Publié dans le n° 198 des Dossiers de l'allaitement, novembre 2023.
D'après : Drug therapy of myasthenia gravis during breastfeeding. Anderson PO. Breastfeed Med 2022 ; 17(12) : 981-3.
La myasthénie grave (MG) est une pathologie auto-immune de la jonction neuromusculaire, qui se caractérise par une faiblesse et une fatigabilité des muscles squelettiques. Elle touche majoritairement les femmes entre 20 et 40 ans et les personnes âgées. Elle est induite par la présence d’auto-anticorps dirigés contre les récepteurs pour l’acétylcholine au niveau de la jonction neuromusculaire. La grande majorité des mères présentant une MG pourront allaiter, mais dans certains cas un sevrage sera conseillé si la mère est très fatiguée. Sa gestion fait essentiellement appel à des médicaments symptomatiques et à des immunomodulateurs.
Anticholinestérasiques
Le traitement de première ligne est l’administration d’anticholinestérasiques qui augmenteront le taux d’acétylcholine au niveau de ses récepteurs. Ces produits abaissent la métabolisation de l’acétylcholine. Leur action est rapide et uniquement symptomatique.
La pyridostigmine est la molécule la plus utilisée. Une étude a suivi son excrétion lactée chez 2 femmes (Hardell). La première en prenait 60 mg 3 fois par jour (3 mg/kg/jour). Son taux lacté était de 13 à 24 µg/l dans les échantillons de lait collectés sur une période de 8 heures. À J102, la posologie avait été abaissée à 40 mg 2 fois par jour (2 mg/kg/jour), et le taux lacté allait d’inférieur à la limite de détection à 5 µg/l sur la même période. Le pic lacté était constaté environ 4 heures après la prise. L’autre femme en prenait 60 mg 5 fois par jour (5 mg/kg/jour). À J60, le taux lacté de pyridostigmine allait de 22 à 25 µg/l. Le taux sérique chez son bébé exclusivement allaité était inférieur à la limite de détection au moment de la prise maternelle et 2,6 heures plus tard. Les auteurs estimaient qu’un nourrisson exclusivement allaité était exposé au maximum à 0,1 % de la dose maternelle ajustée pour le poids.
La néostigmine était indétectable dans le lait de 12 femmes qui ont été suivies pendant 21 grossesses dans les années 1960 (Fraser). Toutefois, les données fournies par les auteurs étaient succinctes et les méthodes d’analyse étaient moins performantes qu’actuellement. 6 de ces femmes ont réussi à allaiter. L’une d’entre elles a rapporté des coliques chez son bébé après chaque tétée, pouvant être en rapport avec le traitement maternel même si la néostigmine n’y était pas détectable. La pyridostigmine est donc préférable.
L’édrophonium est un anticholinestérasique à courte demi-vie essentiellement utilisé pour diagnostiquer la MG. Il n’existe aucune donnée sur son utilisation pendant l’allaitement. Toutefois, sa courte demi-vie et sa structure chimique le rendent peu susceptible de passer dans le lait maternel ou d’être absorbé par voie orale par le bébé allaité. Mettre l’enfant au sein juste avant l’administration de l’édrophonium et attendre 2-3 heures pour remettre l’enfant au sein devrait éviter un quelconque effet négatif chez l’enfant allaité.
Immunomodulateurs / immunosuppresseurs
Les glucocorticoïdes améliorent les symptômes induits par la MG et constituent un traitement de fond. Les données concernant leur excrétion lactée proviennent d’études menées sur des femmes prenant ces produits pour d’autres pathologies. La prednisone est le produit le plus utilisé. Son excrétion lactée est très faible et aucun effet secondaire n’a été rapporté chez les bébés allaités par des mères traitées par un quelconque glucocorticoïde, et le conseil encore donné de suspendre l’allaitement pendant 4 heures après la prise n’est pas justifié. Même l’administration en perfusion de doses massives (1 g) dans le cadre de la gestion des poussées aiguës de sclérose en plaques induit une excrétion lactée modeste. Si la mère est inquiète et même si cela n’est pas nécessaire, une suspension de l’allaitement de 2 heures abaissera fortement le niveau d’exposition du bébé allaité. Pour davantage d’informations, vous pouvez consulter le coin du prescripteur sur les corticoïdes (Doss All 2008 ; 74 : 22-4).
Les immunoglobulines administrées en intraveineuse sont utilisées pour le traitement des poussées aiguës de MG, mais également comme traitement de fond en administration sous-cutanée. Une étude a suivi 2 mères, dont l’une en recevait 400 à 500 mg/kg et l’autre 600 à 700 mg/kg tous les mois (Palmeira). Les auteurs rapportaient que le taux lacté d’IgG était normal dans le colostrum de la première mère et plus élevé que la normale dans le colostrum de la seconde mère, tandis que le taux d’IgM était normal dans le colostrum et le lait de la première mère et plus bas que la moyenne chez la seconde mère. Des données portant sur plus de 200 enfants n’ont constaté aucun effet secondaire sérieux suite au traitement maternel (Achiron ; Haas, 2007) mis à part de rares cas de rash cutané transitoires (Haas, 2000) dont le lien avec le traitement maternel n’était pas démontré.
L’azathioprine peut être utilisée pour le traitement au long cours, ce qui permet éventuellement d’abaisser la posologie de prednisone. De nombreuses études ont suivi son excrétion lactée chez des mères allaitantes qui en prenaient pour diverses pathologies. Des doses allant jusqu’à 200 mg/jour induisaient une excrétion lactée faible, voire inférieure à la limite de détection, et l’azathioprine était indétectable dans le sang de l’enfant. Aucun effet secondaire significatif n’a été constaté chez les enfants suivis jusqu’à 3,5 ans, mis à part des cas de neutropénie modeste et asymptomatique. Toutefois, il n’existe pas d’études évaluant l’impact à plus long terme. Elle est considérée comme utilisable pendant l’allaitement. Suspendre l’allaitement pendant 4 heures après la prise quotidienne limitera fortement le niveau d’exposition du bébé allaité. Ce dernier pourra également être suivi sur le plan biologique (hémogramme et bilan hépatique). Pour de plus amples données, vous pouvez consulter : Doss All 2008 ; 77 : 21-3.
La ciclosporine a également fait l’objet d’un certain nombre d’études chez des femmes qui en prenaient pour d’autres pathologies. Aux doses habituellement administrées, un nourrisson allaité reçoit environ 2 % de la dose maternelle ajustée pour le poids (ou de la dose pédiatrique), et souvent < 1 %. Il arrive que la ciclosporine soit détectable dans le sérum infantile. De nombreuses mères ont allaité en étant traitées au long cours par ciclosporine (suite à une transplantation par exemple). Aucun impact négatif n’a été rapporté chez les enfants allaités. Elle est considérée comme utilisable pendant l’allaitement, l’enfant allaité étant régulièrement suivi. Pour davantage d’informations, vous pouvez consulter : Doss All 2008 ; 77 : 21-3.
Le mycophénolate mofétil a fait l’objet de beaucoup moins d’études chez des mères allaitantes. Une étude menée chez une femme faisait état d’une excrétion lactée relativement importante. Elle en prenait 720 mg 2 fois par jour. Le taux lacté avant la prise matinale, puis 2 et 4 heures après celle-ci, était respectivement de 35, 80 et 28 mg/l, le pic lacté semblant survenir environ 2 heures après la prise. Le nourrisson exclusivement allaité était probablement exposé à au moins 19 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Aucun effet secondaire n’a été rapporté chez des enfants allaités par des mères traitées par mycophénolate mofétil (Constantinescu ; Boyle). Il reste toutefois préférable d’utiliser un autre produit, en particulier si l’enfant est un prématuré ou un petit nourrisson.
L’éculizumab est un anticorps monoclonal approuvé pour le traitement de fond de la MG. Des études ont suivi des femmes traitées pour une hématurie nocturne paroxystique, et l’éculizumab n’était pas détectable dans le lait maternel (Ando ; Kelly ; Miyasaka ; Sarris ; Sharma). Environ 60 enfants ont été allaités par une mère traitée par éculizumab sans présenter aucun effet secondaire (Socié).
Le ravulizumab est un autre anticorps monoclonal dont le mécanisme d’action est similaire à celui de l’éculizumab. Il n’existe aucune donnée sur son excrétion lactée. Toutefois, comme les autres anticorps monoclonaux, son poids moléculaire est élevé et sa biodisponibilité orale est très faible. Le fabricant recommande d’arrêter l’allaitement jusqu’à 8 mois après la dernière prise, probablement en raison de l’absence de données. Il sera préférable d’utiliser un produit pour lequel des données existent, comme l’éculizumab.
L’efgartigimod alfa bloque les récepteurs Fc néonataux (FcRN), ce qui abaisse le taux d’IgG, incluant celles qui sont dirigées contre les récepteurs de l’acétylcholine. Il n’existe aucune donnée sur son excrétion lactée. C’est également une grosse molécule dont la biodisponibilité orale est très faible. Le fabricant ne le contre-indique pas pendant l’allaitement, mais en l’absence de données il est préférable de l’utiliser avec précaution, en particulier si l’enfant allaité est un prématuré ou un nouveau-né.
En conclusion
Le traitement de la MG peut dans l’ensemble être le même pendant l’allaitement que le traitement standard. La pyridostigmine utilisée en première intention a un bon profil de sécurité. L’azathioprine, la ciclosporine et l’éculizumab sont utilisables pendant l’allaitement moyennant un suivi régulier du bébé allaité.
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