Publié dans le n° 205 des Dossiers de l'allaitement, juin 2024.
D'après : Vitoria-Miñana I et al., Breastfeeding and inborn errors of amino acid and protein metabolism : a spreadsheet to calculate optimal intake of human milk and disease-specific formulas, Nutrients 2023 ; 15 : 3566.
Le lait humain présente de nombreux bénéfices pour la santé et la nutrition infantiles. Il peut également présenter des bénéfices spécifiques chez les enfants présentant des anomalies congénitales du métabolisme et des acides aminés en raison de son taux relativement faible en protéines et en acides aminés. Il est toutefois contre-indiqué en cas de galactosémie, de forme sévère des anomalies de l’oxydation des acides gras à longue chaîne, ou en cas de malabsorptions du glucose et du galactose. Des apports adéquats en protéines et en acides aminés sont cependant indispensables pour la croissance et le métabolisme des enfants. Il est donc très important de déterminer avec précision les apports des enfants présentant une anomalie congénitale du métabolisme des protéines et des acides aminés afin d’éviter les carences, mais aussi les décompensations induites par un apport excessif. La composition en macronutriments du lait maternel peut varier d’une mère à l’autre. Les auteurs ont donc utilisé des valeurs moyennes pour cet article, et ils ont mis au point des tables permettant de calculer les taux de protéines et d’acides aminés que doivent recevoir ces enfants en fonction des pourcentages de lait maternel et de lait industriel spécial qu’ils peuvent recevoir, en se limitant aux 6 premiers mois.
Développement des tables
Des tables spécifiques ont été conçues pour la phénylcétonurie (PCU), la tyrosinémie (TYR), l’acidurie glutarique type 1 (AG 1), l’homocystéinurie (HCU), la maladie des urines sirop d’érable (MUSE), l’acidurie isovalérique (AIV) et les anomalies du cycle de l’urée (ACU). Pour les calculs, les auteurs ont pris en compte le poids de l’enfant et les apports recommandés pour les divers acides aminés, en particulier l’acide aminé "limitant" (celui/ceux concerné(s) par l’anomalie congénitale). À partir du taux de cet acide aminé dans le lait humain, le volume de lait humain pouvant être donné au bébé est calculé. Puis, en tablant sur une consommation de lait de 120 à 200 ml/kg/jour par l’enfant, on en déduit le volume de lait industriel spécial qu’il doit recevoir en plus du lait humain, ces volumes étant répartis sur 6 à 8 repas quotidiens (ces tables peuvent être téléchargées à www.mdpi.com/article/10.3390/nu15163566/s1). Il faudra ensuite adapter ces volumes à la situation clinique de chaque bébé, en particulier pendant les premières semaines, et aux résultats de ses bilans biologiques. Les auteurs présentent quelques scénarios particuliers afin d’illustrer les adaptations.
Existence d’un lait industriel adapté à l’anomalie métabolique
Dans le cas des anomalies du métabolisme des acides aminés pour lesquelles il existe un lait industriel spécialement conçu pour la pathologie infantile, les calculs sont ceux décrits ci-dessus et sont relativement simples. Le taux de l’acide aminé limitant dans le lait maternel déterminera le volume de lait maternel donné à l’enfant, ce volume pouvant être ajusté en fonction des résultats du suivi biologique. Il existe 2 groupes d’anomalies pour lesquelles il est nécessaire de calculer les apports totaux en protéines plutôt que les apports pour un acide aminé spécifique : l’acidurie méthylmalonique/propionique (AMM AP) et les ACU. En pareil cas, après avoir rentré dans le tableau le poids de l’enfant, on calculera ses besoins en acides aminés (0,91-1,52 g/kg/jour en cas d’AMM AP, 0,8-1,1 g/kg/jour en cas d’ACU) en fonction du bilan biologique. On calculera alors le volume de lait maternel pouvant être donné à l’enfant, et la mère devra tirer son lait pour donner à son bébé le volume préconisé (afin de limiter le risque de décompensation en raison d’un apport protéique trop élevé). Le bébé recevra par ailleurs un volume complémentaire de lait industriel spécial ou un produit synthétique de supplémentation en acides aminés. En fonction des caractéristiques de chaque enfant, il peut y avoir d’importantes variations dans les pourcentages respectifs de lait maternel et de lait industriel spécial, l’avantage du tableau étant de permettre de les calculer facilement.
La gestion diététique des anomalies congénitales du métabolisme des acides aminés et des protéines peut être divisée en 3 étapes : gestion de la décompensation ayant amené à rechercher et diagnostiquer l’anomalie, adaptation des volumes de lait maternel et de lait industriel spécial, et gestion au long cours. Chez les nourrissons présentant une décompensation symptomatique, le premier objectif est de normaliser le bilan biologique via des stratégies adaptées : traitement de l’hyperammoniémie, de l’acidocétose, administration de nitisinone (en cas de TYR), de carnitine (en cas d’AG 1) ou de pyridoxine (en cas de HCU), don d’un pourcentage plus élevé de lait industriel spécial jusqu’à normalisation du bilan, et promotion de l’anabolisme via une supplémentation en glucides et en lipides. Après normalisation, les pourcentages respectifs de lait maternel et de lait spécial seront calculés. Dans certains cas, après le don du volume prescrit de lait industriel spécial, le bébé pourra être allaité à la demande avec un suivi clinique et biologique étroit (en cas de PCU par exemple). Des suppléments spéciaux apportant des polymères de glucose ou des lipides peuvent être ajoutés. Par la suite, les données des bilans permettront d’adapter si besoin les consignes alimentaires.
Phénylcétonurie
La PCU est l’une des plus fréquentes anomalies congénitales du métabolisme des acides aminés et c’est la plus étudiée, en particulier sur le plan de la gestion de l’allaitement. Chez les enfants présentant une PCU âgés de < 6 mois, les auteurs recommandent un apport quotidien de Phe de 45-55 mg/kg/jour, afin de maintenir son taux plasmatique entre 120 et 360 µmol/l. Cela correspond le plus souvent au don d’un volume de lait industriel spécial correspondant à 0,8-1,3 g/kg/jour de protéines. Après le diagnostic, il pourra être nécessaire de nourrir le bébé exclusivement avec un lait industriel spécial jusqu’à obtention d’un taux sérique adéquat de Phe. L’allaitement pourra alors être repris. Le lait humain contient en moyenne 460 mg/l de Phe. Dès 1986, une étude constatait que le taux d’obtention d’un taux sérique satisfaisant de Phe était similaire chez les enfants qui étaient partiellement allaités et ceux qui étaient exclusivement nourris avec un lait industriel spécial. Les études menées depuis ont confirmé ces résultats, et on recommande maintenant l’allaitement partiel de ces enfants selon divers protocoles (au choix des parents) afin de permettre à ces enfants de bénéficier des avantages du lait maternel. La stratégie la plus courante pour l’alimentation de ces enfants est de calculer le volume de lait industriel spécial à leur administrer, divisé en 6 à 8 repas quotidiens, et de mettre l’enfant au sein à la demande après le don du lait spécial. On a constaté que cette stratégie était corrélée à une plus longue durée d’allaitement que d’autres stratégies (don au biberon d’un volume précis de lait maternel exprimé à chaque repas par exemple). En fonction du taux sérique de Phe constaté lors des bilans réguliers, le volume quotidien de lait industriel spécial sera révisé à la hausse ou à la baisse.
Tyrosinémie
Chez les enfants présentant une TYR traitée par don d’un lait industriel pauvre en tyrosine (Tyr) et administration de nitisinone, l’objectif est de réduire les apports en Phe et en Tyr tout en permettant une croissance normale. L’essentiel de la Phe apportée par l’alimentation est métabolisé en Tyr, raison pour laquelle les apports en Phe doivent également être contrôlés. Le bébé devra recevoir un produit spécial dépourvu de Phe et de Tyr, dont l’administration exclusive pourra être nécessaire pendant 48 heures après diagnostic de l’anomalie, afin de normaliser le bilan biologique. On calculera alors le volume de lait maternel apportant la quantité souhaitée de Tyr, et l’apport total en protéines sera limité à 2,5-3,5 g/kg/jour. Cette alimentation pauvre en Tyr et en Phe doit être poursuivie indéfiniment sous suivi étroit, le taux sérique de Tyr devant être maintenu à 200-400 µmol/l. Deux cas d’enfants présentant une TYR et allaités pendant respectivement 22 et 23 semaines ont été rapportés. Dans les deux cas, ces enfants ont eu besoin d’une supplémentation en Phe.
Acidurie glutarique type 1
En cas d’AG 1, on recommande actuellement à l’échelle internationale l’allaitement à la demande après administration d’un volume donné de lait industriel spécial ne contenant pas de lysine (Lys) et apportant peu de tryptophane (Trp). Cette stratégie s’est avérée fiable chez des enfants allaités pendant 2 à 11 mois, qui ont eu un développement pouvant être considéré comme satisfaisant pour des enfants présentant cette anomalie. On peut recommander chez ces enfants des apports de 100 mg/kg/jour de Lys. Le lait humain contient en moyenne 900 mg/l de Lys.
Homocystéinurie
En cas de HCU, la première étape est de déterminer si elle est sensible à la pyridoxine en administrant de la pyridoxine et de l’acide folique pendant 14 jours et en vérifiant si cela a permis de normaliser le taux d’homocystéine (Hc). En pareil cas, sa gestion sera simple. Elle sera un peu plus complexe en cas de réponse incomplète au traitement par pyridoxine. Le cas d’un enfant allaité jusqu’à 18 mois a été rapporté, avec maintien d’un taux sérique normal de Hc. Dans un autre cas, l’allaitement a dû être interrompu pendant 12 semaines en raison d’un apport insuffisant en méthionine (Met).
Maladie des urines sirop d’érable
En cas de maladie des urines sirop d’érable (MUSE), l’allaitement est possible en cas de forme modérée. Il sera nettement plus difficile en cas de forme sévère, et un suivi étroit sera alors nécessaire. On recommande un apport en leucine (Leu) de 40-100 mg/kg/jour et un apport protéique de 2,5-3,5 g/kg/jour. Des cas d’enfants présentant une MUSE ayant été allaités ont été rapportés. Dans un cas, l’allaitement a été stoppé au bout de 4 mois en raison du doublement du taux plasmatique d’acides aminés branchés, dans un autre il a été arrêté au bout d’un mois en raison d’une production lactée maternelle insuffisante. Dans une autre étude, des enfants ont été partiellement allaités pendant 3-11 mois parallèlement au don du lait industriel spécial, avec une croissance et un suivi biologique normaux.
Acidurie isovalérique
En cas d’AIV, l’objectif est de normaliser le taux sérique d’acide isovalérique, avec une alimentation pauvre en protéines et une supplémentation en glycine et en carnitine à débuter le plus rapidement possible après la naissance. De nombreux enfants tolèrent des apports protéiques normaux. Dans certains cas, un lait industriel spécial sans Leu est nécessaire, avec des apports recommandés en Leu de 50-140 mg/jour, déterminés à partir du bilan clinique et biologique. Deux cas d’enfants présentant une AIV ont été décrits. L’un a été nourri avec du lait maternel exprimé pendant 13 mois, puis allaité à la demande pendant 1 mois, tandis que l’autre a été allaité à la demande pendant 10 mois.
Acidurie méthylmalonique/propionique
En cas d’AMM-AP, après stabilisation en cas d’acidose et/ou d’hyperammoniémie, le bébé pourra recevoir un volume de lait maternel apportant 0,9 à 1,52 g/kg/jour de protéines, et un lait industriel spécial en quantité permettant d’atteindre un apport protéique total de 1,52-1,82 g/kg/jour. Une étude a suivi 3 enfants allaités, 2 recevant le lait maternel exprimé au biberon et le troisième étant allaité à la demande, ces 3 enfants recevant le volume recommandé de lait industriel spécial avant le lait maternel. L’évolution a été satisfaisante, mis à part une faible prise de poids transitoire chez l’un des enfants. Une autre étude a suivi 7 enfants présentant une AP et 6 présentant une AMM, ces enfants ayant été allaités pendant une durée allant jusqu’à 16 semaines, avec de bons résultats. Une troisième étude incluait 4 enfants présentant une AMM. 2 ont au départ reçu du lait maternel exprimé pendant 1 semaine, puis ont été allaités à la demande pendant respectivement 8 et 24 mois, avec un bon résultat. Les deux autres enfants ont été allaités à la demande dès le départ et ont été sevrés à respectivement 12 et 24 mois. Un cas de bébé chez qui l’allaitement a dû être arrêté au bout de 3 mois en raison de décompensations métaboliques a également été rapporté. Le tableau des auteurs permet de calculer le volume de lait spécial que l’enfant doit recevoir tous les jours à chaque repas, avant de le laisser téter à la demande.
Anomalies du cycle de l’urée
Le traitement des ACU implique une restriction protéique, un apport calorique suffisant et la prise de traitements "évacuateurs" d’azote. Un apport total de 1,2-2,2 g/kg/jour de protéines est conseillé, dont 0,4-1,1 g/kg/jour apportés par un lait industriel spécial, le reste pouvant être apporté par le lait maternel. Si les troubles du cycle de l’urée se manifestent tous par une ammoniémie, leur origine est très variable. Dans un cas de carence sévère en ornithine transcarbamylase, l’allaitement a été arrêté à 1,5 mois en raison d’une hyperammoniémie associée à une infection respiratoire. Une autre étude avait suivi 3 enfants présentant une ACU qui ont été allaités pendant 2 à 9 mois, avec de bons résultats. 2 des enfants étaient mis au sein à la demande, le troisième était nourri au biberon avec du lait maternel exprimé. Un bébé présentant une citrullinémie a été partiellement allaité avec de bons résultats. Chez ces enfants, la gestion devra être individualisée en fonction de l’anomalie de l’enfant et de sa sévérité. Dans certains cas, il sera préférable de donner le lait maternel exprimé au biberon, l’enfant pouvant éventuellement être mis au sein à la demande lorsqu’il est plus âgé. Un suivi clinique, nutritionnel et biologique régulier sera indispensable.
En conclusion
Le tableau de calcul mis au point par les auteurs présente des limites. Les nourrissons présentant une forme modérée de l’anomalie congénitale du métabolisme des acides aminés et/ou des protéines pourront tolérer un pourcentage plus élevé de lait maternel et donc avoir besoin d’un pourcentage plus bas de lait industriel spécial. Ce tableau utilise les taux de protéines des laits industriels disponibles en Espagne (pays des auteurs), et des adaptations aux produits disponibles dans d’autres pays pourront être nécessaires. Les auteurs se sont appuyés sur les recommandations actuelles des spécialistes de la gestion des diverses anomalies métaboliques, qui se fondent sur les données existantes, et qui pourront évoluer avec l’amélioration des connaissances sur le sujet. Par ailleurs, ces anomalies sont rares et la validité de leur tableau a été testée sur peu d’enfants. Ce tableau, s’il est simple à utiliser et intéressant pour évaluer les apports adaptés à un enfant donné, ne doit pas faire oublier l’importance d’une prise en compte individualisée de ces enfants en fonction de la nature exacte de leur problème et des données cliniques et biologiques. La gestion de ces anomalies nécessite un suivi rigoureux et des ajustements dans la gestion de l’alimentation seront généralement nécessaires.
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