Publié dans le n° 197 des Dossiers de l'allaitement, octobre 2023.
D'après : Providing lactation care following stillbirth, neonatal and infant death : learning from bereaved parents. Noble-Carr D et al. Breastfeed Med 2023 ; 18(4) : 254-64.
En cas de fausse couche tardive, de naissance d’un enfant mort-né ou de décès d’un bébé allaité, la mère qui a perdu son enfant devra affronter, outre le travail de deuil, la gestion de sa lactation. L’impact du décès infantile sera psychologique, mais également physique, avec survenue d’engorgements, écoulement du lait, douleur… Les professionnels de santé qui suivent ces mères ainsi que les personnes travaillant pour les lactariums peuvent jouer un rôle important auprès de ces mères, qui devraient se voir systématiquement proposer un soutien dans la gestion de la lactation. Bien souvent, les stratégies de suppression de la lactation sont estimées être l’option la plus appropriée, mais les mères devraient également recevoir des informations sur la possibilité de tirer leur lait pour le donner à un lactarium si elles le souhaitent, option qui reste malheureusement souvent indisponible pour de nombreuses familles endeuillées. Les services de maternité devraient avoir des protocoles de gestion de la lactation chez les mères ayant perdu leur bébé et les professionnels de santé devraient être informés sur le sujet. Le but de cette étude australienne était de mieux connaître le vécu et les besoins de familles endeuillées en matière de soins autour de la lactation après la perte d’un bébé.
Cette étude qualitative a été menée auprès de 17 mères et de 7 pères ayant perdu un bébé (décès in utero à > 20 semaines de gestation, décès néonatal dans les 28 premiers jours de vie, ou décès d’un bébé de 1 à 12 mois) dans les derniers 24 mois et au moins 3 mois après le décès. Les mères avaient accouché dans 3 services hospitaliers de maternité. Tous ces parents ont été vus pour des entretiens individuels (sauf un couple qui a souhaité un entretien où ils étaient présents tous les deux), à l’endroit et à l’heure de leur choix. Les entretiens étaient totalement informels, les parents étant laissés libres de parler à leur rythme de tout ce qu’ils souhaitaient partager dans leur vécu. Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits pour analyse thématique.
La majorité des parents avaient 32 à 38 ans et tous vivaient en couple. Plus de la moitié avaient déjà eu un enfant auparavant, qui avait le plus souvent été allaité. La majorité des parents avaient fait des études universitaires, la moitié des mères et tous les pères travaillaient à plein temps. Environ la moitié des enfants étaient mort-nés, 40 % étaient décédés en période néonatale, les autres enfants étant décédés plus tardivement. 4 mères avaient accouché de jumeaux et l’un des jumeaux avait survécu pour 2 mères. Un des pères avait expérimenté le décès de ses 2 jumeaux. Le vécu de la lactation par les mères était décrit comme physiquement difficile et émotionnellement très éprouvant. Elles ont souvent été choquées de voir avec quelle rapidité elles avaient une montée de lait après le décès de leur bébé et par la durée de la persistance de la production lactée. 11 mères ont décrit des douleurs mammaires et/ou des engorgements et 8 ont eu des écoulements de lait pendant des semaines ou des mois. Tant les mères que les pères ont constaté que les soins en matière de gestion de la lactation étaient limités et plus de la moitié d’entre eux se sentaient très mal préparés pour l’affronter. Le vécu émotionnel des parents vis-à-vis de la lactation était varié, ambigu et changeant, et il était rarement discuté. Les mères pensaient le plus souvent que leur lait gardait sa valeur et qu’il était intimement lié au décès de leur enfant et à leur maternité.
7 mères ont choisi de donner leur lait. 3 d’entre elles ont donné à un lactarium le stock de lait congelé dont elles disposaient au moment du décès de leur bébé et 4 mères ont choisi de tirer leur lait pour le donner à un lactarium, et ce pendant 2 à 6 mois (dont 1 mère qui l’a fait après les décès séparés de 2 enfants). Une mère a également donné du lait de façon informelle, et une autre a congelé une partie du lait exprimé pour le donner à un futur enfant. Les mères qui ont choisi de tirer et donner leur lait l’ont fait avec le soutien du père, mais ont reçu peu de soutien de la part des professionnels de santé. Les pères avaient des connaissances limitées sur la gestion de la lactation après le décès d’un enfant. Ceux dont la compagne avait choisi de tirer son lait sont devenus toutefois des experts. Ils se sont efforcés de soutenir leur compagne en apportant un soutien émotionnel, en s’informant sur les soins à donner aux seins, en nettoyant et en préparant le matériel nécessaire à l’expression du lait et en augmentant leur participation aux tâches ménagères et aux soins aux autres enfants.
Les parents estimaient que certaines des difficultés rencontrées auraient été plus faciles à surmonter avec un soutien approprié de la part des professionnels de santé, et ils souhaitaient vivement qu’un tel soutien soit prodigué. De leur point de vue, les informations essentielles pour les parents étaient qu’une fausse couche tardive ou la naissance d’un bébé mort-né allaient être suivies du démarrage de la lactation, ou que cette dernière allait se poursuivre après le décès d’un bébé allaité. La plupart des mères le savaient, mais cela a été un important traumatisme pour 2 des mères incluses dans cette étude. Les mères chez qui la lactation était bien établie au moment du décès de l’enfant étaient celles qui avaient reçu le moins de soutien concernant la gestion de la lactation. Elles estimaient qu’en pareil cas les parents doivent savoir que la lactation ne va pas disparaître rapidement. Les parents endeuillés bénéficiaient rarement d’une reconnaissance de la signification biopsychosociale de la lactation, et cette dernière était rarement abordée avec les professionnels de santé. Les parents souhaitaient que les professionnels de santé abordent d’eux-mêmes le sujet de la lactation après le décès d’un bébé, qu’ils écoutent attentivement le discours des parents, qu’ils reconnaissent que le décès de l’enfant ne supprime pas la valeur du lait maternel, et qu’ils proposent des stratégies prenant en compte cette valeur. Certains parents souhaitaient que les professionnels de santé comprennent l’importance du lien créé par l’allaitement entre eux et leur bébé décédé, et que la suppression de la lactation pouvait être perçue comme un nouveau deuil. Ils pensaient que le soutien aux parents passait par le don d’informations sur les diverses options possibles pour la gestion de la lactation, et pas seulement sur sa suppression. Or, les options telles que l’expression du lait pour le donner à un lactarium étaient le plus souvent envisagées uniquement lorsque les parents abordaient le sujet. Pourtant, les parents souhaitaient pouvoir choisir l’option qui leur correspondait le mieux. Ils estimaient que le fait de tirer et donner le lait avait du sens et pouvait avoir un impact important sur le travail de deuil.
Lorsque les parents avaient fait leur choix quel qu’il soit, ils avaient besoin d’informations pratiques sur la gestion de la lactation, en particulier pour limiter la douleur, les engorgements, et éviter les complications : applications froides ou chaudes, expression du lait… Ils souhaitaient que toutes ces informations soient incluses dans le soutien général aux parents ayant perdu leur bébé reçu de la part des soignants, et que ces informations soient données au compagnon, voire à d’autres membres de la famille. De nombreuses mères ont dit s’être senties seules et en pleine confusion après le décès de leur bébé. Après le retour au domicile, certains parents ont dit que le père avait recherché des informations sur les moyens de soutenir leur compagne, et que d’autres membres de la famille avaient également souhaité aider, par exemple en achetant le matériel nécessaire à l’expression du lait. Les pères avaient eux aussi des besoins spécifiques, et leur implication dans l’expression et le don de lait était souvent le reflet de leur implication auprès de leur enfant lorsqu’il était vivant. Les parents appréciaient que les professionnels de santé restent compréhensifs et ouverts aux sentiments exprimés par les parents, ainsi qu’au caractère individuel de leur vécu. Ces parents souhaitaient également des informations écrites, afin de pouvoir y réfléchir à leur rythme, et les consulter chaque fois qu’ils en sentiraient le besoin. En effet, les besoins en informations et en soutien étaient très variables dans le temps. Des mères dont la lactation était lancée auraient aimé recevoir des informations sur les moyens de baisser progressivement leur production lactée lorsque le décès inéluctable de leur bébé est devenu proche. Dans tous les cas, le soutien devait débuter le plus rapidement possible après le décès du bébé. Par la suite, il devait tenir compte du vécu des parents et de leurs besoins. De nombreux parents ne savaient pas à quoi s’attendre, ils découvraient au jour le jour, et ils pouvaient alors ne pas recevoir à temps les informations dont ils avaient besoin. Ce soutien devait se poursuivre aussi longtemps que les parents en ressentaient le besoin. La personne la plus adaptée pour apporter ces informations et ce soutien était un professionnel de santé avec qui les parents avaient déjà établi une relation et en qui ils avaient confiance (médecin, sage-femme, puéricultrice, consultant(e) en lactation, travailleur social…). Ce professionnel devait avoir les connaissances nécessaires sur l’allaitement. Les parents qui avaient donné du lait à un lactarium appréciaient le soutien apporté par le personnel du lactarium, en particulier s’ils ne recevaient pas de soutien par ailleurs.
Cette étude confirme que le soutien dans la gestion de la lactation est un aspect très mal connu du soutien aux parents dont le bébé est décédé, ce qui rend la situation encore plus difficile à vivre pour ces parents. Or, ces derniers veulent recevoir des informations et du soutien dans ce domaine, portant sur les divers choix possibles, et cela devrait être pris en compte par tous les services de maternité, de néonatalogie et de pédiatrie. Les professionnels de santé susceptibles de soutenir les parents endeuillés devraient être suffisamment informés pour le faire aussi longtemps que souhaité par les parents, et les services hospitaliers potentiellement concernés devraient avoir des protocoles sur le sujet. Cette étude incluait des pères, mais elle portait globalement sur peu de parents, qui présentaient des caractéristiques démographiques et socioéconomiques relativement proches. D’autres études seraient nécessaires, incluant davantage de parents, présentant des caractéristiques ethniques, démographiques et socioéconomiques variées.
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