Ces médecins, quasiment tous américains, ont choisi pour la majorité d’entre eux de ne pas respecter les recommandations de l’AAP
Publié dans le n° 209 des Dossiers de l'allaitement, décembre 2024.
D'après : Bedsharing among breastfeeding physicians : results of a nationwide survey. Louis-Jacques AF et al. PloS One 2024 ; 19(8) : e0305625.
Le sommeil du nourrisson dans le lit parental est corrélé à un taux plus élevé et à une durée plus longue d’allaitement exclusif. Par ailleurs, cette pratique peut être considérée comme la norme physiologique pour l’espèce humaine en raison des caractéristiques du petit humain et de ses besoins. Toutefois, l’Académie Américaine de Pédiatrie (AAP) déconseille aux parents de prendre leur bébé dans leur lit, car cela augmenterait le risque de mort infantile, même s’il existe peu de preuves d’un tel impact en l’absence d’autres facteurs de risque de décès infantile. Environ 61 % des mères américaines prennent leur bébé dans leur lit, qu’elles allaitent ou non et en dépit des recommandations contre cette pratique. En 2016, les services de santé espagnols ont conclu que les données existantes ne permettaient pas de déconseiller le sommeil du bébé dans le lit parental. La Grande-Bretagne a également cessé de déconseiller cette pratique en 2019, sauf en cas d’autres facteurs de risque. La Norvège a choisi d’informer sur les bonnes pratiques concernant le partage du lit parental, ainsi que l’Australie. C’est également ce qui est conseillé par l'Academy of Breastfeeding Medicine. Les médecins sont censés avoir de bonnes connaissances sur les bénéfices de l’allaitement. Leurs horaires de travail peuvent rendre l’allaitement difficile et induire une introduction rapide de suppléments. Par ailleurs, ils sont également censés informer les parents sur l’allaitement et les bonnes pratiques de sommeil infantile. S’ils prennent leur bébé dans leur lit, leurs pratiques personnelles pourront ne pas être conformes à ce qu’ils sont censés dire aux parents. L’objectif de cette étude était de déterminer la prévalence du partage du lit familial chez des médecins, les raisons de ce partage ou du choix de ne pas le pratiquer, et les relations entre le partage du lit familial et la durée de l’allaitement.
Un questionnaire a été rédigé et mis en ligne, et son existence a été portée à la connaissance des médecins via des médias sociaux et des forums spécialisés dédiés aux médecins, afin de collecter des données sur leurs pratiques de sommeil et d’allaitement d’un enfant (un singleton) né pendant une période de travail intense. On leur a entre autres demandé s’ils avaient pris leur bébé dans leur lit (régulièrement, de temps à autres ou jamais), et ce entre 0-3, 4-6 et 7-12 mois. Ils ont fourni des données sur l’allaitement, incluant l’allaitement exclusif, et si leurs objectifs en la matière avaient été atteints. Les répondants ont fourni des données démographiques, socioéconomiques, médicales, sur leur formation professionnelle, si leur enfant était né avant ou après 2005 (année de publication de la recommandation de l’AAP contre le partage du lit parental), et si le médecin qui suivait leur enfant savait qu’il dormait dans leur lit.
806 personnes ont répondu au questionnaire et 546 ont répondu aux questions sur le partage du lit parental. 83 % étaient d’origine caucasienne, 9 % d’origine asiatique et 4 % d’origine africaine. 99 % ont allaité, 98 % étaient mariées ou vivaient en couple. 2 % étaient étudiantes en médecine, 45 % étaient pédiatres, 18 % étaient gynécologues obstétriciens et 16 % étaient généralistes. 10 % avaient accouché avant 2005. 1,8 % résidaient hors des États-Unis. La durée moyenne d’allaitement était de 17 mois. Lorsque l’enfant était né après 2005, 34 % des répondants n’ont jamais pris leur bébé dans leur lit contre 17 % des parents dont l’enfant était né avant 2005. Globalement, 68 % des répondants ont dit avoir pris leur bébé dans leur lit, et parmi eux 52 % ont répondu qu’ils ne l’avaient pas dit au médecin qui suivait leur bébé. La prévalence du sommeil dans le lit parental baissait avec l’âge de l’enfant, mais 49,1 % l’ont fait jusqu’à 12 mois. Le partage ou non du lit parental n’était pas corrélé au fait que la mère avait atteint ses objectifs en matière d’allaitement. Toutefois, la durée de l’allaitement était de 18,08 mois en cas de partage du lit parental versus 14,08 mois en l’absence de partage du lit parental. Après correction pour les autres variables, les enfants qui dormaient dans le lit parental avaient été allaités pendant 3 mois de plus que ceux qui ne l’avaient jamais été. La principale raison donnée pour ce faire était que cela facilitait l’allaitement (73 %). Venaient ensuite le fait que le bébé et/ou les parents dormaient mieux (59 %), que cela leur permettait de réconforter leur bébé (45 %), favorisait un lien étroit avec leur bébé (28 %). 92 % de ceux qui n’avaient pas pris leur bébé dans leur lit donnaient pour raison des craintes pour la sécurité du bébé, et 22 % disaient que cela leur avait été déconseillé par un professionnel de santé.
Les points forts de cette étude sont le nombre relativement important de personnes ayant participé et le taux très élevé d’allaitement, ce qui permettait d’analyser les relations entre le partage du lit parental et l’allaitement. Un point faible est qu’elle a sélectionné des médecins qui vivaient une période particulièrement fatigante de leur carrière, et certaines mères ont pu choisir de prendre leur bébé dans leur lit parce qu’elles n’avaient pas le temps de s’en occuper pendant la journée. Cette étude permet de constater que ces médecins, quasiment tous américains, ont choisi pour la majorité d’entre eux de ne pas respecter les recommandations de l’AAP. Il est difficile de savoir dans quelle mesure ils ne les ont pas respectées parce qu’elles n’étaient pas applicables dans leur vie, s’ils ne souhaitaient pas les respecter, s’ils estimaient qu’elles ne correspondaient pas à leur situation, ou s’ils pensaient qu’il était utile de prendre leur bébé dans leur lit même si cela lui faisait courir un risque. Plus de 50 % de ces personnes estimaient que le sommeil de leur bébé dans le lit parental pouvait être mis en œuvre dans de bonnes conditions de sécurité. En effet, la plupart des facteurs de risque de décès lié à cette pratique sont modifiables. On ignore dans quelle mesure les personnes qui n’ont pas pris leur bébé dans leur lit présentaient des facteurs de risque. À noter que la moitié d’entre elles n’ont pas dit qu’elles prenaient leur bébé dans leur lit au médecin qui suivait leur enfant. Il serait intéressant de mener des études sur les pratiques de sommeil infantile chez les professionnels de santé qui n’allaitent pas.







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