Publié dans le n° 198 des Dossiers de l'allaitement, novembre 2023.
D'après : The "breastfeeding paradox" as a guide for the assessment of premature infants growth : it is more than just weigh-ins. Gianni ML et al. Breastfeed Med 2023 ; 18(5) : 385-7.
Un des objectifs majeurs des néonatalogistes est de veiller à ce que la croissance des prématurés soit adéquate, en leur fournissant une quantité optimale de nutriments d’une qualité optimale. Toutefois, les prématurés sont par définition immatures dans tous les domaines, et ils peuvent présenter des comorbidités et des complications, ce qui rendra l’obtention d’une bonne nutrition encore plus difficile. Afin de tenter d’obtenir une croissance similaire à la croissance intra-utérine, on a mis en œuvre des stratégies "agressives" de nutrition, en particulier sur le plan des apports caloriques et protéiques. La mise au point de courbes de croissance spécifiques des prématurés (INTERGROWTH-21st Preterm Postnatal Growth Standards, inter-growth21.tghn.org/articles/intergrowth-21st-postnatal-growth-standards-and-z-scores-preterm-infants/) a démontré qu’il était utopique d’espérer obtenir une croissance similaire à celle du fœtus, l’environnement post-natal des prématurés étant radicalement différent de l’environnement utérin. Les courbes de l’INTERGROWTH-21st ont été construites à partir de ce qui a été constaté chez des prématurés, afin de déterminer les modalités de leur croissance dans des conditions cliniques et nutritionnelles optimales. Par ailleurs, la croissance staturo-pondérale n’est pas le seul indicateur d’un développement optimal du prématuré. Certes, elle est facile à évaluer, mais elle n’est pas forcément l’indicateur le plus intéressant.
Ne serait-ce que sur le plan nutritionnel, il pourrait être plus intéressant de documenter l’évolution de la composition corporelle, étant donné l’importance de ce facteur sur la santé. Il serait donc utile de suivre les prématurés sur le plan de leurs pourcentages de masse grasse et de masse maigre. Sur le plan clinique, cela ne sera pas toujours possible (et cela demande du matériel spécialisé), et ces pourcentages sont donc essentiellement documentés dans le cadre d’études. Toutefois, des études suggèrent qu’une mesure précise de la taille et du périmètre crânien permet d’obtenir des informations intéressantes respectivement sur la masse maigre et la croissance cérébrale. Une nutrition agressive pourra privilégier l’augmentation de la masse grasse en raison d’un excès de protéines, ce qui viendra s’ajouter au fait que les prématurés accumulent davantage de masse grasse que les enfants nés à terme jusqu’à 50 semaines d’âge gestationnel.
En 2012, une équipe a présenté le concept de "paradoxe de l’allaitement", qui décrivait un meilleur développement neurologique chez les prématurés allaités en dépit d’une moins bonne prise de poids par rapport aux prématurés nourris avec un lait industriel pour prématurés, alors que de nombreuses études avaient constaté qu’une moins bonne prise de poids était corrélée à un moins bon développement cognitif. Cela pourrait être lié au fait que le lait humain favorise l’acquisition de masse maigre, ce qui est corrélé à une meilleure programmation métabolique et à un meilleur développement neurologique. Le "paradoxe de l’allaitement" nous rappelle que la simple prise de poids n’est pas le seul facteur à prendre en compte lorsqu’on met en place une stratégie nutritionnelle chez un prématuré. Il faut également prendre en compte les divers bénéfices du lait maternel, qui favorise un meilleur développement des organes, du métabolisme et du système immunitaire du prématuré. On a constaté que l’introduction de lait humain fourni par un lactarium dans l’alimentation de ces enfants (en plus du lait maternel) avait indiscutablement des avantages, même si son traitement a un impact négatif sur certains de ses composants.
Les prématurés sortent souvent de néonatalogie avant l’âge gestationnel auquel un nouveau-né à terme sort de maternité, et avec un poids plus bas. Ils présentent donc un certain degré d’immaturité digestive et neurologique. On recommande de moins en moins la poursuite de l’enrichissement du lait maternel après la sortie de néonatalogie en raison de l’absence de données fiables démontrant que cette poursuite présente des bénéfices. Il est possible que cette absence de bénéfices soit liée au fait qu’après sa sortie, le prématuré allaité pourra augmenter ses apports en lait maternel, et donc bénéficier davantage des bienfaits qu’il prodigue (entre autres un risque plus bas de troubles métaboliques). Il est essentiel de suivre régulièrement le développement général des prématurés. Au vu des données actuelles, l’allaitement (avec du lait maternel) semble le meilleur moyen d’optimiser la nutrition et la croissance des prématurés. Le lait humain fourni par un lactarium est un second choix lorsque le lait maternel n’est pas disponible ou ne l’est pas en quantité suffisante. La croissance des prématurés devrait être suivie à partir des courbes de INTERGROWTH-21st. Et lorsqu’un prématuré ne prend pas autant de poids que souhaité, il est important de se souvenir du "paradoxe de l’allaitement", afin de ne pas introduire un lait industriel de façon injustifiée, pendant le séjour en néonatalogie ou après la sortie du service.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci