Publié dans le n° 205 des Dossiers de l'allaitement, juin 2024.
D'après : Sandoval-Pinto E et al., Characterization of three cases of primary hypogalactia in Jalisco, Mexico, J Hum Lact 2024 ; 40(1) : 143-9.
La grande majorité des mères peuvent sécréter suffisamment de lait pour nourrir leur bébé. Toutefois, de nombreuses mères estiment ne pas avoir suffisamment de lait. Une production lactée insuffisante est généralement le résultat de pratiques inadéquates d’allaitement (hypogalactie secondaire), et parfois d’un problème chez le nourrisson. La production lactée dépend de 3 facteurs : une succion efficace du bébé, une capacité suffisante de sécrétion lactée par la glande mammaire, et un réflexe d’éjection efficace. Il arrive qu’une femme présente un problème qui induit une hypogalactie dite primaire : hypoplasie mammaire, chirurgie mammaire ayant induit une perte importante de tissu glandulaire, troubles hormonaux… C’est un problème rare, mais qu’il est nécessaire de dépister rapidement. Le risque d’hypogalactie est plus élevé lorsque la femme n’a constaté aucune augmentation de volume de ses seins pendant la grossesse. L’hypoplasie mammaire est diagnostiquée devant certaines caractéristiques mammaires (seins tubulaires, asymétriques, intervalle important entre les 2 seins…). L’hypogalactie induira une stagnation pondérale chez le nourrisson, avec baisse du volume des urines et risque de déshydratation en dépit d’une succion efficace chez le nourrisson.
Au Mexique, la règlementation concernant le suivi des femmes enceintes recommande un examen des seins à l’occasion de la première consultation prénatale, avec don d’informations à la femme sur les bénéfices de l’allaitement et les risques liés à l’utilisation des substituts du lait maternel. Il existe peu d’articles sur l’identification d’une hypogalactie primaire pendant la grossesse ou en post-partum, ou sur la gestion des cas identifiés. Les auteurs présentent 3 cas d’hypogalactie ayant induit une stagnation pondérale et une déshydratation chez les enfants. Elle a été diagnostiquée à l’aide d’un interrogatoire détaillé et d’un examen clinique effectué par un médecin qui était également IBCLC. Pour chaque femme, on a obtenu des informations sur les facteurs sociaux, psychologiques, émotionnels et familiaux, ainsi que sur les antécédents médicaux, le déroulement de la grossesse et de l’accouchement, le suivi médical du bébé, sa succion, les données de l’examen anatomique du sein et la gestion de la lactation.
Premier cas
Cette mère de 36 ans, primipare, était également nutritionniste. Une hyperthyroïdie transitoire avait été diagnostiquée avant la grossesse, pour laquelle elle a été traitée pendant 1 an. Elle avait également été traitée pour un kyste ovarien, et elle avait subi une conisation du col de l’utérus suite à la présence de papillomes. Pendant sa grossesse, elle était fatiguée et stressée. La première échographie a constaté la présence d’un hématome rétroplacentaire qui a nécessité un alitement. Elle a accouché à 41 semaines de gestation d’un garçon en bonne santé pesant 3 350 g, par césarienne en raison d’un oligohydramnios et d’un travail prolongé. Le cordon a été clampé immédiatement après la naissance. Le premier contact en peau à peau avec le nouveau-né avec stimulation mammaire est survenu 10 heures après la naissance. Pendant le séjour en maternité, le bébé a été mis au sein et a reçu du lait industriel au biberon. Après le retour au domicile, la mère a tenté d’allaiter exclusivement, mais elle était peu soutenue par sa famille et elle n’avait pas reçu d’informations de la part des professionnels de santé pendant son séjour en maternité. À 2 semaines, son bébé n’avait toujours pas repris son poids de naissance (il avait pris seulement 100 g à 3 semaines), les urines et les selles étaient peu abondantes et les tétées étaient très longues (jusqu’à 3 heures).
À 3 semaines, cette mère a consulté une IBCLC qui a constaté que le bébé était correctement mis au sein et que sa succion était bonne. Elle a recommandé la prise de dompéridone (20 mg toutes les 8 heures) pendant 1 mois, de fenugrec et de moringa, et d’exprimer son lait à la fois manuellement et avec un tire-lait manuel. En l’absence d’augmentation de sa production lactée, on a diagnostiqué une hypogalactie primaire et la mère a commencé à donner des suppléments à son bébé avec un DAL (dispositif d’aide à la lactation), ces suppléments étant constitués de lait humain provenant de donneuses et de lait industriel, et ce jusqu’à 10 mois. Le lait humain (maternel et provenant d’un lactarium) représentait environ 80 % des apports du bébé. Par la suite, la mère a poursuivi l’allaitement uniquement au sein jusqu’à 30 mois. La croissance du bébé a été normale et il était en parfaite santé à 4 ans.
Deuxième cas
Cette mère de 32 ans, également nutritionniste, avait 2 enfants. On lui avait diagnostiqué un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), qui s’accompagnait de règles irrégulières et qui a été traité par contraceptifs oraux. Elle avait des antécédents familiaux de problèmes thyroïdiens, mais n’a présenté aucun problème de ce type avant et pendant la grossesse. Elle avait déjà eu une production lactée insuffisante après la naissance de son premier enfant, qu’elle avait allaité partiellement dès le début (le bébé recevant par ailleurs du lait industriel). Pendant sa grossesse, elle était fatiguée et stressée, mais elle n’a présenté aucune complication médicale. Elle a accouché à 38 semaines de gestation d’un petit garçon en bonne santé pesant 3 185 g, par césarienne en raison d’un oligohydramnios. Le cordon a été coupé immédiatement après la naissance, et elle n’a pu avoir son bébé en peau à peau que pendant quelques minutes. Son bébé a été transféré en nurserie pendant 4 heures. Pendant les 2 premières nuits, il a reçu des biberons de lait industriel. Les divers bilans effectués chez le bébé étaient normaux. Cette mère avait peu de soutien familial ou social pour son allaitement, et elle a présenté des symptômes de dépression du post-partum dès la première semaine, aggravée par les difficultés d’allaitement (traitée par sertraline jusqu’à 8 mois post-partum). Une ankyloglossie a été constatée chez le nouveau-né. Une freinotomie a effectuée à 1 mois, mais les problèmes d’allaitement ont persisté, le nourrisson présentant un ictère et une faible prise de poids.
À J35, la mère a consulté un médecin IBCLC. L’examen des seins a constaté une hypoplasie mammaire avec seins tubulaires et très écartés. La mère a décrit des tétées très longues, ainsi que des urines et des selles rares. Pendant la consultation, le nourrisson a été incapable de prendre le sein correctement, et on a constaté l’existence d’une mastite. Une hypogalactie primaire a été diagnostiquée. On a conseillé à la mère de tirer son lait avec un tire-lait, et elle a pris de la dompéridone, 20 mg toutes les 8 heures, pendant 1 mois. Cela n’a induit qu’une amélioration minime, la mère obtenant au maximum environ 120 ml de lait par jour. Elle a accepté la nécessité de donner des suppléments de lait industriel à son bébé. La prise de poids de celui-ci est devenue correcte, et la mère a poursuivi l’allaitement partiel jusqu’à 15 mois. À 4 ans, le bébé était en bonne santé.
Troisième cas
Cette mère avait 28 ans et elle avait déjà eu des problèmes pour allaiter son bébé précédent. Pendant sa grossesse, elle a présenté un diabète gestationnel traité par un régime alimentaire. Elle a accouché à 37,5 semaines par césarienne d’un petit garçon en bonne santé pesant 2 700 g. Le cordon ombilical a été immédiatement clampé. Le bébé a été emmené en nurserie et nourri avec des biberons de lait industriel, et le premier contact entre la mère et son bébé est survenu 6 heures après la naissance, la mère pouvant alors garder son bébé avec elle en permanence. Elle était bien soutenue dans son allaitement par sa famille et son entourage. Elle a rapporté des tétées très longues (plus de 4 heures sauf la nuit), son bébé avait des urines et des selles rares, et il présentait des signes d’hypoglycémie. Il recevait des biberons de lait industriel depuis la première semaine en raison d’une incapacité à prendre le sein.
La mère a vu une IBCLC à 3 mois post-partum. Elle n’avait pas constaté d’augmentation de volume des seins pendant la grossesse et n’avait pas présenté d’engorgement après la naissance. Ses seins étaient tubulaires et largement espacés. Elle avait eu peu de colostrum et la montée de lait avait été tardive. Elle a commencé à prendre du moringa et à tirer son lait manuellement et avec un tire-lait, mais sa production lactée est restée symbolique (au maximum 30 ml par jour). Elle a nourri son bébé avec du lait humain provenant de donneuses et du lait industriel, donnés avec un DAL, et ce jusqu’à 12 mois. La prise de poids de son bébé a été normale.
La première mère, primipare, aurait dû bénéficier de davantage d’attention, de soutien et d’informations sur l’allaitement. La première mise au sein a été tardive, personne n’a évalué sa production de colostrum ou sa montée de lait, elle n’a reçu aucune information sur les signes indiquant que son bébé ne recevait pas suffisamment de lait. Il en a résulté un sérieux problème de prise de poids chez son bébé, identifié seulement à 3 semaines. Le principal problème de la deuxième mère était une hypoplasie mammaire qui aurait dû être identifiée dès la première grossesse. La faible production lactée a induit chez son bébé une déshydratation et un ictère. La troisième mère présentait une hypoplasie mammaire et elle avait eu une montée de lait tardive, mais elle a donné rapidement des suppléments de lait industriel. Moins de 5 % des mères échouent plus ou moins complètement à obtenir une production lactée adéquate. En pareil cas, l’aspect des seins, l’absence d’augmentation de volume pendant la grossesse, une montée de lait faible et tardive (plus de 5 jours après la naissance) étaient des signes d’hypogalactie primaire. La mauvaise prise de poids du nourrisson le confirmait. Dans ces 3 cas, les mères ont respecté les stratégies conseillées par l’IBCLC. Ces 3 cas illustrent les complications qui peuvent survenir lorsqu’une mère ne bénéficie pas d’un bon soutien pour son allaitement et que l’hypoplasie n’a pas été rapidement diagnostiquée. Une intervention plus rapide aurait éventuellement pu permettre d’augmenter la production lactée. Il est clairement nécessaire de mettre en œuvre de nouvelles stratégies permettant d’améliorer le suivi prénatal dans le cadre de la lactation au Mexique. Un examen clinique en période prénatale est fondamental pour identifier un problème rare comme l’hypoplasie mammaire. Un examen des seins devrait être systématique, ainsi qu’une discussion sur l’allaitement, qui permettra de dépister précocement des facteurs de risque d’hypogalactie primaire. La formation des professionnels de santé devrait souligner l’importance de rechercher les facteurs susceptibles d’avoir un impact négatif sur l’allaitement. Les mères concernées devraient bénéficier d’un suivi étroit afin d’optimiser autant que possible leur production lactée. Dans certains cas, la mère ne pourra pas obtenir une production lactée suffisante, et les soignants doivent alors aider la mère à mettre en place une supplémentation adaptée aux besoins de chaque nourrisson afin de lui permettre d’avoir une croissance adéquate.
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