-67.
• Gupta AK, Talukder M. Efinaconazole in onychomycosis. Am J Clin Dermatol 2022 ; 23 : 207-18.
• McNamara PJ, Abbassi M. Neonatal exposure to drugs in breast milk. Pharm Res 2004 ; 21 : 555-66.
• Moorhead AM et al. A prospective study of fluconazole treatment for breast and nipple thrush. Breastfeed Rev 2011 ; 19 : 25-9.
• Ricardo JW, Lipner SR. Safety of current therapies for onychomycosis. Expert Opin Drug Saf 2020 ; 19 : 1395-1408.
• Schilling CG et al. Excretion of fluconazole in human breast milk. Pharmacotherapy 1993 ; 13 : 287.
• Stephen A et al. Terbinafine : initial clinical results. In, Fromtling RA, ed. Recent trends in the discovery, development and evaluation of antifungal agents. Barcelona : JR Prous Science Publishers, SA. 1987 ; 511-20.
• Zhang J et al. Efficacy of laser therapy combined with topical antifungal agents for onychomycosis : A sys-tematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. Lasers Med Sci 2022 ; 37 : 2557-69.
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