Publié dans le n° 200 des Dossiers de l'alalitement, janvier 2024.
D'après : Lights and shadows on the use of metformin in pregnancy : from the preconception phase to breastfeeding and beyond. Tosti G et al. Front Endocrinol 2023 ; 14 : 1176623.
Pendant la grossesse apparaît progressivement une baisse de la sensibilité à l’insuline dans le cadre des adaptations métaboliques de la mère, destinées à répondre aux demandes physiologiques spécifiques de la grossesse. Dans certains cas, cette baisse de la sensibilité à l’insuline survient chez des femmes qui ont déjà une résistance à l’insuline (obésité, diabète de type 2, syndrome des ovaires polykystiques – SOPK). Elle pourra induire une augmentation de la glycémie, avec un impact négatif sur le fœtus (et à plus long terme chez l’enfant exposé à l’hyperglycémie maternelle) et sur le déroulement de la grossesse. La metformine est un biguanide qui abaisse la glycémie par divers mécanismes : elle abaisse la production hépatique de glucose et la stéatose hépatique, augmente la sensibilité hépatique à l’insuline, et augmente le transport de glucose par les muscles. Elle traverse la barrière placentaire et son taux fœtal est similaire au taux sérique maternel. L’objectif de cet article était de faire le point sur les données publiées sur l’utilisation de la metformine de la préconception à l’allaitement et au-delà.
Metformine et diabète gestationnel
La première étude ayant évalué son efficacité et son innocuité chez 63 femmes présentant un diabète gestationnel (DG) a été publiée en 2007, et concluait à son innocuité. En 2008, une importante étude randomisée l’a comparée à l’insuline chez 751 femmes présentant un DG. Les femmes incluses ont préféré le traitement par metformine. Globalement, l’impact sur tous les indicateurs primaires pris en compte était similaire (les épisodes d’hypoglycémie sévère étant même moins fréquents avec la metformine, et la glycémie post-prandiale était un peu plus basse), mais le taux de prématurité était légèrement plus élevé dans le groupe metformine. Concernant les indicateurs secondaires, les femmes du groupe metformine ont pris moins de poids entre le moment du début du traitement et 36 semaines de gestation, et elles ont perdu davantage de poids entre le début de l’étude et le post-partum. Il faut toutefois noter que 46 % des femmes du groupe metformine ont dû prendre également de l’insuline. L’étude suivante a été publiée en 2010. Cette étude randomisée incluait 100 femmes enceintes, et elle n’a pas constaté de différences d’impact entre le groupe insuline et le groupe metformine. 31,9 % de ces dernières ont eu besoin de prendre également de l’insuline. Elles avaient au départ un indice de masse corporelle (IMC) plus élevé, une glycémie plus élevée, leur diabète gestationnel a débuté plus tôt pendant la grossesse, et le poids de naissance de leur enfant était plus élevé.
En 2011, une étude prospective observationnelle a été publiée. Elle avait suivi 1 269 femmes présentant un DG : 371 traitées uniquement par des modifications de l’alimentation, 399 traitées par insuline, 249 par metformine et 216 par metformine + insuline. Par rapport au groupe alimentation, les mères des autres groupes avaient une glycémie et un IMC plus élevés. Les femmes sous insuline ont eu le taux le plus élevé de césarienne et d’accouchement prématuré, et leur nouveau-né a plus souvent été transféré en néonatalogie. En 2012, une étude a comparé la metformine et l’insuline chez des femmes enceintes (80 femmes dans chaque groupe). Ces deux traitements ont eu un impact similaire sur les paramètres pris en compte, mis à part une prise de poids maternelle moins importante et un poids de naissance plus bas des enfants dans le groupe metformine. 14 % des femmes de ce groupe ont dû également prendre de l’insuline. En 2012, une étude randomisée comparant la metformine et l’insuline a été menée auprès de 217 femmes, 20,9 % des femmes du groupe metformine ayant également pris de l’insuline. Ces dernières étaient plus âgées, le DG avait été constaté plus tôt pendant la grossesse, et elles avaient un taux plus élevé de protéines glyquées sériques à leur entrée dans l’étude. Le poids de naissance des enfants était similaire dans les deux groupes. Une étude randomisée publiée en 2013 incluait 47 femmes dans chaque groupe. La prise de poids maternelle et le taux d’hypoglycémie chez le nouveau-né étaient plus bas dans le groupe metformine. 26 % des femmes de ce groupe ont également pris de l’insuline. Là encore, le DG est survenu plus tôt pendant la grossesse chez ces femmes, et elles avaient une glycémie plus élevée avant le démarrage du traitement.
Une étude randomisée publiée en 2019 évaluait l’impact de la metformine versus un placebo pour la prévention du diabète gestationnel chez les femmes présentant une résistance à l’insuline prégestationnelle. Elle a conclu à l’absence d’impact de la metformine. Une méta-analyse publiée en 2013 regroupait les données de 5 études randomisées incluant au total 1 270 femmes. Elle concluait que les femmes du groupe metformine avaient une prise de poids plus basse, un taux plus bas d’hypertension gravidique, et un taux plus élevé d’accouchement prématuré. Une autre méta-analyse a été publiée en 2021, incluant 24 études, qui confirmait l’efficacité et l’innocuité de la metformine pour la gestion du DG. La même année, une nouvelle étude randomisée a été publiée, menée après de 100 femmes dans le groupe insuline et 100 femmes dans le groupe metformine. Elle a confirmé que la metformine abaissait davantage la prise de poids maternelle. Elle était également corrélée à une glycémie post-prandiale plus basse et à un taux plus bas de césarienne. Il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes concernant le poids de naissance de l’enfant. Les seuls désavantages de la metformine sont l’existence fréquente d’effets secondaires tels que des nausées et des vomissements et/ou des diarrhées, ainsi que l’absence de données sur un éventuel impact à long terme chez l’enfant suite à son passage vers le fœtus.
Metformine et gestion du diabète de type 2 pendant la grossesse
La plus importante étude sur le sujet est une étude multicentrique randomisée en double aveugle (metformine versus placebo) menée auprès de 502 femmes présentant un diabète de type 2 (DT2) traitées auparavant par de l’insuline. La metformine n’avait aucun impact sur le déroulement de la grossesse. Les femmes du groupe metformine avaient eu un meilleur contrôle de leur diabète, avaient pris moins de poids, avaient moins souvent accouché par césarienne, leurs enfants avaient un poids de naissance plus bas et un taux légèrement plus élevé d’ictère néonatal.
Metformine pendant la grossesse chez les femmes obèses
Une étude randomisée en double aveugle a été publiée sur le sujet en 2015. Elle incluait 449 femmes enceintes, obèses mais ayant une tolérance normale au glucose. Elles ont reçu soit de la metformine, soit un placebo. Aucune différence n’a été constatée entre les deux groupes pour tous les paramètres pris en compte. Une autre étude randomisée en double aveugle (metformine versus placebo), publiée en 2019, a été menée auprès de 524 femmes. Elle n’a pas non plus constaté de différences entre les deux groupes, mis à part une prise de poids plus faible dans le groupe metformine. En 2020, une nouvelle étude randomisée (metformine versus placebo) a été menée auprès de 357 femmes ne présentant pas de diabète au départ. La seule différence entre les deux groupes était un taux significativement plus bas de césarienne dans le groupe metformine. Toujours en 2020, une autre étude randomisée a été menée auprès de 436 femmes obèses non diabétiques, incluant l’analyse de l’impact sur le profil lipidique. Le seul impact constaté était des différences dans les taux de HDL et de triglycérides entre les deux groupes. Globalement, même si la metformine pourrait avoir un intérêt modeste en particulier chez les femmes souffrant d’une obésité majeure, elle n’avait aucun impact sur le risque de survenue d’un DG ou sur le développement fœtal.
Metformine pendant la grossesse chez les femmes présentant un SOPK
Une étude randomisée en double aveugle metformine/placebo a été publiée en 2004. Elle incluait 40 femmes enceintes présentant un SOPK. Outre le déroulement de la grossesse, on a documenté les taux des divers androgènes chez ces femmes. La metformine n’avait aucun impact sur le taux maternel d’androgènes. Toutefois, le taux de complications sévères pendant la grossesse ou en post-partum précoce était de 32 % dans le groupe placebo versus 0 % dans le groupe metformine. Celle-ci pourrait donc être intéressante pour la prévention des complications liées à la grossesse chez les femmes présentant un SOPK. Une autre étude randomisée en double aveugle metformine/placebo, menée auprès de 257 femmes, a été publiée en 2010. Aucun impact n’a été constaté, en particulier sur le risque de complications sévères de la grossesse, contrairement à l’étude publiée en 2004. Le seul impact constaté était une prise de poids gestationnelle plus basse dans le groupe metformine. La combinaison des résultats de ces deux études retrouvait une baisse du risque de fausse couche tardive et d’accouchement prématuré dans le groupe metformine. Une méta-analyse publiée en 2016 incluait 13 études portant sur au total 1 606 femmes. La metformine semblait abaisser le risque de fausse couche, d’accouchement prématuré, de diabète gestationnel, d’hypertension gravidique et de césarienne. Une autre étude randomisée en double aveugle metformine/placebo, publiée en 2019, incluait 487 femmes. Le traitement a été débuté dès le premier trimestre. Aucune différence n’a été constatée entre les deux groupes mis à part une prise de poids plus basse des femmes du groupe metformine. Aucun impact n’était constaté sur le risque de survenue d’un DG. La metformine semblait abaisser le risque de fausse couche, de prématurité et de césarienne.
Le SOPK est une endocrinopathie qui, outre son impact métabolique, a un impact sur la fertilité. Il est à l’origine de 80 % des cas de syndrome anovulatoire. La metformine pourrait faciliter la survenue d’une grossesse, y compris en cas de PMA. En dépit de la multitude d’études randomisées de bonne qualité menées sur le sujet, il est impossible de conclure concernant l’intérêt d’un traitement par metformine dans ce cadre.
Metformine pendant l’allaitement
Des études ont constaté que les mères obèses avaient plus souvent une montée de lait retardée, qu’elles allaitaient moins souvent et moins longtemps. Cela semble en rapport avec les variations de la sensibilité à l’insuline de la glande mammaire pendant la grossesse et la lactation. Il semblait donc possible que la metformine puisse favoriser la lactation chez les mères obèses. Son excrétion lactée a été évaluée. Son taux lacté allait de 0,1 à 0,4 mg/l, et elle était indétectable ou présente à un taux infime dans le sang des bébés allaités avec des prises maternelles allant de 750 à 1 500 mg/jour. Elle est donc considérée comme compatible avec l’allaitement. On a recherché l’impact de la prise de metformine (750 mg/jour entre J1 et J7, 1 500 mg entre J8 à J14 et 2 000 mg entre J14 et J28 versus un placebo) sur la production lactée de mères obèses. Cette production lactée a augmenté de 60 % pendant le suivi chez les mères du groupe metformine versus 20 % dans le groupe placebo. La différence entre les deux groupes n’était toutefois pas statistiquement significative après correction pour les autres variables, et la production lactée des mères du groupe metformine restait nettement insuffisante.
Impact de la metformine sur l’enfant
On sait que les nouveau-nés des mères diabétiques ont une masse grasse et un poids plus élevés à la naissance. Les marqueurs d’une baisse de la sensibilité à l’insuline ont été mis en évidence dans le sang du cordon. Une glycémie trop élevée pendant la grossesse a un impact négatif sur son déroulement et sur le fœtus. Des études ont également constaté que les enfants des mères obèses avaient un risque plus élevé de développement cognitif suboptimal, de TDAH, de troubles du spectre autistique, de troubles psychiatriques et de paralysie cérébrale. On peut donc supposer que l’exposition in utero à la metformine pourrait maintenir chez le fœtus un meilleur métabolisme glucidique, mais il reste très important d’avoir des données sur l’impact à long terme chez l’enfant.
Une étude a évalué cet impact sur la composition corporelle des enfants à 2 ans, dans le cadre d’un suivi à plus long terme de dyades dont les mères avaient été incluses dans une étude randomisée metformine/placebo dans la gestion d’un DG. Les deux groupes étaient similaires au démarrage de l’étude et sur le plan du taux d’allaitement. À 2 ans, les enfants du groupe metformine avaient une circonférence brachiale et une épaisseur du pli cutané subscapulaire plus élevées que ceux du groupe placebo. Par ailleurs, il n’existait aucune différence entre les deux groupes sur le plan de la masse grasse, de la masse maigre, et de leurs pourcentages. On peut supposer que l’exposition à la metformine a induit un stockage des graisses plus important au niveau sous-cutané, qui pourrait s’accompagner d’une accumulation plus faible des graisses au niveau viscéral, ce qui présente des avantages. Les mêmes auteurs ont suivi à nouveau ces enfants à 7-9 ans. Les enfants du groupe metformine avaient un poids plus élevé, un tour de bras et de poitrine plus élevé, et un rapport tour de poitrine / taille plus élevé. Les auteurs constataient toutefois une masse grasse totale et abdominale similaire dans les deux groupes.
Une autre étude a suivi les enfants dont les mères avaient été incluses dans une étude randomisée metformine/placebo pour la gestion d’un DG, ces enfants étant revus à 9 ans. Au-cune différence entre les deux groupes n’a été constatée pour tous les paramètres documentés, incluant le métabolisme glucidique. Les enfants du groupe metformine avaient cependant un meilleur profil lipidique, l’impact étant toutefois significatif uniquement chez les garçons. Une étude a recherché l’impact sur le profil cardiovasculaire d’enfants d’environ 4 ans dont les mères obèses avaient été incluses dans une étude randomisée. Aucune différence significative n’a été constatée entre les deux groupes. Il semblait toutefois que les enfants du groupe metformine avaient une pression aortique systolique et diastolique plus basse. Les enfants de femmes incluses dans une étude randomisée sur l’impact de la metformine chez les femmes enceintes présentant un SOPK ont été revus à 5-10 ans. Les enfants du groupe metformine avaient un poids plus élevé et une adiposité abdominale plus importante, mais aucune autre différence significative n’a été constatée par rapport au groupe placebo.
Une vaste étude publiée en 2022 a inclus plus de 10 000 enfants dont la mère avait pris de la metformine et/ou de l’insuline sans préciser l’indication de ce traitement. Les auteurs concluaient que le risque d’obésité était plus élevé chez les enfants exposés à ces deux produits. Le traitement n’avait pas d’impact significatif sur le risque infantile d’hyperglycémie, sur le développement moteur ou social, sur le risque d’hypertension ou de SOPK. L’exposition à la metformine était corrélée à un poids de naissance plus bas. Une étude a suivi à 7,7 ans 93 enfants exposés à la metformine ou à un placebo pendant la grossesse, et ne rapportait aucune différence significative entre les deux groupes.
En conclusion
Les données existantes concluent à un bon niveau de sécurité et d’efficacité de la metformine pendant la grossesse pour la gestion du DG ou du diabète de type 2, ainsi que pendant l’allaitement. En revanche, la metformine ne prévient pas la survenue d’un DG chez les femmes présentant déjà une résistance à l’insuline ou un SOPK, ni chez les femmes obèses. Elle limite la prise de poids maternelle et semble abaisser le risque de certaines complications. Elle est corrélée à un poids de naissance plus bas chez l’enfant. La metformine ne semble pas avoir d’impact significatif à long terme chez l’enfant qui y a été exposé pendant la grossesse et l’allaitement. Elle pourrait abaisser le risque de troubles métaboliques chez les enfants des mères ayant présenté un DG, et le risque cardiovasculaire chez les enfants de mères obèses, tandis que l’exposition in utero semble augmenter le risque métabolique chez les enfants de mères présentant un SOPK. Toutefois, ces données restent le plus souvent à confirmer.
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