Une mère et son bébé âgé de 3 mois se sont présentés au Centre international d'allaitement maternel de Toronto en raison de l’apparition tardive d'une douleur aux mamelons. J’ai remarqué que le bébé présentait un frein de langue qui n’avait pas été diagnostiqué, ce qui était l'une des raisons pour lesquelles le bébé ne prenait pas bien le sein. L’apparition tardive de douleurs aux mamelons est habituellement due à une diminution récente de la lactation.
Il y avait plusieurs raisons expliquant pourquoi cette mère aurait pu avoir une diminution de sa production lactée.
La mère avait été diagnostiquée immédiatement après la naissance comme ayant une “hypoplasie mammaire” en se fondant uniquement sur l’apparence de ses seins (voir photo 1). Sur la base de ce diagnostic, le bébé a reçu dès sa toute première tétée un complément de lait artificiel donné à l’aide d’un dispositif d’aide à la lactation au sein (DAL).
Photo 1 :
Cette mère a été diagnostiquée comme ayant une hypoplasie
simplement sur la base de l’apparence de ses seins.
Malgré ce diagnostic erroné, elle a allaité exclusivement son bébé à partir de 6 semaines.
Le diagnostic d’une hypoplasie mammaire ne devrait pas être fait uniquement sur l’apparence des seins.
Photo 2 :
Cette mère, différente de celle de la photo 1,
a été diagnostiquée comme ayant une hypoplasie mammaire,
en partie à cause de la forme et de la taille de ses seins.
En dépit de ce diagnostic, elle a pu, avec de l’aide, allaiter exclusivement.
Le bébé a été nourri au biberon pendant ses six premières semaines de vie. L’utilisation de bouts de seins a débuté lorsque le bébé avait 2 semaines et a duré 20 jours.
Lorsque nous avons vu le bébé alors âgé de 3 mois, la mère avait réussi toute seule à arrêter l’utilisation des biberons (à l'exception d'un ou deux petits biberons de lait exprimé par semaine) et des bouts de sein. Donc, lorsqu’elle et son bébé se sont présentés à notre consultation, ce dernier était exclusivement allaité, et ce, depuis 6 semaines. Il prenait correctement du poids et buvait bien au sein en dépit du “diagnostic” initial d’hypoplasie mammaire.
Nous avons libéré le frein de langue, qui n’était qu’une des causes de l’apparition tardive de douleurs aux mamelons chez la mère.
L’hypoplasie mammaire est un diagnostic qui devrait être évité, pour plusieurs raisons :
- 1. C’est un "diagnostic" qui dit essentiellement à la mère qu’il n’y a aucun espoir qu’elle allaite un jour exclusivement.
- 2. Comme le montre ce cas clinique, personne ne peut observer les seins et les mamelons d’une mère et, sur cette seule base, prédire sa capacité à allaiter exclusivement. Nous connaissons d'autres cas où le diagnostic d'hypoplasie mammaire a été posé et où la mère a pu allaiter exclusivement.
- 3. Comme dans le cas décrit ci-dessus, le bébé a reçu un complément immédiatement après la naissance, en se basant simplement sur l’apparence des mamelons et des seins de la mère alors qu’elle a pu allaiter ensuite exclusivement. Partant de là, pourquoi n’aurait-elle pas pu allaiter exclusivement dès la naissance ?
- 4. En raison de ce diagnostic incorrect, de nombreuses interventions ont été imposées à cette dyade mère-bébé, qui ont abouti à une supplémentation inutile et à l’utilisation de bouts de seins ; mais en dépit de ces interventions inutiles, la mère a finalement réussi à allaiter au sein exclusivement.
- 5. Plutôt que de regarder la taille et la forme des seins, les professionnels de santé devraient observer le bébé au sein.
- 6. Les jeunes mères sont programmées pour l’échec lorsqu’on leur annonce un tel diagnostic. Elles peuvent décider que l’allaitement ne va pas marcher et ne pas chercher à obtenir de l’aide.
Voici notre approche lorsque le bébé n’obtient peut-être pas suffisamment de lait du sein :
- 1. Obtenir la meilleure prise de sein possible. Un bébé avec un frein de langue, par définition, n’a pas une bonne prise de sein.
- 2. Savoir reconnaître que le bébé obtient ou non du lait : cliquez sur ces liens Tétée très efficace (avec texte anglais), Bébé de 12 jours tétouillant (avec texte anglais), Efficacité “limite” pour voir des clips vidéos montrant des bébés buvant bien au sein ou pas. Regardez ces vidéos, lisez le texte et regardez encore les vidéos.
- 3. Utiliser la compression du sein pour augmenter la quantité de lait ingérée par le bébé. Faire la compression du sein, c’est comme tirer son lait, sauf qu’au lieu de tirer dans un récipient, on tire directement dans la bouche du bébé. Tirer son lait est une activité difficile et souvent décourageante pour la mère si elle n’obtient que de petites quantités.
- 4. Quand le bébé s’endort au sein et ne boit plus, changer de sein et reprendre au point 1.
- 5. Quand le bébé ne boit plus sur le second sein, il peut être nécessaire de donner un complément ; il devrait être donné avec un dispositif d’aide à la lactation au sein (DAL). Pour que le dispositif fonctionne, le bébé doit avoir une bonne prise de sein, et le tube doit être placé correctement. Même si l’on a besoin de donner un complément, si l’on utilise ce dispositif, on est toujours en train d’allaiter.
- 6. La dompéridone peut augmenter la lactation. Lire attentivement Dompéridone. On débute avec une dose de 30 mg (3 comprimés) trois fois par jour et souvent, on augmente à partir de cette dose. (Ndlr : la dompéridone a un effet galactogène rapporté mais n'a pas d'AMM en France pour cette indication)
- 7. Le biberon est un problème. Même si l’on doit donner des compléments, il est préférable de les donner avec un DAL. L’allaitement ne se résume pas au lait maternel. Garder le bébé au sein aide aussi à augmenter la lactation, même si celui-ci reçoit des compléments.
Copyright: Dr Jack Newman, MD, FRCPC, Andrea Polokova, 2019
Traduit de l’article Insufficient breast tissue : a false diagnosis ? par Vanessa Lasne, animatrice LLL France, mai 2019
"L’hypoplasie mammaire est un diagnostic qui devrait être évité, pour plusieurs raisons" : cette anomalie existe réellement et des études scientifiques l'ont prouvé. Donc si celle-ci est diagnostiquée (par un professionnel compétent), non, on ne peut pas l'éviter, et encore moins ne pas le dire à la mère. Je suis concernée par une insuffisance des tissus glandulaires, et j'ai vécu un allaitement très difficile lors de la naissance de ma fille il y a 4 mois. J'ai été accompagnée à la maternité car ma fille refusait le sein au bout de deux jours de vie, puis j'ai consulté trois conseillères en lactation IBCLC en 1 mois et demi, avant de comprendre que quelque chose d'anormal empêchait un allaitement normal. En réalité, au bout d'un certain moment, j'avais saisi que quelque chose n'était pas normal dans mon allaitement, mais je culpabilisais énormément car on m'avait dit que l'insuffisance de lait était un mythe.... Avant que l'on me parle d'ITG, j'ai tout mis en oeuvre pour allaiter ma fille : tirage toutes les deux heures (même la nuit...) tel un protocole "bébé prématuré", complément de lait donné au DAL au sein (c'est périlleux surtout lorsque le papa reprend le travail !!), DAL au doigt et à la seringue, bouts de sein, consultations en lactation payantes, remise au sein au bout de trois semaines (position adaptée trouvée grâce à une conseillère), et malgré tout j'obtenais 140 à 200 ml (dans les très bons jours) de lait /24h. Certes, le tire-lait ne stimule pas autant que la succion du bébé. Malgré cela, ma quantité de lait était anormalement faible en regard de la fréquence des tirages, et ne couvrait pas les apports nécessaires à mon bébé (elle n'a d'ailleurs pas pris suffisamment de poids les deux premiers mois). Mon projet initial étant d'allaiter exclusivement, cette situation m'a déprimée, m'a faite culpabilisée, et m'a épuisée. Le fait de comprendre pourquoi je n'ai pas pu allaiter exclusivement m'a soulagée, et ne m'a aucunement découragé de continuer à allaiter autant que possible. Une conseillère en lactation a pris le temps de m'écouter, de comprendre, et d'éliminer les autres causes de cette faible lactation (problème de succion, position lors de la tétée, rétention placentaire, problème hormonal...). En me renseignant de mon côté (merci La Leche League International, et autres sources), je me suis totalement reconnue dans les caractéristiques des insuffisances de tissus glandulaires , je dirai même que "je coche toutes les cases" (morphologie des seins, pas de modification de la poitrine durant ma grossesse, pas de montée de lait, etc). Lorsque ce problème est avéré, le fait de ne pas le dire est une faute professionnelle et je pense qu'une mère qui souhaite vraiment allaiter son enfant fera son possible pour donner tout le lait maternel disponible. Si on est confrontée à une anomalie, une mère le sait/le sent au fond d'elle et fera tout pour comprendre (voilà pourquoi j'ai demandé un autre avis). On n'imaginerait pas un médecin cacher un diagnostic d'un cancer à son patient de peur de le décourager de vivre ou de se battre...
Tout à fait d’accord avec le commentaire de Marcelle. Au contraire de ce que propose l’article, je pense qu’il faut absolument dire aux femmes qui souffrent d’hypoplasie mammaire que c’est le cas, idéalement avant la grossesse , pour qu’elles puissent sortir des images d’Epinal de l’allaitement idéal, et se préparer à l’idée que, pour elles, allaiter se fera à l’aide d’un complément alimentaire. À ce moment-là, tout est plus clair et on ne tombe pas des nues, on se fait à l’idée et on se projette mieux.
Cet acharnement à l’allaitement maternel exclusif conduit des femmes à l’épuisement, la culpabilisation et la dépression alors qu’il y a un véritable problème physique. Il faudrait que les mères soient mieux informées et ne se tuent pas à vouloir l’impossible
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