Publié dans le n° 201 des Dossiers de l'allaitement, février 2024.
D'après : Effects of breast milk on Behçet’s disease clinical features. Konak HE et al. Turk J Med Sci 2023 ; 53 : 121-9.
La maladie de Behçet est une vasculite systémique chronique qui se traduit essentiellement par des lésions buccales et génitales douloureuses, d’autres organes pouvant être atteints. Son étiologie reste mal cernée, mais elle semble en rapport avec une dysrégulation de l’auto-immunité influencée par des facteurs génétiques et environnementaux, avec activité anormale des lymphocytes T helper et Tregs. Le lait maternel a un impact important sur la maturation et la modulation du système immunitaire chez le nourrisson, via en particulier son rôle dans l’installation et le maintien d’une flore intestinale de bonne qualité. On sait que l’allaitement a un impact à long terme sur le risque de certaines pathologies, mais il n’existe aucune étude sur son impact éventuel sur le risque de maladie de Behçet. L’objectif de cette étude était d’évaluer cet impact.
Cette étude transversale a été menée par le service de rhumatologie d’un CH d’Ankara (Turquie) suivant entre autres des personnes présentant une maladie de Behçet. Les dossiers de ces patients ont été repris afin de les contacter. Leurs parents ont été contactés pour des données sur leur alimentation en début de vie (l’enfant étant défini comme allaité s’il avait reçu du lait maternel pendant > 48 heures). Des données démographiques et socioéconomiques ont été collectées, ainsi que des données médicales détaillées à partir des dossiers des patients. On a en particulier quantifié les manifestations cliniques de la maladie à l’aide d’outils spécifiques : VID (dommages induits par la vasculite, 64 items) et BODI (dommages généraux, 34 items évaluant les éventuels problèmes dans 9 domaines).
Parmi les 450 patients éligibles, les données nécessaires étaient disponibles pour 304 d’entre eux qui avaient accepté de participer. Ces patients avaient 40,8 ± 11,1 ans et 46 % étaient des femmes. 92 % avaient été allaités, pendant une durée médiane de 12 mois. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les 2 groupes concernant l’âge, le sexe, l’âge au moment du diagnostic, la symptomatologie, la positivité pour le HLA-B51, les modalités de la naissance ou le score pour le VDI et le BODI. 6,8 % des patients allaités avaient été traités par un inhibiteur du TNF alpha versus 18,2 % des patients non allaités. La prévalence d’au moins une comorbidité associée était de 26,4 % dans le groupe allaité versus 50 % dans le groupe non allaité, avec en particulier une prévalence plus importante de pathologie pulmonaire obstructive chronique, d’asthme et de sacro-iliite dans ce groupe. Les 292 patients allaités ont été répartis en 2 groupes suivant qu’ils avaient été allaités pendant < 6 mois (98 patients) ou pendant ≥ 6 mois (194 patients). La maladie de Behçet avait été diagnostiquée plus tôt chez les patients allaités pendant < 6 mois, les autres paramètres étant similaires dans les 2 groupes. Les patients allaités ont également été divisés en 2 groupes selon qu’ils avaient été allaités pendant < 12 mois (118 patients) ou ≥ 12 mois (174 patients). Là encore, la maladie avait été diagnostiquée plus tôt chez ceux allaités pendant < 12 mois, et ils avaient de plus un risque plus élevé de pathologie pulmonaire obstructive chronique et d’asthme. Après analyse par régression logistique multiple, l’existence d’une sacro-iliite et la prise d’un inhibiteur du TNF alpha étaient presque 3 fois plus fréquentes chez les patients qui n’avaient pas été allaités que chez ceux qui l’avaient été, et l’existence d’une comorbidité était également presque 2 fois plus fréquente chez eux.
Cette étude incluait un nombre relativement important de patients pour lesquels de nombreuses données avaient été collectées. Toutefois, peu d’entre eux n’avaient pas été allaités, ce qui limite la puissance statistique des données les concernant. L’impact de certains facteurs environnementaux n’a pas été documenté, et aucune donnée n’a été collectée sur la prise d’antibiotiques, les autres facteurs nutritionnels pendant l’enfance, ni sur le tabagisme des patients à l’âge adulte. Par ailleurs, les souvenirs des mères concernant l’allaitement des patients pouvaient être imprécis vu le temps écoulé. Si les résultats de cette étude suggèrent que l’allaitement en début de vie recule l’âge de début de la maladie de Behçet et qu’il en limite certaines manifestations cliniques, des études multicentriques, incluant davantage de patients et prenant en compte davantage de variables confondantes sont nécessaires pour les confirmer.
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