Publié dans le n° 209 des Dossiers de l'allaitement, décembre 2024.
D'après : Consensus panel recommendations for the pharmacological management of breastfeeding women whith post-partum depression. Eleftheriou G et al. Int J Environm Res Public Health 2024 ; 21 : 551.
La prévalence de la dépression du post-partum (DPP) varie suivant les études et les pays, de 5 à 26,32 %, celle de la prescription d’antidépresseurs chez les mères concernées allant de 2,4 à 4,1 %. Dans la mesure où la dépression maternelle peut avoir un impact significatif sur le lien mère-enfant et le développement du nourrisson, il est nécessaire que la DPP soit dépistée et traitée correctement, y compris chez la mère allaitante. Il existe un certain nombre de présentations de cas de mères allaitantes traitées par des psychotropes pour une DPP, mais il existe très peu d’études importantes. S’ils présentent un réel intérêt pour la santé des mères présentant une DPP, les antidépresseurs et les anxiolytiques seront excrétés dans le lait et pourront présenter des risques pour le nourrisson allaité. Les professionnels de santé qui suivent ces dyades devront donc considérer la balance bénéfices/risques à la fois de la DPP, du traitement maternel et de l’allaitement par une mère traitée. L’objectif de cette analyse était de faire le point sur les produits utilisés dans le cadre d’une DPP chez une mère allaitante, afin de permettre aux médecins comme aux familles de faire des choix aussi éclairés que possible grâce au développement de recommandations faisant consensus parmi les experts.
Pour ce faire, les auteurs ont recherché toutes les études disponibles sur le sujet publiées en anglais entre janvier 1985 et janvier 2024. Ils ont retenu les études observationnelles, cas-témoin, présentant des études de cas, ainsi que les méta-analyses sur le sujet, menées auprès de mères allaitantes, fournissant des données sur les éventuels effets secondaires chez le nourrisson allaité, sur le taux lacté du produit et/ou sur son taux plasmatique infantile. Ils ont exclu les études menées uniquement pendant les premiers jours post-partum et celles centrées sur le syndrome de sevrage. Concernant les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS), ils ont pris en compte le citalopram, l’escitalopram, la fluoxétine, la fluvoxamine, la paroxétine et la sertraline. Pour les inhibiteurs de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN), ils ont pris en compte la duloxétine et la venlafaxine. Ils ont retenu la vortioxétine pour la classe des modulateurs des récepteurs sérotoninergiques (MRS), le bupropion, la mirtazapine, la réboxétine et la trazodone pour les antidépresseurs atypiques, l’amitriptyline, la clomipramine, l’imipramine et la trazodone pour les tricycliques (TC). Ils ont créé un groupe multidisciplinaire de 16 experts italiens n’ayant aucun conflit d’intérêt dans le domaine du traitement pharmacologique de la DPP (7 pharmacologues et toxicologues, 4 psychiatres, 2 gynécologues, 1 pédiatre et 2 néonatalogistes). Ce groupe a tout d’abord défini ses objectifs et les divers domaines à explorer. Il s’est réuni pour la première fois en septembre 2022 à l’occasion d’un congrès européen de tératologie. Les divers domaines évalués par ce groupe étaient l’évaluation des risques à court terme associés à une DPP non traitée, l’évaluation des risques possibles du traitement maternel chez le nourrisson allaité, les connaissances sur les risques potentiels à long terme chez l’enfant, et l’évaluation du traitement de l’addiction aux opiacés chez les femmes allaitantes présentant une DPP.
Parmi les 420 études potentiellement utilisables, 215 correspondaient à tous les critères d’inclusion. 10 se focalisaient plus spécifiquement sur les risques de l’absence de traitement de la dépression maternelle. 142 études fournissaient des données en rapport avec les risques éventuels du traitement maternel chez l’enfant allaité, 20 études envisageant l’impact à long terme sur le développement cognitif infantile après exposition à la toxicomanie maternelle via l’allaitement. 6 études se focalisaient sur la gestion pharmacologique de la dépression en cas de toxicomanie maternelle aux opiacés. Les auteurs ont pris en compte une méta-analyse et 69 études de cas portant sur les IRS, 14 études ou rapports de cas portant sur les IRSN, 19 études ou rapports de cas portant sur les TC et 14 études ou rapports de cas portant sur les antidépresseurs atypiques. Enfin, 25 études ou rapports de cas se focalisaient sur les benzodiazépines (BZD) et les agonistes des récepteurs des benzodiazépines (ABZD).
Antidépresseurs
24 articles portant sur des séries et des rapports de cas évaluaient les taux plasmatiques et lactés des antidépresseurs et calculaient le rapport lait/plasma. Les taux lactés d’amitriptyline, de fluoxétine et de paroxétine étaient plus bas que leurs taux plasmatiques. Les taux lactés de bupropion, de réboxétine et de tradozone étaient beaucoup plus bas que leurs taux plasmatiques. Tous les autres TC et IRS étaient présents dans le lait maternel à un taux plus élevé que le taux plasmatique. 25 études avaient recherché le taux plasmatique infantile et calculé la dose infantile relative infantile (DIR – pourcentage de la dose maternelle ajustée pour le poids). Presque tous les antidépresseurs étaient indétectables ou présents à un taux très faible dans le plasma infantile, avec une DIR généralement < 5 %. 12 études incluant 61 nourrissons prenaient en compte les éventuels effets secondaires de l’exposition aux TC (amitriptyline pour 24 enfants, nortriptyline pour 17 enfants, clomipramine pour 8 enfants et imipramine pour 12 enfants). Un seul cas de sédation a été rapporté.
Concernant les IRS, 62 études portant sur un total de 644 nourrissons rapportaient 18 cas d’effets secondaires probablement liés à l’exposition au traitement maternel via l’allaitement. 10 études portant sur au total 59 nourrissons exposés au citalopram faisaient état de 6 enfants ayant présenté des effets secondaires. C’était le cas d’un enfant sur un total de 17 exposés à l’escitalopram (6 études), de 5 enfants sur 225 exposés à la fluoxétine (18 études), d’un enfant sur 13 exposés à la fluvoxamine (8 études), de 3 enfants sur 116 exposés à la paroxétine (12 études), et de 2 enfants sur 214 exposés à la sertraline (18 études). Concernant les IRSN, 11 études avaient documenté les effets secondaires chez les nourrissons : 3 études pour la duloxétine incluant 8 enfants, aucun effet secondaire ; 8 études pour la venlafaxine incluant 46 enfants, un seul effet secondaire. Parmi les MRS, une seule étude a été publiée incluant 3 enfants, concernant la vortioxétine, aucun effet secondaire n’étant rapporté. Très peu de données existent concernant les antidépresseurs atypiques. 8 études sur le buproprion, incluant 5 nourrissons, rapportaient des effets secondaires chez 2 d’entre eux. La mirtazapine, la réboxétine et la trazodone, dans 5 études incluant au total 72 enfants, ne rapportaient pas d’effets secondaires.
Benzodiazépines et autres sédatifs
22 études sur des séries de cas ou des rapports de cas évaluaient le taux maternel plasmatique et lacté et fournissaient un rapport lait/plasma. Les taux lactés d’alprazolam, de clonazépam, de clotiazépam, de diazépam et d’étizolam étaient plus bas que leurs taux plasmatiques chez la mère. Les taux lactés de lorazépam, de midazolam et d’oxazépam étaient significativement plus bas que leurs taux plasmatiques. Une étude sur le lormétazépam rapportait un taux lacté plus élevé que le taux plasmatique maternel. La grande majorité des benzodiazépines avaient un rapport lait/plasma < 1. Il était > 1 uniquement pour le lormétazépam et le nitrazépam. Parmi les agonistes des récepteurs des benzodiazépines (BZRA), le zolpidem est celui qui a le rapport lait/plasma le plus bas. 17 études ont recherché le taux plasmatique infantile des benzodiazépines ou des BZRA. Toutes faisaient état d’un taux plasmatique bas ou indétectable. La DIR était < 10 % dans les 14 études qui la documentaient.
13 études portant sur un total de 145 nourrissons documentaient les effets secondaires de l’exposition infantile aux benzodiazépines et aux BZRA via l’allaitement. 2 études rapportaient une sédation chez 2 nourrissons exposés à l’alprazolam. Une sédation et une succion faible étaient rapportées chez un seul des 10 enfants exposés au diazépam. Pour les autres benzodiazépines et parmi les 130 enfants exposés, un effet secondaire était rapporté chez 2 enfants.
Recommandations internationales concernant la gestion de la dépression du post-partum
Nombre d’organisations professionnelles dans divers pays ont publié des recommandations sur le sujet. La plupart d’entre elles encouragent l’allaitement et recommandent la psychothérapie comme traitement de première intention en cas de dépression légère ou modérée. Si l’American College of Obstetricians and Gynecologists, le British Columbia Reproductive Mental Health Program et la Dutch Society of Obstetrics and Gynecology recommandent de poursuivre la prise de l’antidépresseur déjà pris avec succès par la mère pendant la grossesse, la Nordic Federation of Societies of Obstetrics and Gynecology conseille de passer si nécessaire à un produit ayant un profil de sécurité plus favorable.
Évaluer les bénéfices et les risques
Une dépression du post-partum non traitée constitue un risque significatif pour le bien-être émotionnel de la mère, sa confiance en elle, et sa capacité à s’occuper de son enfant. Elle peut également avoir un impact négatif sur le comportement émotionnel et le développement cognitif infantile. Traiter la mère est donc nécessaire. En fait, il serait même nécessaire d’évaluer systématiquement le niveau d’anxiété et de dépression chez les mères après la naissance à l’aide d’outils d’évaluation dont la fiabilité a été validée. Cela permettrait de prendre rapidement les mesures nécessaires chez les femmes présentant un score élevé pour l’anxiété ou la dépression. Débuter un traitement chez la mère nécessite toutefois d’évaluer le rapport bénéfices/risques de ce traitement chez l’enfant allaité.
Les antidépresseurs et les anxiolytiques sont excrétés dans le lait par diffusion passive. Le taux lacté dépendra de la voie d’administration, de l’heure d’administration, du taux d’absorption orale, de la demi-vie, du moment du pic plasmatique, de la métabolisation du produit et de son volume de distribution, de son taux plasmatique, et de ses caractéristiques chimiques telles que son poids moléculaire, sa liaison aux protéines plasmatiques, son degré d’ionisation et sa liposolubilité. Pour certaines de ces raisons, le taux du produit pourra être différent dans le lait de début et le lait de fin de tétée (en particulier pour les produits lipophiles, le lait de fin de tétée étant plus riche en lipides). Pour évaluer le niveau d’exposition du bébé allaité, on prendra en compte divers facteurs. Le rapport lait/plasma est un indicateur couramment utilisé. S’il est < 1, le produit passe relativement peu dans le lait. Il semble donc raisonnable de sélectionner un antidépresseur pour qui c’est le cas. Toutefois, le rapport lait/plasma ne reflète pas précisément le niveau d’exposition du nourrisson allaité. Aucune étude n’a en fait jamais évalué les éventuelles relations entre le rapport lait/plasma et le risque potentiel pour le nourrisson.
La DIR, à savoir le pourcentage de la dose maternelle ajustée pour le poids du bébé, est un meilleur indicateur. La grande majorité des organisations estime qu’une DIR < 10 % signifie que le produit est à faible risque. C’est toutefois un pourcentage arbitraire. Certains estiment qu’une DIR < 5 % est plus prudente. Même avec cette dernière, la plupart des antidépresseurs sont compatibles avec l’allaitement : tous les TC, la fluvoxamine, la paroxétine et la sertraline parmi les IRS, ainsi que la duloxétine, la vortioxétine, le bupropion et la trazodone. Concernant les benzodiazépines, la DIR est < 10 % (et bien souvent < 5 %) pour l’alprazolam, le brotizolam, le clonazépam, le clotiazépam, le diazépam, l’étizolam, le flunitrazépam, le lorazépam, le lormétazépam, le nitrazépam, l’oxazépam, le zaléplon, le zolpidem et la zopiclone. Le taux plasmatique infantile est l’indicateur le plus fiable du niveau d’exposition du nourrisson au traitement maternel. Il tient compte d’une éventuelle accumulation du produit dans le lait maternel (ou chez l’enfant) avec le temps, et de la capacité du nourrisson à métaboliser et éliminer le produit. Si la mesure régulière du taux plasmatique infantile du produit pris par la mère allaitante n’est pas recommandée, elle peut être utile si l’enfant présente des manifestations cliniques susceptibles d’être induites par ce produit. Toutefois, le dosage du médicament n’est généralement possible que par un laboratoire de recherche. En effet, le taux doit être mesuré par chromatographie de haute performance en phase liquide ou gazeuse couplée à la spectrométrie de masse. Les autres techniques de mesure sont beaucoup moins précises.
Le taux plasmatique infantile est la mesure la plus fiable du niveau d’exposition du bébé allaité. Parmi les antidépresseurs, la paroxétine, la fluvoxamine, la duloxétine, l’escitalopram et la sertraline étaient le plus souvent indétectables dans le plasma infantile. Le citalopram a été mesuré chez quelques nourrissons, et son taux plasmatique était habituellement bas. La fluoxétine est plus susceptible d’avoir un taux plasmatique infantile significatif. Les produits excrétés dans le lait maternel à un taux indétectable ou très bas sont très peu susceptibles de présenter un risque quelconque pour le bébé allaité. Les études prises en compte dans cette analyse documentaient peu d’effets secondaires : de tels effets étaient rapportés chez globalement 3,2 % des nourrissons exposés aux antidépresseurs et chez 5,7 % de ceux exposés aux benzodiazépines. De plus, ces effets secondaires étaient légers (sauf éventuellement pour le bupropion). Par ailleurs, les études présentant des cas isolés d’effets secondaires peuvent être difficiles à interpréter sur le plan de la responsabilité réelle du traitement maternel dans les problèmes constatés chez l’enfant allaité.
Les mères qui présentent une dépression du post-partum ont un risque significativement plus élevé de sevrage précoce, et de nombreuses études ont constaté la corrélation entre les pratiques d’allaitement et le niveau maternel de dépression et d’anxiété. Comme dit plus haut, la dépression a un impact négatif sur la santé maternelle, mais également sur la santé et le développement infantiles. Si la dépression induit un sevrage précoce, cela augmentera chez l’enfant le risque de diverses pathologies à court et à long terme, mais également de certaines pathologies à long terme chez la mère (problèmes cardiovasculaires, cancer du sein ou des ovaires, diabète de type 2…). D’un autre côté, il n’existe guère de données sur l’impact à long terme éventuel de l’exposition aux antidépresseurs via le lait maternel. Si les études documentant l’impact chez l’enfant n’ont, dans la très grande majorité des cas, rapporté aucun impact visible sur le développement des enfants, ces derniers ont rarement été suivis plus longtemps
Psychothérapie
Elle est efficace pour le traitement de la dépression du post-partum, que ce soit en groupe ou de façon individuelle. Elle est à privilégier chez les mères présentant une dépression légère à modérée. Elle ne sera pas toujours possible, par exemple pour les femmes vivant en zone rurale en raison de l’absence de thérapeute à proximité, de son coût élevé pour certaines familles, ou en raison d’un contexte socioculturel peu favorable. Certaines femmes présentant une dépression légère à modérée se retrouveront donc sans aucun traitement. Pourtant, en l’absence de psychothérapie, les antidépresseurs seraient utiles chez ces femmes.
Tétées nocturnes
Les tétées nocturnes sont importantes pour la réussite de l’allaitement. La sécrétion de prolactine est la plus élevée la nuit et le matin, et c’est aussi le cas de la production lactée. Le lait sécrété la nuit a un taux plus élevé de tryptophane (un acide aminé important) et de mélatonine. Les tétées fréquentes, y compris la nuit, optimisent la production lactée. Toutefois, les perturbations du sommeil nocturne peuvent favoriser une dépression chez la mère. Il est donc important que les mères qui ont un problème de santé mentale puissent se reposer suffisamment, y compris la nuit, et le médecin qui suit une telle mère pourra discuter avec la famille de l’importance d’une durée de sommeil ininterrompu de 7 à 8 heures pour la santé mentale maternelle. Éventuellement, la mère pourra être encouragée à tirer son lait pendant la journée pour qu’une autre personne puisse le donner à son bébé pendant la nuit.
En conclusion
La principale limitation de cette analyse est que nombre d’antidépresseurs et d’anxiolytiques ont fait l’objet de peu d’études (voire d’aucune étude pour certains produits). Le professionnel de santé vu par une mère présentant une dépression devra discuter avec elle des données disponibles afin de lui permettre de faire un choix informé. Ces données devraient concerner les risques d’une dépression non traitée, les bénéfices de l’allaitement pour l’enfant et la mère, les risques potentiels et les bénéfices pour l’enfant du traitement maternel. Un suivi régulier sera proposé à la mère et à son enfant. On pourra toutefois habituellement rassurer la mère en lui disant que, dans la grande majorité des cas, la poursuite de l’allaitement est recommandée. La prise maternelle d’un antidépresseur ou d’un anxiolytique induit rarement des problèmes chez le nourrisson et, lorsque cela arrive, le problème disparaît généralement rapidement et sans séquelles. Il est dommage qu’une mère choisisse de sevrer son bébé alors que le médicament qu’on lui prescrit est compatible avec l’allaitement. Il est toutefois clair que davantage d’études sont nécessaires sur l’impact de ces produits pris par une mère allaitante chez l’enfant allaité, avec un suivi à plus long terme des enfants, en particulier sur le plan neurodéveloppemental.







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