Publié dans le n° 197 des Dossiers de l'allaitement, octobre 2023.
D'après : Breast cancer in lactating mothers : a case series of delayed diagnosis. Wijesinghe K et al. Int J Surg Case Rep 2023 ; 102 : 107856.
La prévalence de la survenue d’un cancer du sein pendant la grossesse ou l’allaitement est d’environ 1/3000, en augmentation en raison de l’augmentation de l’âge maternel au moment des grossesses. Malgré sa rareté, c’est le cancer le plus fréquent pendant ces périodes. Par ailleurs, la grossesse semble favoriser la survenue du cancer du sein (cancer du sein lié à la grossesse), et ce type de cancers est plus fréquent pendant la grossesse et les deux années qui suivent la naissance. Enfin, ces cancers surviennent chez des femmes souvent jeunes, et ils sont habituellement plus agressifs et à plus mauvais pronostic. Les seins sont le siège d’importantes modifications physiologiques pendant la grossesse et l’allaitement, et les premières manifestations visibles d’un cancer pourront être attribuées à ces modifications. De plus, ces modifications induisent une augmentation de la densité du sein et de la prévalence des "boules", ce qui rend le diagnostic plus difficile. La prévalence du cancer du sein augmente rapidement au Sri Lanka. Les auteurs présentent trois cas de femmes qui ont présenté un cancer du sein pendant l’allaitement.
Premier cas
Il concernait une multipare de 38 ans, qui s’est présentée à la consultation des auteurs en raison d’une masse dans le sein gauche, qu’elle avait remarquée immédiatement après la naissance de son troisième enfant. Elle a été vue à plusieurs reprises, y compris par un chirurgien et un radiologue, qui ont diagnostiqué une mastite accompagnée d’un galactocèle et l’ont traitée pour cette cause. Aucune amélioration n’étant survenue quatre mois plus tard, elle est revenue à la consultation. L’examen clinique a montré une augmentation de volume du sein gauche, avec un aspect en peau d’orange de la peau en regard. Elle n’avait pas d’antécédents familiaux de cancer du sein et n’avait aucun antécédent personnel notable. La mammographie a constaté un épaississement de la peau et du parenchyme mammaire dans la région sous-aréolaire. L’échographie a montré une lésion hypoéchogène hétérogène de 24 x 22 mm, dont les limites étaient irrégulières. Elle a également constaté une augmentation de volume des ganglions lymphatiques axillaires. Suite aux constatations du bilan complet, on a posé le diagnostic de cancer de stade III, ER/PR négatif, HER2 positif. Elle est actuellement sous chimiothérapie. Une mastectomie avec ablation des ganglions mammaires est prévue, suivie d’une reconstruction mammaire.
Second cas
Il concernait une multipare de 39 ans, qui allaitait un enfant de 2 ans. Elle a consulté en raison de l’apparition d’une masse dans le sein droit, qu’elle avait remarquée 3-4 mois plus tôt. On lui avait dit que c’était en rapport avec l’allaitement. En l’absence d’amélioration au bout de 3 mois, elle a vu un médecin généraliste, qui a diagnostiqué un galactocèle et l’a rassurée. Mais la masse a continué à augmenter, elle est devenue inconfortable et stressante pour la mère. Après plusieurs consultations pendant lesquelles le médecin a continué à la rassurer et n’a recommandé aucun examen complémentaire, elle s’est présentée à la consultation des auteurs environ 6 mois après avoir remarqué la masse. L’examen a constaté la présence d’une masse ferme d’environ 4 cm dans le quadrant supérieur droit du sein droit, et celle de ganglions axillaires palpables. Elle n’avait aucun antécédent médical particulier, et aucun antécédent familial de cancer du sein. La mammographie a constaté la présence de plusieurs masses d’allure spiculée, avec distension du parenchyme et présence de calcifications, ainsi qu’une augmentation de volume des ganglions lymphatiques. Le bilan a permis de diagnostiquer un cancer invasif de stade III ER/PR+ et HER2+. Elle a subi une chirurgie mammaire conservatrice avec ablation des ganglions axillaires, puis a débuté une chimiothérapie.
Troisième cas
Le troisième cas concernait une multipare de 38 ans qui est venue consulter en raison d’une masse inconfortable dans le sein gauche, constatée environ 5 mois plus tôt immédiatement après la naissance de son troisième enfant. Elle avait consulté à l’époque et avait été traitée pour un engorgement et un galactocèle. L’échographie pratiquée à l’époque avait constaté la présence d’une masse lobulée hypoéchogène suggérant un galactocèle. Elle s’est présentée à la consultation des auteurs en raison de l’absence d’amélioration. L’examen clinique a constaté une importante asymétrie mammaire, le sein concerné étant beaucoup moins volumineux que le sein droit. De plus, il présentait une rétraction mamelonnaire. Elle n’avait aucun antécédent médical spécifique, ni aucun antécédent familial de cancer du sein. La mammographie a constaté la présence d’un parenchyme hétérogène, avec des canaux lactifères confluents et élargis (image compatible avec la lactation), ainsi qu’une masse hyperdense dans le centre du sein gauche, mesurant 65 x 49 x 34 mm, avec distorsion du parenchyme environnant, rétraction du mamelon et épaississement cutané. L’échographie a montré une masse hypoéchogène irrégulière sous-aréolaire, aux contours indistincts, ainsi que la présence d’un ganglion axillaire de volume augmenté. Le bilan complet a malheureusement diagnostiqué la présence d’un cancer du sein de stade IV, avec des métastases osseuses multiples. La tumeur était ER/PR positive et HER2 négative. Cette femme est actuellement sous chimiothérapie.
Ces trois cas sont très similaires et se caractérisent par le délai entre la constatation de la masse par la femme et le diagnostic de cancer du sein, par les médecins généralistes consultés en premier lieu par la mère, mais également par des spécialistes. La principale raison d’un tel retard est que le cancer du sein est rare chez les femmes en cours d’allaitement, et que les masses en rapport avec l’allaitement (mastite, galactocèle) sont bien plus fréquentes. Le médecin qui voit la femme envisagera donc rarement la possibilité d’un cancer. Diagnostiquer un cancer est nettement plus difficile pendant la lactation : les seins sont plus volumineux, plus fermes, ils contiennent du lait. Ces trois femmes ont toutes passé une échographie mammaire au moins une fois avant d’être vues par les auteurs, et ce que montraient les échographies a été attribué à la lactation.
Pourtant, une prise en compte plus attentive de la situation aurait permis de détecter des signes inquiétants, suggérant un problème non lié à l’allaitement. Les trois mères étaient proches de la quarantaine et arrivaient donc à un âge où le risque de cancer du sein devient plus élevé. La masse persistait sans amélioration (voire en augmentant de volume) depuis au moins 3-4 mois. Aucune femme n’avait développé de signes de mastites tels qu’une inflammation locale, une fièvre ou autre. Aucune femme ne s’est vu proposer une aspiration à l’aiguille pour confirmer la présence d’un galactocèle. Toutes étaient multipares et avaient allaité leurs enfants précédents sans aucun problème. Lorsque ces femmes sont venues à la consultation des auteurs, les signes inquiétants étaient devenus très nets : masse devenue dure, aspect en peau d’orange de la peau en regard de la masse, rétraction du mamelon, présence de ganglions axillaires palpables.
L’évaluation clinique et par imagerie du sein est plus difficile pendant la grossesse et l’allaitement, mais une telle évaluation devrait être soigneuse, en particulier lorsque la femme est plus âgée que la moyenne au moment de la grossesse ou de l’allaitement. Cela sera particulièrement important si la masse persiste ou si elle présente des caractères inquiétants. Cette évaluation devrait comporter plusieurs examens afin de ne pas passer à côté d’un cancer. L’échographie est à privilégier pendant la grossesse et l’allaitement en raison de l’augmentation de la densité des seins, qui rend les mammographies beaucoup plus diffi-ciles à lire. Les images constatées chez ces trois femmes étaient typiques : masse irrégulière, hypoéchogène, avec renforcement postérieur et composante kystique fréquente. La biopsie à l’aiguille peut être faite dès la première consultation. Elle présente toutefois un risque de formation d’une fistule, de surinfection et de saignement.
Les cancers du sein survenant pendant la grossesse et l’allaitement ont un pronostic plus mauvais que ceux survenant en dehors de ces périodes, même chez des femmes jeunes, soit en raison d’un diagnostic plus tardif, soit en raison de la nature plus agressive du cancer. Il est donc important de garder à l’esprit la possibilité d’un cancer du sein en présence d’une masse mammaire constatée pendant la grossesse ou l’allaitement, qui persiste plus de quelques semaines. En pareil cas, une évaluation approfondie est nécessaire.
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