Publié dans le n° 198 des Dossiers de l'allaitement, novembre 2023.
D'après : Breastfeeding by a mother taking cyclosporine for nephrotic syndrome. Li R et al. Int Breastfeed J 2022 ; 17 : 22.
La ciclosporine est un immunosuppresseur largement utilisé dans le traitement des pathologies auto-immunes. Dans ce cadre, elle est considérée comme utilisable pendant la grossesse, mais on continue souvent à déconseiller l’allaitement aux mères qui en prennent. Toutefois, un certain nombre de cas d’allaitement par des mères traitées au long cours par ciclosporine pour une transplantation ou une pathologie auto-immune ont été publiés. Ces rapports faisaient état d’une faible exposition à la ciclosporine du bébé allaité et ce produit était le plus souvent indétectable dans leur sang. Toutefois, les études sur son excrétion lactée recherchaient son taux dans un seul échantillon de lait, ce qui ne reflète pas forcément correctement le niveau d’excrétion lactée. Cette étude chinoise a suivi le taux lacté de ciclosporine chez une femme pendant 48 heures.
Pour sa première grossesse, cette femme de 32 ans attendait des jumeaux dichorioniques. Elle présentait une néphrite lupique diagnostiquée 5 ans plus tôt. Avant sa grossesse, elle était traitée avec succès par prednisone (10 mg/jour). Mais à 22 semaines de gestation, on a constaté chez elle une protéinurie sévère. Son traitement a été modifié en conséquence : 30 mg/jour de prednisone, 75 mg de ciclosporine 2 fois/jour et 200 mg/jour d’hydroxychloroquine. À 28 semaines de gestation, la posologie de ciclosporine a été portée à 125 mg le matin et 100 mg le soir. Elle a accouché par césarienne programmée à 36 semaines de gestation. Ses enfants pesaient 2,4 et 2,5 kg et tous deux avaient un Apgar à 10 à 1, 5 et 10 minutes. Après l’accouchement, le traitement maternel a été poursuivi aux mêmes doses pour les 3 produits, pris par la mère à des horaires précis. Le taux sérique maternel de ciclosporine allait d’indétectable (< 30 µg/l) à 43,1 µg/l. Les nouveau-nés ont été nourris avec un lait industriel jusqu’à obtention à J7 d’un taux lacté 2 heures après une prise de ciclosporine (1,7 µg/l). Ce taux, indétectable avec la première méthode d’analyse (< 15,625 µgg/l), a été recherché à l’aide d’une technique plus performante, pour atteindre la concentration exacte. À partir de J7, la mère a commencé à allaiter ses enfants, le lait maternel représentant 70-80 % de leurs apports (elle n’arrivait pas à obtenir suffisamment de lait pour couvrir les besoins de ses 2 enfants).
La mère a fourni des échantillons de lait de fin de tétée toutes les 2 à 4 heures pendant 48 heures en commençant à J9. Le taux lacté peu de temps après la prise matinale (125 mg) était de 1,48 µg/l. Il augmentait jusqu’à 3,2 µg/l environ 3 heures après la prise et redescendait à 1,72 µg/l au moment de la prise du soir, puis à 0,57 µg/l 8 heures après la prise du soir. Il était remonté à 1,78 µg/l au moment de la prise du lendemain matin, puis à 2,04 µg/l environ 5 heures après la prise matinale, il redescendait à 0,44 µg/l environ 8 heures après cette prise et 4 heures avant la prise du soir. Enfin, il augmentait jusqu’à 5,3 µg/l (taux lacté le plus élevé constaté pendant le suivi) environ 7 heures après la prise du soir pour redescendre à 1,23 µg/l 2 heures avant la prise du surlendemain matin. Le taux sérique maternel n’a pas été suivi dans la mesure où il était indétectable à J8 (ce qui n’a pas empêché l’amélioration du syndrome néphrotique). Le taux sérique infantile n’a pas non plus été recherché en raison du faible taux lacté de ciclosporine. À 1 mois, les enfants pesaient 3,9 et 4,2 kg. Aucun effet secondaire n’a été constaté chez eux pendant les 3 premiers mois post-partum. La mère a poursuivi l’allaitement pendant des mois.
Ce cas suggère que l’excrétion lactée de la ciclosporine, si elle varie fortement pendant la journée, reste faible et que le niveau d’exposition du nourrisson exclusivement allaité est globalement bas. Les mères traitées par ciclosporine aux doses administrées dans cette étude ne devraient pas être découragées d’allaiter au vu des bénéfices de l’allaitement. Ces bénéfices et les risques potentiels de son traitement devraient être discutés avec la mère (en particulier les risques liés à l’administration d’un vaccin vivant à l’enfant). Si possible, on recherchera le taux lacté de ciclosporine à plusieurs reprises. On conseillera à la mère de consulter si son bébé présente des infections, des vomissements ou un quelconque effet éventuellement lié à son traitement, et un bilan biologique sera alors effectué chez l’enfant (hémogramme, évaluation des fonctions hépatiques et rénales, et éventuellement taux sérique de ciclosporine).
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