Publié dans le n° 206 des Dossiers de l'allaitement, septembre 2024.
D'après : Anxiety disorders and breastfeeding. Anderson PO. Breastfeed Med 2024 ; 19(3) : 152-4.
Les méta-analyses sur le sujet constatent que 8,5 à 18 % des mères expérimenteront un ou plusieurs troubles anxieux en post-partum, les variations de ce pourcentage étant en partie fonction des troubles anxieux pris en compte dans les études. L’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) a récemment publié de nouvelles recommandations cliniques sur la gestion des troubles mentaux, l’une de ces recommandations étant que les femmes présentant un trouble mental ne devraient pas se voir déconseiller l’allaitement. Les diverses psychothérapies telles que les thérapies cognitives ou comportementales sont à privilégier comme traitement des troubles anxieux et elles peuvent être très efficaces. Un traitement médicamenteux pourra être utilisé en plus de ces thérapies ou en cas de prescription de benzodiazépines, en attendant que la psychothérapie soit efficace. L’ACOG recommande la poursuite des médicaments à visée anxiolytique pendant au moins 6 à 12 mois après l’arrêt des symptômes, et il est donc important de prendre en compte l’impact potentiel d’un traitement maternel au long cours chez l’enfant allaité. L’auteur fait le point sur les produits les plus souvent prescrits dans le traitement des troubles anxieux.
Antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS)
Les IRS sont considérés comme de bons traitements de première intention en cas de troubles anxieux en post-partum. L’ACOG estime que la sertraline et l’escitalopram sont de bons choix chez les femmes qui n’ont pas d’antécédents particuliers. La dose infantile relative (DIR – dose maternelle ajustée pour le poids) de la sertaline est de ≤ 2 %. Celle de la paroxétine est de ≤ 3 %, et elle est également un bon choix. La DIR de l’escitalopram est plus élevée, en particulier chez les mères qui sont métaboliseurs lents CYP2C19. La fluoxétine est le moins bon choix en raison de son excrétion lactée plus élevée et de celle de son métabolite actif. Sa DIR, cumulées des deux, est d’environ 6 % et elle pourrait aller jusqu’à > 20 %. De plus, sa demi-vie et celle de son métabolite sont très longues. Si la mère était ou avait déjà été traitée auparavant avec succès par IRS, le produit utilisé sera privilégié, même si c’était de la fluoxétine. En cas de traitement par fluoxétine, le nourrisson sera suivi à la recherche de coliques, d’agitation ou de somnolence. L’arrêt des IRS doit être progressif, sur 2 à 4 semaines, afin d’éviter un syndrome de sevrage chez la mère.
Antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine/noradrénaline (IRSN)
Ces produits sont une alternative raisonnable aux IRS. On dispose de moins de données sur l’excrétion lactée de ces produits que sur celle des IRS. Comme ces derniers, leur arrêt sera progressif sur 2 à 4 semaines. L’excrétion lactée de la duloxétine a été recherchée chez seulement 9 femmes, mais on a toujours constaté que la DIR était < 1 %. Chez une mère qui en prenait 60 mg/jour, le taux plasmatique à J18 chez son enfant exclusivement allaité représentait 0,82 % du taux plasmatique maternel 7,6 heures après une prise maternelle. Chez une autre mère allaitant exclusivement un enfant de 32 jours, la duloxétine était indétectable dans le plasma infantile 8,25 heures après une prise maternelle de 60 mg. Le lévomilnacipran est la forme racémique active du milnacipran. L’excrétion lactée de ce dernier a été suivie chez 8 mères, et sa DIR était estimée à 2,8 % (à partir du taux moyen constaté) ou 5 % (à partir du pic lacté). Ce n’est probablement pas un bon choix. La venlafaxine est approuvée pour le traitement du trouble anxieux généralisé. Sa DIR est généralement > 5 % et parfois > 10 %. Son taux plasmatique est mesurable chez de nombreux bébés allaités par une mère prenant de la venlafaxine, et on a rapporté des épisodes de sédation et de léthargie chez ces nourrissons. Son métabolite, la desvenlafaxine, n’est pas approuvée dans cette indication, et tant la venlafaxine que la desvenlafaxine sont de mauvais choix pendant l’allaitement.
Benzodiazépines
Cette classe de molécules présente l’avantage de soulager rapidement les symptômes d’anxiété, mais elles présentent des risques tels qu’un abus, une dépendance, un syndrome de sevrage, ou une sédation maternelle qui peut interférer avec les soins à l’enfant. Toutefois, elles peuvent être utilisées temporairement en attendant que la psychothérapie ou un autre traitement médicamenteux devienne efficace, ce qui peut prendre 2 à 6 semaines. Leur prise doit être arrêtée en abaissant la posologie de 25 à 50 % par semaine pour éviter un syndrome de sevrage.
Le choix de la molécule à prescrire doit être soigneusement pesé. Une benzodiazépine à longue demi-vie, comme le diazépam ou l’alprazolam, peut induire une sédation chez le bébé allaité, et ces molécules devraient être évitées. Des cas de syndrome de sevrage ont été rapportés chez le bébé allaité en post-partum précoce lorsque la mère prenait de l’alprazolam pendant la grossesse, ou chez le bébé plus âgé en cas de prise d’alprazolam au long cours pendant l’allaitement. Cette molécule est considérée comme plus addictive que d’autres benzodiazépines. Des cas de sédation et de respiration anormale ont été rapportés chez des nourrissons allaités par une mère traitée par clonazépam. Un rapport de la pharmacovigilance française estimait que cette molécule était l’une des plus souvent en cause dans les effets secondaires rapportés chez des nourrissons allaités, en particulier pour les cas de sédation. Il n’existe pas de données sur l’excrétion lactée du chlordiazépoxide et du clorazépate, et ces deux produits qui ont de plus une longue demi-vie sont déconseillés. L’oxazépam, le lorazépam et le témazépam sont les benzodiazépines à privilégier chez les femmes allaitantes en raison de leur faible excrétion lactée et de leur demi-vie plus courte. Mais même l’oxazépam et le lorazépam ont induit des cas de sédation modérée chez les nourrissons allaités. Il sera donc important de prescrire la dose efficace la plus basse chez les mères allaitantes, et de suivre régulièrement le bébé allaité.
Gabapentinoïdes
Cette classe comprend la gabapentine et la prégabaline, des anti-épileptiques qui semblent également avoir une efficacité similaire à celle des IRS et des IRSN dans le traitement des troubles anxieux. La prégabaline est approuvée dans ce cadre en Europe. Les données sur l’excrétion lactée de la gabapentine sont limitées. Des doses maternelles allant jusqu’à 2,1 g/jour étaient corrélées à une DIR de 1,3 à 3,8 %, et son taux plasmatique infantile était faible. Aucun effet secondaire n’a été rapporté chez les 8 enfants allaités suivis. Il existe également peu de données sur la prégabaline. Des doses maternelles de 300 mg/jour induisaient une excrétion lactée exposant le nourrisson à 0,31 mg/kg/jour de produit actif, soit une DIR d’environ 7 %. Le taux plasmatique de l’un des nourrissons était d’environ 8 % du taux plasmatique maternel. Un seul enfant a été suivi, qui n’a présenté aucun effet secondaire.
Antidépresseurs tricycliques
La plupart d’entre eux ne sont pas approuvés dans le cadre du traitement des troubles anxieux, mais ils peuvent parfois être utilisés en cas d’échec des autres traitements pharmacologiques, en particulier dans les troubles paniques. La nortriptyline est le meilleur choix pendant l’allaitement dans cette classe de produit. Son excrétion lactée est faible, et le taux plasmatique infantile est d’en moyenne 10 % du taux plasmatique maternel. Les taux des métabolites de la nortriptyline sont habituellement indétectables ou très bas dans le plasma des nourrissons allaités. Aucun effet secondaire à court terme n’a été rapporté, mais les données sur un impact à plus long terme sont limitées. La doxépine est le seul tricyclique approuvé pour le traitement de l’anxiété, mais deux cas de dépression respiratoire sévère ont été rapportés chez des enfants allaités par une mère traitée par doxépine. Elle est donc déconseillée pendant l’allaitement.
Autres produits utilisés dans le traitement des troubles anxieux
La buspirone est approuvée en monothérapie pour le traitement de l’anxiété, mais elle est souvent utilisée en association. Une étude récente a suivi son excrétion lactée. La buspirone était indétectable dans tous les échantillons de lait, mais son métabolite actif était présent à un faible taux. Les posologies maternelles allaient de 7,5 à 30 mg deux fois par jour, et la DIR de son métabolite allait de 0,21 à 2,17 %. Ce produit semble donc utilisable chez la mère allaitante. L’hydroxyzine est approuvée pour le traitement de l’urticaire, mais également de l’anxiété. Il n’existe pas de données sur son excrétion lactée ni sur le taux plasmatique d’enfants allaités. La pharmacovigilance française estimait qu’elle était l’un des produits parmi les plus souvent suspectés en cas d’effets secondaires chez un bébé allaité. Une baisse de la production lactée a été rapportée chez une mère qui en prenait en conjonction avec de l’aripiprazole. Sa prescription chez une mère allaitante est donc déconseillée ou comme dernier recours en cas d’échec des autres traitements. La prise ponctuelle d’une dose de 20 à 40 mg de propranolol semble efficace pour la gestion des anxiétés situationnelles (prise publique de parole par exemple). Son excrétion lactée est très faible et elle est utilisable chez les mères allaitantes dans ce cadre.
En conclusion
La plupart des produits cités ci-dessus n’ont pas comme indication primaire le traitement des troubles anxieux. Ces produits peuvent être prescrits seuls ou en conjonction avec un autre traitement. Les IRS et les IRSN sont les produits à privilégier pendant l’allaitement. Parmi les tricycliques, la nortriptyline est le meilleur choix. Les benzodiazépines à courte demi-vie, comme l’oxazépam et le témazépam, peuvent être utilisées temporairement en attendant que les autres traitements mis en œuvre soient efficaces. La prégabaline et la buspirone semblent utilisables pendant l’allaitement.
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