Publié dans le n° 201 des Dossiers de l'allaitement, février 2024.
D'après : A systematic review on maternal-toinfant transfer of drugs through breast milk during the treatment of malaria, tuberculosis, and neglected tropical diseases. Ojara FW et al. PloS Negl Trop Dis 2023 ; 17(7) : e0011449.
Et : Infant exposure to antituberculosis drugs via breast milk and assessment of potential adverse effects in breastfed infants : critical review of data. Algharably EA et al. Pharmaceutics 2023 ; 15 : 1228.
La malaria, la tuberculose et les diverses maladies tropicales négligées sont des causes majeures de morbidité et de mortalité à l’échelle planétaire. L’OMS estime qu’en 2020, la malaria a touché 241 millions de personnes et en a tué 627 000. La tuberculose touche environ 6,4 millions de personnes dans le monde d’après une enquête de l’OMS en 2021. Le tiers des cas concerne les femmes en âge de procréer. Une tuberculose pendant la grossesse, l’accouchement et le post-partum a un impact négatif tant chez la mère que chez l’enfant. Sa prévalence chez les femmes séronégatives pour le VIH est de 0,06 à 0,25 % dans les pays à faible prévalence, et de 0,06 à 0,5 % dans les pays où la tuberculose est endémique. Les maladies tropicales négligées (MTN) incluent 20 maladies essentiellement rencontrées chez les personnes vivant dans les zones tropicales (ou originaires de ces régions), qui induisent tous les ans en moyenne 200 000 décès.
La malaria est actuellement essentiellement traitée avec une combinaison de produits incluant des dérivés de l’artémisine. Le traitement de la tuberculose doit être poursuivi jusqu’au bout, y compris pendant la grossesse et l’allaitement. Habituellement, un traitement combinant 4 antituberculeux est recommandé pendant 6 à 12 mois. Les MTN sont traitées avec divers antimicrobiens, mais certaines sont toujours traitées par des médicaments anciens toxiques en l’absence de nouveaux produits. Dans certaines infections parasitaires, les campagnes d’éradication impliquent le traitement de masse de toute la population d’une région, que les individus soient ou non contaminés. L’allaitement présente de nombreux bénéfices pour la santé et la nutrition infantiles, et ces bénéfices sont particulièrement importants pour les enfants vivant dans les pays en voie de développement, pays dans lesquels ces maladies peuvent être endémiques. Les médicaments pris par la mère allaitante passeront dans son lait. Il existe peu de données sur l’excrétion lactée de bon nombre des médica-ments utilisés dans le traitement de ces infections, et la mère devra alors choisir entre poursuivre l’allaitement avec un risque potentiel pour son enfant, ou arrêter l’allaitement avec les risques que cela implique également pour la croissance et la santé de son enfant. L’allaitement est recommandé chez les mères présentant une tuberculose après démarrage du traitement, le bacille n’étant pas transmis par le lait maternel. Le but de ces analyses était de faire le point sur les données disponibles sur l’excrétion lactée des médicaments utilisés pour le traitement de la malaria, de la tuberculose et des MTN, sur les différentes approches mathématiques pour estimer l’excrétion lactée de ces produits, et d’évaluer le niveau d’exposition des enfants allaités.
Les auteurs de la première analyse ont dressé la liste de tous les produits recommandés par l’OMS pour le traitement de ces pathologies. Concernant les MTN, ils ont pris en compte les traitements pour 15 d’entre elles : ulcère de Buruli, maladie de Chagas, échinococcose, trématodoses intestinales, maladie du sommeil, leishmaniose, lèpre, filariose, mycétome, chromoblastomycose et autres mycoses profondes, onchocercose, gale, schistosomiase, taeniasis/cysticercose et tréponématoses. Ils n’ont pas pris en compte les pathologies telles que la rage, les envenimations, la dracunculose, la dengue et le chikungunya en raison de l’absence de produits spécifiquement utilisés pour leur traitement. Ils ont recherché toutes les études publiées sur l’utilisation de ces produits pendant l’allaitement. Ils ont exclu les articles pour lesquels une traduction en anglais n’a pas pu être obtenue. Ils ont retenu toutes les études pharmacocinétiques effectuées chez des mères allaitantes, dans lesquelles on a recherché le taux du produit dans le sang et/ou le lait maternel et/ou le sang infantile, et ils ont exclu les études ne fournissant pas le taux du médicament dans au moins 2 de ces fluides, ainsi que les présentations de cas. Pour toutes les études retenues, ils ont extrait et classé les données. Ils ont évalué leur qualité à l’aide de l’échelle ClinPK (score de 0 à 24), spécifiquement conçue pour l’évaluation des études pharmacocinétiques. À noter que certains paramètres de cette échelle ne s’appliquent pas à toutes les études incluant des dyades allaitantes, fait qui a été pris en compte pour évaluer la qualité de chaque étude.
Dans la première analyse, au total, 69 médicaments étaient recommandés par l’OMS pour le traitement de la malaria, de la tuberculose et des MTN prises en compte. Des données sur l’utilisation pendant l’allaitement étaient disponibles pour 58 % d’entre eux, et moins de la moitié de ces 58 % avaient fait l’objet d’études pharmacocinétiques permettant une réelle évaluation du niveau d’exposition du bébé allaité. Au total, 18 études correspondaient aux critères d’inclusion, évaluant seulement 15 médicaments (pipéraquine, primaquine, chloroquine, quinine, clindamycine, méfloquine, bédaquiline, isoniazide, benznidazole, nifurtimox, albendazole, praziquantel, clofazimine, ivermectine et azithromycine). Le nombre de mères incluses dans ces études allait de 2 à 33 (27 mères en moyenne). Dans 4 études, la mère et l’enfant ont été pris en compte, et le taux sérique infantile du médicament a été documenté dans 2 d’entre elles. Toutefois, dans l’une de ces 2 études, ce taux sérique infantile a été recherché pour seulement 4 des 13 enfants, et dans l’autre il a été recherché sur un échantil-lon de sang capillaire collecté pour effectuer un hématocrite. Dans 15 études, le taux chez la mère a été recherché à divers moments après la prise du médicament, tandis que dans les 3 autres le taux sérique maternel a été recherché à un seul point après la prise. 6 études avaient été menées chez des femmes traitées pour une autre maladie que celles prises en compte dans cette analyse, ou même chez des femmes en bonne santé volontaires pour l’étude. 3 des études menées sur la chloroquine, l’ivermectine et le praziquantel avaient été menées auprès de femmes en bonne santé, et 2 études portaient sur la prise prophylactique d’azithromycine chez des femmes sur le point d’accoucher. 8 études documentaient le moment où les échantillons de lait maternel avaient été collectés (à savoir dans le colostrum jusqu’à 6 mois post-partum). 12 études étaient des études pharmacocinétiques et 9 d’entre elles avaient calculé un rapport lait/plasma. Les 6 autres utilisaient une modélisation compartimentale à partir de laquelle elles ont calculé un rapport lait/plasma probable à partir des aires sous la courbe pour le plasma et le lait maternel, ou à partir des données pharmacocinétiques connues pour le médicament. Le niveau de qualité des études suivant les critères de la ClinPK était très variable suivant les études, avec un score allant de 8 à 22 (à noter qu’une étude pouvait avoir un score bas parce qu’elle ne réunissait pas tous les paramètres évalués par cette échelle – nombre de paramètres allant de 17 à 22 sur 24 suivant les études – et non en raison d’une mauvaise qualité des paramètres collectés).
Antimalariques
L’excrétion lactée de la pipéraquine a été recherchée chez 27 femmes qui en ont pris 3 doses de 230 mg (en combinaison avec de la dihydroartémisine ou avec l’association sul-fadoxine/pyriméthamine) à 24 heures d’intervalle pendant leur grossesse. Un échantillon de sang maternel a été prélevé au moment de l’accouchement chez toutes les mères, puis 11 autres échantillons pendant les 48 heures suivant la première prise de pipéraquine dans un sous-groupe de mères. Des échantillons de lait ont été collectés 1, 2, 3-5, 7-11 et 14-17 jours après l’accouchement, 6 à 145 jours après le traitement. Le taux de pipéraquine a été recherché par chromatographie en phase liquide de haute performance dans tous ces échantillons. À partir de ces taux, un modèle mathématique a été utilisé pour évaluer l’excrétion lactée. Globalement, le rapport lait/plasma était en moyenne de 0,58, avec un pic à 2,5 au moment de l’accouchement. En tablant sur un volume de 150 ml/kg/jour de lait maternel consommé par l’enfant, on pouvait estimer que celui-ci aurait reçu au total 22 µg de pipéraquine, soit 0,41 µg/kg/jour et 0,004 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. La modélisation a également permis d’évaluer le niveau d’exposition du bébé si le traitement avait été débuté le jour de la naissance, 1 semaine ou 6 semaines après la naissance. Le niveau d’exposition du nourrisson aurait alors été le plus élevé à 6 semaines (101 µg/kg/jour, soit 0,36 % de la dose maternelle ajustée pour le poids). En utilisant comme base de calcul le taux constaté lors des pics d’excrétion lactée, le nourrisson aurait été quotidiennement exposé au maximum à 2,5 % de la dose maternelle ajustée, taux significativement inférieur à la limite recommandée de 10 %.
L’excrétion lactée de la primaquine a été recherchée chez 20 dyades après administration de 0,5 mg/kg pendant 14 jours. Les enfants allaités avaient 28 jours à 2 ans. Des échantillons de lait maternel et de sang maternel et infantile ont été collectés avant la première prise, puis 3, 7 et 13 jours plus tard, avec collecte d’un certain nombre d’échantillons sur 24 heures pour le premier et le dernier jour de l’étude, ce nombre d’échantillons étant moins élevé pour les 2 jours intermédiaires. On y a recherché le taux de primaquine et de carboxyprimaquine (son métabolite), et les taux constatés ont été utilisés pour une modélisation. Le pic lacté survenait 1 heure après le pic plasmatique. On pouvait estimer que l’enfant allaité avait reçu via le lait maternel 0,042 mg de primaquine pendant les 14 jours du traitement maternel, soit 2,98 µg/kg/jour correspondant à 0,6 % de la posologie pédiatrique. La pharmacocinétique lactée de la primaquine était similaire le premier et le dernier jour de l’étude, tandis que celle de son métabolite variait. Le niveau d’exposition du bébé allaité était négligeable, le taux sérique infantile de primaquine étant supérieur à la limite de détection dans un seul échantillon chez un enfant au 7e jour de l’étude.
L’excrétion lactée de la chloroquine et de la deséthylchloroquine (son principal métabolite) a été recherchée par 2 études après la prise d’une dose unique de 600 mg. La première étude incluait 11 femmes volontaires en bonne santé, chez qui des échantillons de sang et de lait ont été collectés juste avant la prise, puis 3 et 24 heures après cette prise (chez 5 femmes) et 0, 3, 6, 9, 12, 24, 48 heures après la prise, puis à divers intervalles pendant jusqu’à 7 jours chez les 6 autres femmes. Le taux lacté était toujours supérieur au taux plasmatique, avec un rapport lait/plasma de 6,6 ± 2,4 pour la chloroquine et de 1,5 ± 0,6 pour la deséthylchloroquine. On pouvait estimer que l’enfant était exposé à 0,7 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. La demi-vie lactée de la chloroquine était estimée à 8,8 ± 4,7 jours. Des échantillons d’urine ont été collectés chez 4 nourrissons 12-24 heures après la prise maternelle, et ils contenaient 3,97 ± 1,6 µg de chloroquine et 0,44 ± 0,32 µg de deséthylchloroquine. La deuxième étude portait sur 3 femmes qui en ont pris 600 mg/jour entre J2 et J5 post-partum. 6 échantillons de sang et de lait ont été collectées pendant les 10 jours qui ont suivi le début du traitement. Le taux lacté de chloroquine et de son métabolite était supérieur au taux plasmatique maternel, avec un rapport lait/plasma allant de 1,96 à 4,26 pour la chloroquine, et de 0,54 à 3,89 pour la deséthylchloroquine. Les auteurs estimaient que si le bébé allaité consommait quotidiennement 1 litre de lait maternel par jour, il recevrait 0,4 à 0,76 mg/kg de produit actif sur la période d’étude, ce qui correspondait à 3,1 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Ce niveau d’exposition était trop faible pour protéger l’enfant vis-à-vis de la malaria.
L’excrétion lactée de la quinine a été évaluée chez 30 femmes souffrant d’une malaria sévère pendant le 3e trimestre de leur grossesse (10 femmes), autour de leur accouchement (8 femmes), ou pendant l’allaitement chez les autres femmes. Elles ont reçu en IV une dose de 10 ou 20 mg/kg de quinine et 5 d’entre elles ont reçu 2 à 7 perfusions de quinine par la suite en raison de la sévérité de la malaria, les 25 autres femmes étant traitées par voie orale pendant 10 jours après les 3 jours de perfusions. Des échantillons de sang ont été collectés chez les femmes traitées pendant la grossesse, puis des échantillons de lait chez toutes les femmes. Chez les femmes ayant reçu les perfusions pendant plusieurs jours, le taux lacté de quinine allait de 0,5 à 3,6 mg/l, avec un rapport lait/plasma de 0,11 à 0,32. Chez les femmes traitées ensuite par voie orale, le taux lacté allait de 0,5 à 8 mg/l, avec un rapport lait/plasma de 0,11 à 0,53.
Une étude a évalué l’excrétion lactée de la clindamycine. 5 mères en ont reçu 150 mg 3 fois par jour dès le premier jour post-partum et pendant au moins 7 jours. Une semaine après le début du traitement, des échantillons de sang ont été collectés juste avant la prise d’une dose, puis 1, 2, 4 et 6 heures plus tard. Juste avant la dose, la mère a exprimé le lait disponible dans les deux seins, et à nouveau 6 heures après la prise, pour recherche du taux lacté. Le taux lacté allait de < 0,5 (6 des 10 échantillons fournis par les 5 mères) à 3,1 mg/l. Il n’existait pas de corrélation entre le taux sérique et le taux lacté. Dans la mesure où les auteurs de cette étude ne documentaient pas le volume de lait exprimé par ces mères, il n’était pas possible de calculer la quantité totale de clindamycine excrétée ni le niveau d’exposition du bébé allaité.
Une étude a recherché l’excrétion lactée de la méfloquine, chez 2 femmes qui en ont reçu une dose de 250 mg 2-3 jours après leur accouchement. Des échantillons de sang ont été collectés juste avant la prise, puis 4 heures, 1, 2 et 4 jours après la prise, et 14, 28, 42 et 56 jours après la prise chez l’une de ces femmes. La méfloquine avait une demi-vie lactée plus longue que sa demi-vie plasmatique. Le rapport lait/plasma était en moyenne de 0,13 à 0,16 pendant les 4 premiers jours suivant la prise, et de 0,27 56 jours après la prise. Les auteurs estimaient qu’un bébé consommant quotidiennement 1 litre de lait maternel recevrait 0,08 mg/jour et 0,56 mg/semaine de méfloquine, soit 3,8 % de la dose maternelle ajustée pour le poids.
Antituberculeux
Les auteurs de la deuxième analyse menée sur ces produits ont pris en compte l’isoniazide, la rifampicine, l’éthambutol, la pyrazinamide, la streptomycine, la lévofloxacine, la bédaquiline, le linézolide, la clofazimine, la cyclosérine, la térizidone et le prétomanide/PA824. Ils ont recherché toutes les études sur ces produits publiées jusqu’en janvier 2023. Ils ont exclu les études menées in vitro, chez des animaux, les études théoriques, celles analysant la biodisponibilité des produits, les études menées chez des sujets non tuberculeux, ainsi qu’une étude publiée en russe dont ils n’ont pas pu obtenir le texte intégral. Ils en ont extrait et classé les données et ont analysé la qualité des études, qui a été dite satisfaisante ou non satisfaisante. Pour le prétomanide, aucune donnée sur le taux lacté n’était disponible, et les auteurs ont donc estimé ce taux à partir des données pharmacocinétiques. Ils ont également pris en compte les études sur la pharmacocinétique des antituberculeux chez les enfants et les adolescents, ainsi que les posologies pédiatriques, l’immaturité des nourrissons sur le plan métabolique, ainsi que les effets secondaires rapportés pour chaque produit. Concernant les taux plasmatiques, 17 articles correspondaient aux critères d’inclusion. C’était le cas de 7 articles pour le taux lacté, de 4 articles pour le taux plasmatique infantile, ainsi que 3 profils d’excrétion calculés par modélisation.
Une étude pharmacocinétique a recherché le taux lacté de la bédaquiline chez 13 femmes enceintes qui ont commencé à en prendre 200 mg 3 fois par semaine dans le cadre du traitement d’une tuberculose résistante à la rifampicine. Des échantillons de sang ont été collectés avant la prise, puis 2, 4 et 6 heures plus tard, et enfin à 6 semaines post-partum. Des échantillons de lait ont été collectés à 6 semaines. Un échantillon de sang a été collecté chez 4 enfants (un était allaité, les 3 autres ne l’étant pas). Les taux de bédaquiline ont été utilisés pour développer un modèle mathématique. Le rapport lait/plasma a été estimé à 13,6 pour la bédaquiline et à 4,84 pour son métabolite. La dose à laquelle le bébé allaité serait exposé était évaluée à 0,816 mg/kg/jour pour la bédaquiline et à 0,07 mg/kg/jour pour son métabolite, soit 66,9 % de la dose maternelle ajustée pour le poids (1,22 mg/kg/jour pour une personne de 70 kg). Les taux sériques maternel et infantile étaient proches et dans les limites thérapeutiques chez l’enfant allaité, alors qu’ils étaient significativement plus bas chez les 3 enfants non allaités. Ce niveau d’exposition étant très élevé, d’autres études pharmacocinétiques pendant la lactation sont nécessaires. Les spécialistes estiment que ce produit n’est pas contre-indiqué pendant l’allaitement, mais que si sa prise est nécessaire, l’enfant devra être suivi à la recherche d’effets secondaires (mauvaise prise de poids, nausées, toxicité hépatique…). Le seul bébé allaité dans cette étude a eu une prise de poids inférieure à la moyenne, mais sa mère souffrait des effets secondaires de son traitement (elle était également traitée par antirétroviraux suite à sa séropositivité pour le VIH) et elle perdait du poids. Lorsque le traitement par bédaquiline a été arrêté, la prise de poids infantile s’est normalisée.
Une petite étude a recherché son taux plasmatique et lacté chez 5 mères, ainsi que le taux chez 3 enfants allaités. Les mères prenaient la dose habituelle de 200 mg de bédaquiline 3 fois par semaine, soit environ 1,22 mg/kg/jour. Les dosages chez les mères ont débuté environ 6 semaines avant la naissance. Au total, 70 échantillons de sang ont été collectés chez les 5 mères, 2 mères ont fourni 7 échantillons de lait, et le taux plasmatique infantile a été recherché chez 3 enfants. Le rapport lait/plasma était de 13,6. Le nourrisson exclusivement allaité était exposé à 1,3 mg/kg/jour de bédaquiline, soit 65 % de la dose pédiatrique (2 mg/kg/jour). Le taux plasmatique était indétectable chez 2 nourrissons et il était de 0,3 µg/l chez le troisième, soit un taux proche du taux plasmatique maternel ; le taux lacté de bé-daquiline chez cette mère était de 6,7 µg/l. L’effet secondaire le plus important de la bédaquiline est une prolongation de l’espace QT. Au vu du niveau important d’exposition du bébé allaité à ce produit et l’absence de données sur son utilisation chez les enfants de < 6 ans, un traitement par bédaquiline chez une mère allaitante est susceptible d’induire des effets secondaires significatifs chez le nourrisson allaité.
Des données ont été publiées sur le taux plasmatique et lacté de la clofazimine chez la femme, mais aucune étude ne l’a recherché chez le bébé allaité. Ces études incluaient des mères qui en ont pris 50 mg/jour (5 mères), 100 mg 1 jour sur 2 (2 mères) ou 100 mg/jour (1 mère), et ce pendant 1 à 18 mois. Son taux plasmatique recherché 4-6 heures après une prise au long cours allait de 0,8 à 1 mg/l. Le taux lacté était de 0,8 à 1,7 mg/l (1,33 mg/l en moyenne). Le rapport lait/plasma allait de 1 à 1,7 (1,48 en moyenne). D’après ces taux, le bébé allaité recevait 0,15 à 0,32 mg/kg/jour de clofazimine (posologie pédiatrique conseillée : 2-5 mg/kg/jour). Les effets secondaires les plus fréquents sont une coloration brune de la peau réversible après l’arrêt du traitement, des troubles gastro-intestinaux et une perte de poids. Certaines études ont rapporté un risque de prolongation de l’espace QT. Ce problème n’a jamais été constaté chez les personnes prenant de la clofazimine en monothérapie, mais comme elle est habituellement utilisée en conjonction avec d’autres antituberculeux ayant également cet impact (bédaquiline en particulier), ce risque est probablement significatif. Quelques cas de troubles de la coloration cutanée ont été rapportés chez des bébés allaités par une mère sous clofazimine, mais aucun autre effet secondaire infantile n’a été rapporté, ce qui est compréhensible au vu de la faible excrétion lactée de ce produit. Ce n’est toutefois pas un médicament à utiliser en première intention.
Aucune étude pharmacocinétique sur la cyclosérine n’a été menée auprès de mères allaitantes. Il existe quelques données sur son excrétion lactée, mais il n’a pas été possible d’obtenir le texte intégral des études. Aucune donnée n’existe sur son taux chez le bébé allaité. Concernant les 2 études ayant recherché son taux lacté, ce dernier était de 6 à 19 mg/l, avec un rapport lait/plasma de 0,66. Les bébés allaités étaient exposés en moyenne à 1,7 mg/kg/jour de cyclosérine, soit 11 à 28 % de la dose pédiatrique. D’après ces données, on pouvait calculer qu’une mère prenant 1 000 mg/jour de cyclosérine aurait une excrétion lactée de ce produit qui exposerait son bébé à 16,7 mg/kg/jour de produit actif. Des effets secondaires neurologiques (confusion, désorientation, somnolence, dépression, convulsions, troubles psychotiques) ont été rapportés chez des personnes ayant un taux sérique de cyclosérine > 35 mg/l, ce qui n’est possible qu’avec une posologie anormalement élevée. De très rares cas d’insuffisance cardiaque et d’anémie mégaloblastique ont été rapportés avec des posologies élevées. Aucun effet secondaire significatif n’a été rapporté chez les 5 bébés allaités par une mère prenant de la cyclosérine inclus dans ces études et suivis jusqu’à 5,5 ans, mais on ne peut pas exclure cette possibilité. La térizidone est un dérivé de la cyclosérine, et elle n’a fait l’objet d’aucune étude chez la femme allaitante ou le bébé allaité.
Une étude a suivi 1 femme qui a reçu 500 mg/jour de lévofloxacine en IV pendant 9 jours, le traitement étant ensuite poursuivi par voie orale pendant 17 jours. Elle a fourni au total 26 échantillons de lait exprimés à partir du 10e jour de traitement jusqu’à 6 jours après son arrêt. On pouvait estimer le pic lacté à 8,2 mg/l, et des traces de lévofloxacine étaient encore détectables dans le lait maternel 65 heures après la dernière dose. Les auteurs estimaient que le bébé allaité serait exposé à 1,25 mg/jour de lévofloxacine. Dans une autre étude, 2 mères ont pris une seule gélule de lévofloxacine. Le taux lacté moyen était de respectivement 101 et 105 µg/l, et le nourrisson exclusivement allaité serait exposé à 15,5 µg/kg/jour, soit 0,05-0,06 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Sa posologie pédiatrique est de 15-20 mg/kg/jour. Le rapport lait/plasma ne pouvait pas être calculé faute des données nécessaires. La lévofloxacine peut induire une prolongation de l’espace QT et des torsades de pointe. Toutefois, sa très faible excrétion lactée rend très improbable un quelconque effet secondaire chez le bébé allaité.
Quelques petites études ont recherché l’excrétion lactée du linézolide et l’une d’entre elles a recherché son taux lacté chez 1 bébé allaité. Une étude a recherché son excrétion lactée chez une femme qui en a pris une dose unique de 600 mg. Des échantillons de lait ont été collectés à 10 reprises pendant les 24 heures suivantes. Le pic lacté était de 12,4 mg/l, et le linézolide restait détectable 24 heures après la prise. Son taux sérique infantile était < 0,2 mg/l 4 heures après la prise maternelle. En se fondant sur le pic lacté, on pouvait estimer que le bébé exclusivement allaité en recevait en moyenne 2 mg/kg/jour. Sa posologie pédiatrique est de 30 mg/kg/jour. Une autre étude a suivi une femme qui en prenait 600 mg 2 fois par jour. Elle a tiré régulièrement son lait pendant les 14 jours de traitement. Le pic lacté de linézolide était de 9,75 mg/l le premier jour du traitement et de 18,73 mg/l le dernier jour du traitement. À partir du taux moyen à J14, un nourrisson exclusivement allaité aurait reçu 1,84 mg/kg/jour de linézolide. Les auteurs ont calculé que le bébé allaité aurait reçu 7,85 % à J1 et 15,61 % à J14 de la dose maternelle ajustée pour le poids. Enfin, une troisième étude a suivi une femme qui en prenait 600 mg 2 fois par jour, et qui a fourni des échantillons de lait à divers moments en commençant environ 45 heures après le début de son traitement. Le taux lacté de linézolide allait de 3,5 à 12,2 mg/l. Le rapport lait/plasma était de 0,88. Les résultats de ces trois rapports de cas sont concordants et font état d’une faible excrétion lactée, cette dernière augmentant avec la durée du traitement (2,7 fois plus élevée après atteinte de l’état d’équilibre par rapport au début du traitement). Les effets secondaires rapportés chez les personnes traitées sont de très rares cas d’acidose lactique ou de myélosuppression. Aucun cas d’effet secondaire significatif n’a été rapporté chez les bébés allaités par une mère prenant du linézolide. Toutefois, les données sur le sujet restent très succinctes, et il est donc nécessaire de rester prudent.
Aucune étude n’a été menée sur l’utilisation du prétomanide chez les mères allaitantes. Il n’existe donc aucune donnée sur son excrétion lactée ni sur le niveau d’exposition du bébé allaité. La posologie courante est de 200 mg 4 fois/jour. Une modélisation mathématique a été utilisée pour évaluer le rapport lait/plasma de ce produit à partir de ses caractéristiques physico-chimiques et pharmacocinétiques, qui aboutissait à un rapport de 0,89, avec une dose reçue par un nourrisson allaité évaluée à 1,02 µg/kg/jour avec la posologie habituelle, soit une excrétion lactée théoriquement très basse. Cette molécule est toujours utilisée en conjonction avec d’autres produits. Le prétomanide peut induite une prolongation de l’espace QT dose-dépendant, en particulier lorsqu’il est combiné à la bédaquiline et au linézolide. Son excrétion lactée étant très faible, un quelconque effet secondaire chez le bébé allaité est hautement improbable. Il est toutefois difficile d’émettre des recommandations concernant le prétomanide en raison de l’absence de données.
Aucune étude n’a évalué la pharmacocinétique du pyrazinamide chez les femmes allaitantes. Il existe quelques données sur son excrétion lactée, mais aucune n’a documenté le taux sérique infantile. Une étude a suivi 1 femme qui a pris 1 g de pyrazinamide. Elle a fourni des échantillons de lait juste avant la prise, puis 1, 2, 3, 4, 9 et 12 heures après cette prise. Le taux plasmatique à 2 heures était de 42 mg/l. Le taux lacté maximum était de 1,5 mg/l. Le rapport lait/plasma était de 0,04. Dans une autre étude, deux femmes ont pris une dose de 1,750 g de pyrazinamide. Son taux lacté a été recherché 2, 4 et 6 heures après la prise, et le pic lacté était respectivement de 59,2 et 38,4 mg/l. Le rapport lait/plasma pouvait être estimé à respectivement 3,75 et 2,43. La différence de rapport lait/plasma entre ces 2 études ne peut pas être expliquée uniquement par la dose beaucoup plus élevée dans la 2e étude, et elle est probablement en rapport avec la méthode de dosage de la pyrazinamide. La 2e étude utilisait une technologie plus fiable que la première étude, plus ancienne, et ses résultats sont donc a priori plus précis. Selon les résultats de cette 2e étude, le bébé allaité recevrait respectivement 10,9 et 7,1 mg/kg/jour de pyrazinamide, soit une dose relativement proche de la posologie pédiatrique (15 mg/kg/jour). Toutefois, cette étude ne fournissait guère de données sur les caractéristiques des mères, le contexte clinique et la méthodologie de l’étude. De rares cas d’anémie et de thrombocytopénie ont été rapportés chez les personnes traitées. Les enfants inclus dans les études ci-dessus n’ont pas présenté d’effets secondaires. Cependant, vu le peu de données sur l’utilisation de ce produit pendant l’allaitement et le niveau potentiellement élevé d’exposition du bébé allaité, il est difficile de conseiller ce produit pendant l’allaitement.
La streptomycine a fait l’objet de nombreuses études dans la population générale, mais peu d’études ont été menées auprès de femmes allaitantes. Par ailleurs, toutes ces études sont le plus souvent anciennes. Une étude a constaté l’excrétion lactée de la streptomycine sans la documenter avec précision. Les auteurs évaluaient que le bébé allaité recevrait environ 5 mg/jour de streptomycine via le lait maternel. Une autre étude a suivi 46 femmes qui en ont reçu 250 000 unités et qui ont fourni des échantillons de lait toutes les heures après son injection. Le pic lacté était constaté au bout de 9 heures, et il était de 0,64 unités. Chez les femmes souffrant de mastite, son taux lacté était plus élevé dans le lait provenant du sein touché par la mastite. L’étude est ancienne et en russe, et il est difficile de savoir à quoi correspondent les unités. Si la dose administrée dans cette étude correspond à la posologie courante de 1 g, le pic lacté de streptomycine serait de 2,6 mg/l. Dans une autre étude incluant 8 femmes, le taux lacté allait de 0,3 à 0,6 mg/l 30 minutes après l’injection et de 1,1 à 1,3 mg/l 6 heures après l’injection. Il était impossible de calculer le rapport lait/plasma faute des données nécessaires. Au vu des rares données existantes, on pouvait estimer que le bébé exclusivement allaité recevait 0,20 à 0,24 mg/kg/jour de streptomycine. Cette molécule a des effets secondaires rénaux et auditifs bien documentés. Toutefois, elle n’est pas absorbée par voie orale et le risque d’un effet secondaire chez le bébé allaité est donc négligeable.
La première étude menée sur l’excrétion lactée de l’éthambutol incluait une mère qui en prenait 15 mg/kg/jour, et qui a fourni 2 échantillons de lait. Le taux lacté était de 1,4 à 1,5 mg/l. Chez une autre femme, le taux lacté était de 4,6 mg/l, similaire au taux plasmatique. Toutefois, ces 2 études fournissaient très peu de données. D’après ces textes, on pouvait estimer qu’un bébé allaité recevrait 0,51 à 0,86 mg/kg/jour, soit 3,4 à 5,7 % de la dose pédiatrique (15 à 25 mg/kg/jour), et en moyenne 4,6 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Une modélisation mathématique estimait qu’un nourrisson exclusivement allaité par une mère prenant 24,5 mg/kg/jour d’éthambutol recevrait en moyenne 0,08 mg/kg/jour de produit actif, soit 0,3 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Une autre étude a suivi deux mères traitées par éthambutol (et par 4 autres antituberculeux) et qui ont donné des échantillons de lait à environ 6 semaines post-partum, collectés juste avant l’administration de 1,2 g d’éthambutol, puis 2, 4 et 6 heures après la prise. À partir du pic lacté constaté (ce qui surestime le niveau d’exposition par rapport à une estimation à partir du taux lacté moyen), les auteurs estimaient que le bébé allaité était exposé à respectivement 3,11 et 5,46 mg/kg/jour, soit 12 à 36 % de la dose pédiatrique et 14,5 à 23,6 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Aucune étude n’a recherché le taux sérique infantile d’éthambutol. Une modélisation mathématique estimait que ce taux serait au maximum de 0,098 mg/l avec une posologie maternelle de 24,5 mg/kg/jour, soit un taux 3,7 fois plus bas que le taux sérique maternel. L’éthambutol a peu d’effets secondaires sévères, le plus sérieux étant une neuropathie dose-dépendante, dont la survenue est hautement improbable chez un bébé allaité au vu de son faible niveau d’exposition.
Les 2 études les plus anciennes sur la rifampicine menées auprès de mères allaitantes rapportaient un taux lacté de 3,4 à 4,9 mg/l pour un taux plasmatique maternel de 21,3 mg/l pour la première, et un taux lacté de 10 à 30 mg/l pour un taux plasmatique de 50 mg/l dans la seconde, avec un rapport lait/plasma de respectivement 0,16-0,23 et 0,2-0,6. Toutefois, ces études ne documentaient pas des données importantes. Des études plus récentes ont fourni des données plus précises et ont utilisé des méthodes de dosage plus fiables. Deux études portant chacune sur 1 femme ont collecté des échantillons de lait 2, 4 et 6 heures après une prise de 900 mg (2 fois la dose couramment prescrite). Le pic lacté était respectivement de 14 et 17,6 mg/l, et on pouvait estimer que le bébé exclusivement allaité recevait 2,6 et 3,3 mg/kg/jour de streptomycine, soit 0,17 et 0,22 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. La posologie pédiatrique est de 15 mg/kg/jour. Le taux sérique infantile n’a pas été recherché. Dans une autre étude, le bébé allaité par une mère qui en prenait 450 mg/jour en recevait 0,4 mg/kg/jour. Une modélisation mathématique estimait que le taux sérique du bébé serait de 2 mg/l, soit 10 fois plus bas que le taux sérique maternel. La dose pédiatrique est d’au moins 10 mg/kg/jour, 20 à 25 fois plus élevée que le niveau d’exposition via le lait maternel. Les effets secondaires de la rifampicine sont rares et globalement dose-dépendants (hématologiques et hépatiques). On peut conclure de toutes ces données qu’un traitement maternel par rifampicine ne présente pas de risques pour le bébé allaité.
Plusieurs études ont évalué l’excrétion lactée de l’isoniazide et calculé un rapport lait/plasma, mais elles étaient de mauvaise qualité, sauf une qui a recherché l’excrétion lactée de l’isoniazide chez 7 mères pendant les 24 heures qui ont suivi la prise de 300 mg d’isoniazide (ces mères étant également traitées par rifampicine et éthambutol). Dans les échantillons de lait collectés 0 à 4 heures après une prise, le taux d’isoniazide était de 2 à 6,7 mg/l, le pic lacté survenant 1 heure après la prise. L’enfant allaité était exposé à 89,9 µg/kg/jour, soit 1,2 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Deux autres études plus anciennes ont été menées sur ce produit. Dans la première, 30 mères allaitantes ont reçu une dose unique de 200 mg d’isoniazide. Le pic lacté a été constaté entre 2 et 7 heures après la prise, et son taux lacté était de 2,1 mg/l 2 heures après la prise chez 6 femmes, et de 0,46 mg mg/l 7 heures après la prise chez 3 femmes. Dans la 2e étude, 3 femmes ont pris une dose de 300 ou 600 mg d’isoniazide. Le pic lacté survenait 3 heures après la prise (5,4 à 5,5 mg/l après la prise de 300 g et 9 à 10,6 mg/l après 600 mg). 12 heures après la prise, le taux lacté était indétectable après la prise de 300 mg et il était de 0,25 à 0,5 mg/l après la prise de 600 mg. Le rapport lait/plasma était de 0,89. Avec les taux lactés constatés, le nourrisson exclusivement allaité recevait 0,11 mg/kg/jour d’isoniazide (dose pédiatrique : 10 mg/kg/jour). Aucune étude n’a recherché le taux sérique infantile.
À noter que le métabolisme de l’isoniazide dépend d’un facteur génétique : le fait que la personne soit acétyleur lent ou rapide. Une modélisation mathématique concluait que le taux plasmatique et lacté serait 2 fois plus élevé chez les mères acétyleur lent, l’enfant étant alors exposé à 0,3 mg/kg/jour, versus 1,3 mg/kg/jour si la mère est acétyleur rapide. Cette modélisation a également pris en compte cette caractéristique génétique chez le nourrisson allaité. Ce dernier aurait un taux sérique d’isoniazide de 0,01 mg/l si la mère et l’enfant sont tous les deux acétyleurs rapides, 0,04 mg/l si la mère est acétyleur rapide et l’enfant acétyleur lent, 0,03 mg/l si la mère est acétyleur lent et l’enfant acétyleur rapide, et 0,1 mg/l si la mère et l’enfant sont acétyleurs lents. Les effets secondaires sévères de l’isoniazide sont rares, le plus fréquent étant une neuropathie périphérique. La survenue d’un lupus érythémateux est possible, cet effet ne dépendant pas de la dose administrée. Au vu du niveau d’exposition via le lait maternel du nourrisson exclusivement allaité même dans le cas le plus défavorable où l’enfant et la mère sont tous les deux acétyleurs lents, le risque d’effets secondaires chez l’enfant est bas, sauf le risque de lupus qui n’est pas dose-dépendant. Toutefois, aucun cas de lupus n’a été rapporté chez des enfants allaités par une mère sous isoniazide.
Traitement des maladies tropicales négligées
L’excrétion lactée du benznidazole a été recherchée chez 10 mères allaitantes qui en ont pris 300 à 400 mg/jour pendant 30 jours pour le traitement d’une maladie de Chagas. Elles ont fourni au total 16 échantillons de lait entre 6 et 34 jours après le début du traitement (moments précis non documentés). Le taux lacté de benznidazole était en moyenne de 3,8 mg/l (0,3 à 5,9 mg/l). L’enfant allaité recevait en moyenne 0,65 mg/kg/jour de produit actif, soit environ 10 % de la dose pédiatrique et 12,3 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Une autre étude a recherché son taux dans 8 échantillons de lait, fournis après 4 à 10 jours de traitement par 4 femmes qui en prenaient 5 à 10 mg/kg/jour (moment précis de la collecte du lait non documenté). Le taux lacté de benznidazole allait d’indétectable à 7,1 mg/l. Les données fournies par cette étude étaient insuffisantes pour évaluer avec précision le niveau d’exposition du bébé allaité.
Le nifurtimox a fait l’objet d’une étude auprès de 10 mères allaitantes traitées pour une maladie de Chagas, qui en ont pris 8 à 12 mg/kg 3 fois par jour pendant 10 jours. Elles ont fourni 17 échantillons collectés 4 à 21 jours après le début du traitement. Le taux lacté de nifurtimox était en moyenne de 0,30 mg/l. Les auteurs estimaient que l’enfant allaité était exposé en moyenne à 0,5 mg/kg/jour (0,20 à 0,69 mg/kg/jour), soit 6,7 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Aucun effet secondaire n’a été constaté chez les enfants allaités.
L’excrétion lactée de l’albendazole et de ses métabolites a été évaluée chez 20 mères allaitantes après la prise d’une dose unique de 400 mg pour la prévention de la filariose. Des échantillons de sang maternel ont été collectés 6 heures après la prise. Des échantillons de lait ont été collectés juste avant la prise, puis 6, 12, 24 et 36 heures après la dose. Le taux lacté maximal était constaté 6,9 heures après la prise (351 µg/l). Le rapport lait/plasma 6 heures après la prise était de 0,9 pour l’albendazole, et de 0,6 et 0,7 pour ses 2 métabolites (sulphoxide et sulphone). À partir du taux lacté moyen et sur la base de 150 ml/kg/jour de lait maternel consommé par le bébé allaité, les auteurs estimaient que ce dernier recevait 0,00218 mg/kg/jour, soit < 0,05 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. L’albendazole est donc excrété dans le lait maternel en quantité infime.
L’excrétion lactée du praziquantel a été recherchée chez 10 mères allaitantes en bonne santé. 5 d’entre elles en ont pris une dose unique de 50 mg/kg. Les 5 autres en ont pris 20 mg/kg toutes les 4 heures à 3 reprises. Des échantillons de sang et de lait ont été collectés à plusieurs reprises jusqu’à respectivement 24 et 32 heures après la prise. Le taux sérique était en moyenne 4 fois plus élevé que le taux lacté chez toutes les mères, l’évolution de ce dernier étant parallèle à celle du taux sérique. Chez les femmes ayant reçu 50 mg/kg, le pic lacté de praziquantel était de 440 µg/l, et au total 27,4 µg avaient été excrétés pendant les 24 heures suivant la prise, l’enfant étant exposé à 0,00087 % de la dose maternelle (non ajustée pour le poids). Chez les femmes ayant reçu 3 doses de 20 mg/kg, les pics lactés étaient constatés 4 et 10 heures après la première dose (respectivement 250 et 460 µg/l), et un total de 25,6 µg a été excrété dans le lait maternel pendant les 24 heures suivant la prise, ce qui correspondait à 0,0007 % de la dose maternelle non ajustée. Une autre étude a été menée auprès de 15 femmes allaitant un bébé de 5 à 7 mois, traitées pour une schistosomiase, et qui ont pris 2 doses de 30 mg/kg à 3 heures d’intervalle. Elles ont fourni des échantillons de sang et de lait collectés 3, 6, 9, 12, 15 et 24 heures après la prise. Le taux lacté moyen de praziquantel sur ces 24 heures était de 0,185 mg/l. Sa demi-vie lactée était de 1,9 heures, et le taux lacté variait parallèlement au taux sérique. Le taux lacté 24 heures après la première prise était évalué à 4 µg/l. Les auteurs estimaient que le bébé recevait sur 24 heures 0,028 mg/kg, soit 0,05 % de la dose maternelle ajustée pour le poids, donc une très faible exposition.
L’excrétion lactée de la clofazimine a été recherchée chez 8 mères allaitant un enfant de ≤ 4 mois, pour le traitement d’une lèpre. Voir plus haut parmi les anti-tuberculeux.
L’excrétion lactée de l’ivermectine a été recherchée chez 4 mères en bonne santé qui en ont pris une dose unique de 150 µg/kg. Des échantillons de sang et de lait ont été collectés à divers intervalles pendant 72 heures. Le pic lacté était constaté 4 heures après la prise chez 2 femmes, 6 heures après chez 1 femme et 12 heures après chez la 4e femme. Il allait de 0,97 à 20,6 µg/l (14,13 µg/l en moyenne). Le taux lacté moyen était d’environ 10 µg/l sur la période du suivi. Les auteurs estimaient que le bébé allaité recevait en moyenne 2,75 µg/kg/pour, soit 2,75 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Les auteurs travaillent dans une zone d’endémie (Nigeria), ils administrent régulièrement ce traitement à des femmes enceintes et allaitantes, et n’ont jamais constaté d’effet secondaire sérieux.
L’excrétion lactée de l’azithromycine a été recherchée par 2 études, qui ont toutes les deux utilisé une modélisation mathématique. La première incluait 20 femmes qui en ont reçu 2 g au début de leur accouchement. Elles ont fourni des échantillons de sang et de lait à J3 et J6, puis à 2 et 4 semaines post-partum (78 échantillons au total). La dose cumulée reçue par le nourrisson allaité pendant ces 4 semaines était estimée à 3,9 mg/kg (0,7 mg/kg/jour en moyenne). Les auteurs ont utilisé le modèle mathématique pour évaluer le niveau d’exposition du bébé allaité si la mère recevait 1 g/jour d’azithromycine pendant 3 jours, et cette dose était estimée à 1,2 mg/kg/jour. Avec ces 2 posologies, l’enfant était exposé à 2,2 et 2,9 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. La 2e étude incluait des femmes qui ont reçu 500 mg d’azythromycine en perfusion 15 à 60 minutes avant leur césarienne programmée. Des échantillons de sang ont été collectés pendant 8 heures après la fin de la perfusion et des échantillons de lait ont été collectés entre 12 et 48 heures après la perfusion chez les 8 femmes qui avaient commencé à allaiter. L’azithromycine était toujours mesurable dans le lait maternel au bout de 48 heures, la demi-vie lactée étant estimée à 15,6 heures (6,7 heures pour la demi-vie plasmatique). Le taux lacté était de 1 713 µg/l 30,7 heures après la perfusion. On pouvait estimer qu’un nourrisson de 3,5 kg consommant 150 mg/kg/jour de lait maternel recevait en moyenne 340 µg/jour d’azithromycine, soit environ 0,1 mg/kg/jour et 0,07 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Enfin, une étude ancienne a recherché son taux lacté chez une seule femme qui en avait pris 1 g par voie orale. 48 heures après cette prise, son taux lacté était de 0,64 mg/l. Elle a par la suite été traitée par 500 mg/jour d’azithromycine pendant 5 jours. 1 heure après la première prise, son taux lacté d’azithromycine était de 1,3 mg/l, et il était de 2,8 mg/l 30 heures après la 3e prise. Il semble que le taux lacté augmente progressivement avec un traitement plus long jusqu’à obtention d’un état d’équilibre de son taux plasmatique. À partir des taux constatés par cette dernière étude et sur la base d’un taux lacté moyen de 2,8 mg/l, un nourrisson ex-clusivement allaité recevrait au minimum 0,42 mg/kg/jour d’azithromycine (posologie pédiatrique à partir de 6 mois : 5-10 mg/kg/jour).
En conclusion
Cette étude permet de constater que peu des médicaments sur lesquels portaient ces analyses avaient fait l’objet d’une étude pharmacocinétique, y compris pour des produits cou-ramment utilisés chez des mères allaitantes. Par ailleurs, nombre d’études étaient de qualité médiocre, même si leurs résultats sont utiles. Elles ne documentaient pas des données importantes permettant d’évaluer correctement le niveau d’exposition du bébé allaité, à commencer par son taux sérique de médicament. De nombreuses études incluent peu de femmes, et certaines ont collecté peu d’échantillons, ce qui rend difficile l’évaluation des différences pharmacocinétiques individuelles. Certaines études faisaient appel à des modélisations mathématiques, mais ces méthodes sont plus complexes. Certaines incluaient des femmes en bonne santé ayant pris une dose unique du produit testé, ce qui peut avoir un impact significatif sur l’évaluation de leur excrétion lactée. Par ailleurs, elles concernaient des mères à divers moments de leur lactation (depuis les premiers jours post-partum jusqu’à plus de 12 mois). Or, la composition du lait varie pendant la lactation, ce qui peut avoir également un impact sur l’excrétion lactée des médicaments. Enfin, certaines études ne fournissaient pas de précisions sur les moments où les échantillons avaient été collectés ni sur le protocole de collecte, ce qui peut avoir un impact important sur le taux lacté retrouvé.
Globalement, les données sur l’excrétion lactée des produits souvent prescrits pour le traitement de la malaria, de la tuberculose et des maladies tropicales négligées sont inexistantes ou succinctes. Concernant les antituberculeux, on peut estimer que la bédaquiline, la cyclosérine/térizidone, le linézolide et la pyrazinamide sont des produits pour lesquels on ne peut pas exclure la possibilité d’un effet secondaire significatif chez le bébé allaité. Étant donné le nombre important de femmes allaitantes dans le monde susceptibles de recevoir ces produits, il serait urgent de mener des études pharmacocinétiques de bonne qualité, menées selon une méthodologie rigoureuse, avec des protocoles précis pour la collecte des échantillons et les techniques d’analyse, ce qui permettrait d’optimiser le traitement de ces pathologies chez ces mères. Des techniques moins invasives que la prise de sang pourraient être utilisées chez les mères allaitantes et les nourrissons, comme la collecte de salive ou d’urine pour évaluer le niveau d’exposition.
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