Publié dans le n° 198 des Dossiers de l'allaitement, novembre 2023.
D'après : Experience to date with CFTR modulators during pregnancy and breastfeeding in the British Columbia Cystic Fibrosis clinic . Goodwin J et al. Respir Med Case Rep 2022 ; 40 : 101778.
L’introduction des modulateurs du CFTR parmi les traitements de la mucoviscidose a significativement amélioré la qualité et la durée de vie des personnes touchées et a permis à davantage de femmes atteintes d’envisager de devenir mères. Toutefois, les données sur l’utilisation de ces produits pendant la grossesse et l’allaitement restent succinctes. On sait que les 4 produits actuellement commercialisés traversent la barrière placentaire et peuvent être retrouvés dans le sang du cordon et le sang plasmatique. En Colombie-Britannique (Canada), un centre hospitalier spécialisé suit plus de 250 personnes souffrant de mucoviscidose, via des équipes multidisciplinaires. Ils présentent leur expérience en matière de suivi de femmes traitées par modulateurs du CFTR pendant la grossesse et l’allaitement.
Premier cas
Cette femme a débuté sa première grossesse à 33 ans en 2015, alors qu’elle était sous ivacaftor. Sa mucoviscidose avait été diagnostiquée alors qu’elle avait 10 mois. Au moment du début de sa grossesse, elle était en relativement bonne santé et physiquement active. Elle présentait une colonisation par un Pseudomonas, un Staphylocoque doré sensible à la pénicilline, une Klebsiella oxytoca et un Herbaspirilium. Elle avait des antécédents de polypes de la muqueuse nasale et de sinusite, d’asthme avec des épisodes d’aspergillose bronchopulmonaire allergique (jamais traitée), d’insuffisance pancréatique, de dysglycémie, et elle avait subi une cholécystectomie. Le traitement par ivacaftor avait été débuté en 2012, et depuis elle présentait habituellement une période d’aggravation une fois par an. Elle a débuté une grossesse spontanément 4 mois après avoir arrêté sa contraception orale. Son compagnon n’était pas porteur d’une mutation du CFTR susceptible d’induire une mucoviscidose.
Elle a commencé à être suivie par le centre spécialisé à environ 8 semaines de grossesse. On lui a conseillé d’arrêter l’ivacaftor en l’absence de données sur son potentiel tératogène, mais elle a choisi de continuer à le prendre. Sa fonction pulmonaire était satisfaisante au moment de sa prfemière visite. Les cultures de crachats sont restées positives pour le Pseudomonas aeruginosa et le Staphylocoque doré pendant toute la grossesse. Elle a présenté une aggravation de la mucoviscidose pendant le deuxième trimestre de la grossesse, traitée par céfalexine par voie orale, aztréonam en nébulisation et budésonide en inhalation. L’échographie effectuée à 35 semaines et 4 jours n’a pas constaté d’anomalie, mis à part un léger hydramnios. Cette femme a été admise pour induction du travail en raison de sa mucoviscidose et du léger hydramnios, et elle a accouché à 38 semaines et 2 jours par césarienne en urgence en raison d’épisodes prolongés de baisse du rythme cardiaque fœtal. Son bébé pesait 3,2 kg et son Apgar était normal. La mère a reçu une antibiothérapie prophylactique (piperacilline-tazobactam et ceftazidime) pendant la première semaine post-partum. Son état clinique sur le plan respiratoire est resté stable après la naissance. Elle a allaité jusqu’à environ 3,5 ans tout en poursuivant son traitement par ivacaftor. Son enfant n’a présenté aucun effet secondaire et il est actuellement en bonne santé.
Second cas
Cette femme, âgée de 33 ans, était enceinte pour la troisième fois. Elle avait commencé à prendre du Kaftrio® (élexacaftor + ivacaftor + tezacaftor) en mars 2020. Auparavant, elle était sous lumacaftor + ivacaftor depuis 2017. Elle présentait un diabète traité par insuline, une rhino-sinusite chronique, une insuffisance pancréatique, des épisodes d’asthme, un syndrome fémoro-patellaire et une lithiase biliaire. Ses crachats étaient chroniquement contaminés par un Pseudomonas aeruginosa, un Staphylocoque doré et un E. coli. Elle avait accouché par voie basse à 37 semaines de gestation en 2005, cet enfant étant en bonne santé. Elle a ensuite fait une fausse couche pendant le premier trimestre de grossesse en 2020. Cette troisième grossesse était planifiée. Son compagnon n’était pas porteur d’une mutation corrélée à la mucoviscidose. Elle présentait régulièrement des épisodes d’aggravation et la baisse de sa fonction pulmonaire avait amené à l’inscrire pour une transplantation pulmonaire, inscription qui a été annulée après le début du traitement par Kaftrio® en raison de la nette amélioration de la symptomatologie.
Au moment de sa première visite dans le centre des auteurs, sa fonction pulmonaire était moyenne, elle n’avait pas été hospitalisée récemment et elle avait de légers problèmes de toux et de dyspnée. On a discuté avec elle du fait qu’il n’existait guère de données sur la sécurité de son traitement pendant la grossesse. La mère a décidé de poursuivre le traitement en raison des bénéfices pour sa santé. Elle a été traitée par amoxicilline + acide clavulanique à 31 semaines de grossesse en raison d’une aggravation, mais à part cet épisode, la grossesse s’est globalement bien passée. Elle s’est présentée à 33 semaines en raison d’une rupture prématurée des membranes, et elle a été mise sous antibiotiques et corticoïdes. À 35 semaines, elle a commencé à présenter des contractions et le monitoring a constaté de multiples épisodes de baisse du rythme cardiaque fœtal. Une césarienne en urgence a été effectuée. Le nouveau-né pesait 3,1 kg et son Apgar était normal. La mère a commencé à allaiter tout en poursuivant son traitement. Le bébé a été admis pendant 4 jours en néonatalogie en raison d’une hypoglycémie et d’un ictère. La mère a allaité jusqu’à 6 mois, elle se portait alors bien ainsi que son bébé.
Les modulateurs du CFTR ont significativement amélioré la vie des personnes souffrant de mucoviscidose. Dans la mesure où cette maladie peut avoir un impact négatif sur la grossesse, la poursuite de leur prise pendant la grossesse présente des bénéfices pour la mère et le fœtus. Ces produits améliorent également le statut nutritionnel de la femme pendant la grossesse. Des cas d’aggravation importante de la mucoviscidose ont été rapportés chez des femmes qui avaient arrêté leur prise pendant la grossesse, et des études menées tant sur des animaux que sur des femmes suggèrent que la poursuite du traitement pendant la grossesse présente divers bénéfices. De rares cas de problèmes ont été rapportés sans qu’il soit possible de dire qu’ils sont réellement la conséquence du traitement maternel. Actuellement, on recommande de plus en plus la poursuite du traitement par modulateurs du CFTR pendant la grossesse. Les données sur leur excrétion lactée sont également très limitées. Les 2 femmes dont les cas sont présentés plus haut ont allaité pendant respectivement 42 et 6 mois sans que leur enfant présente un quelconque problème. Toutefois, en l’absence de données de bonne qualité, il est nécessaire de rester prudent. La poursuite du traitement par modulateurs du CFTR pendant la grossesse et l’allaitement nécessite une discussion avec les parents concernant les bénéfices et les risques potentiels du traitement, ainsi qu’un suivi régulier de la femme, du fœtus, puis de l’enfant allaité.
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