Publié dans le n° 203 des Dossiers de l'alalitement, avril 2024.
D'après : Early-stage breast cancer detection in breast milk. Saura C et al. Cancer Discov 2023 ; 13(10) : 2180-91.
Les cancers du sein qui surviennent pendant la grossesse et le post-partum sont généralement beaucoup plus agressifs que les cancers du sein survenant à d’autres périodes, et ils sont de plus souvent diagnostiqués à un stade plus avancé. Il est donc particulièrement important de les dépister le plus tôt possible. Les femmes concernées sont jeunes et ne sont donc pas incluses dans les stratégies de dépistage en routine du cancer du sein. D’autres stratégies doivent être testées, comme la recherche de marqueurs spécifiques dans certains fluides corporels. Pendant l’allaitement, le lait maternel pourrait être une source d’ADN tumoral libre circulant (ctADN), et il pourrait donc permettre un dépistage précoce et non invasif de cancer du sein. Évaluer cette possibilité était l’objectif de cette étude espagnole.
Elle a été menée auprès de 19 femmes pour le groupe cas, chez qui un cancer du sein avait été diagnostiqué pendant la grossesse (10 femmes) ou l’allaitement (9 femmes) et de 12 femmes enceintes ou allaitantes ne
présentant pas de cancer du sein (groupe témoin) et ne présentant pas de facteurs génétiques augmentant le risque de cancer du sein. Les femmes du groupe cas avaient 36,2 ans en moyenne, versus 34,2 ans pour celles du groupe témoin. Le cancer était de stade I ou II chez les ¾ des femmes, et il était de type luminal chez 79 %. Des biopsies de leur cancer avaient été effectuées dans le cadre de leur suivi, et des échantillons de lait maternel ont été collectés chaque fois que possible. Les femmes du groupe témoin ont fourni des échantillons de lait maternel à partir des 2 seins. Des échantillons de sang ont été collectés chez toutes les femmes. On a isolé le cfADN à partir des échantillons de lait, puis on l’a quantifié à l’aide de kits spécialisés. Toutes les analyses ont été menées en double ou en triple, et avec différents taux d’amplification.
4 des 19 femmes du groupe cas ont été exclues, 3 en raison d’une ablation de la tumeur avant la naissance, et la 4e en raison de l’absence de production de lait maternel, probablement suite à la chimiothérapie. Chez toutes les femmes des 2 groupes, le taux total d’ADN libre (cfADN) était en moyenne 90 fois plus élevé dans le lait des 2 seins que dans le sang (en moyenne 751,7 µg/l versus 8,3 µg/l), ces taux étant similaires dans les 2 groupes. Les auteurs ont ensuite recherché les taux de ctADN. Ils en ont détecté chez 13 des 15 femmes du groupe cas retenues, dans le lait provenant du sein touché, alors que ce ctADN n’était pas retrouvé dans le plasma de ces femmes sauf chez l’une d’entre elles. Par ailleurs, ce ctADN n’était pas retrouvé dans le lait provenant du sein non concerné par le cancer, ni chez aucune des femmes du groupe témoin. Dans la mesure où on ignore tout des mécanismes à l’origine de la présence de ctADN dans le lait maternel, les auteurs ont cherché à savoir si le taux lacté de ce ctADN était positivement corrélé aux autres marqueurs de cancer, même si le nombre d’échantillons était faible. Ils n’ont retrouvé aucune corrélation significative avec des facteurs tels que la taille de la tumeur, son stade, ou le niveau de progression du cancer. En revanche, le niveau de maturation du lait avait un impact significatif, avec des différences marquées entre le colostrum et le lait de transition, et le lait mature. Il existait également une forte corrélation avec le type ductal ou lobulaire de la tumeur.
Si la PCR est très sensible, il est nécessaire de connaître au départ les mutations à détecter afin de mener des analyses spécifiques, ce qui limite l’applicabilité pour des tests de dépistage à grande échelle dans la population. Les auteurs ont donc mené une analyse à partir de 54 gènes présentant fréquemment des mutations chez les femmes de ≤ 45 ans présentant un cancer du sein. À partir des résultats de ces analyses, ils ont réanalysé les échantillons des femmes des 2 groupes incluses dans cette étude. Ces variants génétiques n’étaient retrouvés dans aucun des échantillons de lait du groupe témoin. Dans le groupe cas, jusqu’à 21 des 26 mutations génétiques détectées dans le lait provenant du sein touché étaient similaires à celles retrouvée au niveau de la tumeur, les 5 autres étant spécifiquement retrouvées uniquement dans le lait maternel. Au total, la sensibilité de la détection de ce type de mutations était de 71,4 % et sa spécificité était de 100 %. En ce qui concernait un dépistage du cancer à un stade précoce, la sensibilité était même de 77,8 % pour les cancers de stade I et II. Cette capacité de dépistage précoce était particulièrement claire chez 2 des femmes du groupe cas. Le cancer du sein a été dépisté chez la 1re pendant sa 3e grossesse. Or, elle avait toujours chez elle un échantillon de lait collecté pendant l’allaitement de son 2e enfant 18 mois plus tôt, et un ctADN muté était déjà présent. La 2e femme était suivie régulièrement en raison de son âge élevé au moment de sa 1re grossesse (47 ans), avec échographie 8, 11 et 17 mois après son accouchement et collecte d’échantillons de lait à 8 et 11 mois. La dernière échographie a constaté une tumeur au niveau du sein droit, et la biopsie a conclu à un cancer luminal de stade IA. L’analyse des échantillons de lait collectés à 8 et 11 mois a constaté la présence de ctADN tumoral 6 et 9 mois avant le diagnostic. Aucun marqueur tumoral n’était présent dans les divers échantillons de sang collectés pendant son allaitement et après le diagnostic.
Cette étude présente des points faibles. Elle incluait relativement peu de femmes. Le fait d’obtenir des échantillons de lait à partir du sein présentant une tumeur cancéreuse est une difficulté, car cela exclut les femmes chez qui le cancer est diagnostiqué pendant la grossesse et qui commenceront immédiatement le traitement (ablation de la tumeur et chimiothérapie). Elle suggère toutefois que le lait maternel est une source majeure de ctADN permettant de dépister un cancer du sein lié à la grossesse et au post-partum à un stade très précoce, avant que le cancer soit dépistable par d’autres méthodes. Dans la mesure où ces ctADN seront présents dans le sein touché pendant toute la durée de la lactation, leur recherche pourrait être proposée en routine dans le lait mature de toutes les mères allaitantes. Un dépistage plus précoce pourrait améliorer de façon importante le pronostic de ces cancers particulièrement agressifs.
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