Extrait du numéro 75 d'Allaiter aujourd'hui (avril-mai-juin 2008)
Je suis la maman de trois enfants. J’ai allaité mon aînée pendant vingt-trois mois, elle s’est sevrée d’elle-même pendant ma grossesse gémellaire.
J’ai accouché par voie basse de mes enfants, malgré leur position en siège-tête, dans une ambiance assez stressante due à l’angoisse de l’équipe médicale devant cette situation peu commune.
La sage-femme libérale qui m’a suivie tout au long de la grossesse m’a mise en contact avec une animatrice LLL qui avait elle aussi des jumeaux. C’est comme cela que j’ai rencontré LLL.
Accueillir deux bébés ne m’a pas paru naturel. Après un accouchement, prendre un enfant, le mettre au sein, le découvrir, puis le donner à son père, prendre l’autre, l’installer au sein aussi…, ce fut délicat pour moi. Car allaiter l’un quand on sait l’autre loin, dans une autre pièce, en train de subir des gestes médicaux même classiques, l’entendre pleurer… Quelle difficulté d’accueillir le premier, d’être dans une bulle avec lui, de se concentrer sur son regard, sur sa toute première tétée !
Elisèle et Solal sont nés à 38+5, et pesaient respectivement 2,4 kg et 2,2 kg. Solal, le plus faible, avait des difficultés à « finir » son sein et ne prenait que le premier lait. Au bout de dix jours, je trouvais que sa soeur pesait de plus en plus lourd tandis que lui, comparativement, restait léger. Ses selles étaient vertes. Je l’ai pesé et il n’avait pris que le minimum attendu. J’ai alors pensé à « utiliser » sa soeur pour amorcer la tétée, puisqu’elle était plus vigoureuse : elle tétait le premier lait sur le sein de son frère qui, du coup, arrivait plus vite au lait de fin de tétée. En quinze jours, il s’était mis à grossir.
Ce qui est étrange, c’est d’avoir deux nourrissons qui tètent, chacun à sa manière. Tous les enfants tètent différemment, leur rythme, leur façon de prendre le sein. Se concentrer sur le rythme de chacun, repérer les déglutitions, faire en sorte que l’un ne s’étouffe pas, que l’autre aille jusqu’au lait gras… Au début, ce recueil d’informations, à peine conscient il me semble pour la maman qui allaite un seul bébé, était une vraie gymnastique du cerveau pour moi.
Les trois premiers mois de vie avec Solal et Elisèle ont été rythmés par les tétées. J’ai fait le calcul a posteriori que je passais presque dix heures par jour à allaiter !
J’avoue que si je n’avais pas été profondément convaincue que mon lait était ce qu’il y avait de mieux pour eux, j’aurais été tentée d’arrêter, ne serait-ce que pour passer le relais au papa de temps en temps la nuit.
Les nuits… Trois heures maximum entre le début de deux tétées, soit au mieux deux heures de sommeil sans interruption. Un bébé de chaque côté dans notre grand lit, j’allaitais simultanément la plupart du temps.
Je n’ai qu’un souvenir très vague des trois premiers mois de vie de mes enfants. Même si je sortais souvent rendre visite à des amis (question de survie quand on habite loin de la famille, en pleine campagne), suscitant l’étonnement d’allaiter deux enfants sans jamais un biberon même de mon lait, m’organiser restait compliqué.
Vers 4 mois, j’ai senti une amélioration : des tétées plus régulières, je pouvais donc prendre un tout petit peu de temps pour moi, ce qui s’est résumé en fait à être douchée avant midi !
Je les ai allaités exclusivement pendant six mois. Ils étaient très curieux de la nourriture, surtout mon garçon Solal, qui, à la veille de ses 6 mois, a roulé sur lui-même sur une couverture pour attraper un croissant et l’a goûté !
Chacun a rapidement tété toujours le même sein. Aujourd’hui, ils ont 2 ans et savent nommer le sein qui est le leur. Pas question pour Solal de téter le sein d’Elisèle, qui elle au contraire semble vouloir s’approprier celui de son frère.
Les tétées en binôme sont devenues guerrières : les quelques minutes qui précèdent la montée de lait sont le théâtre d’une guerre sans merci, où l’un tire les cheveux de l’autre, tandis que l’autre tire sur le sein qui sort alors de la bouche, puis viennent les coups de pieds, les doigts dans les yeux…
Mais allaiter l’un après l’autre sereinement oblige à la discrétion, car si j’offre le sein à Solal, Elisèle arrive et veut téter aussi. Alors deux possibilités s’offrent à moi : soit la guerre des nénés, soit une enfant en pleurs contre moi, qui cherche à grimper sur mes genoux en disant « néné » sur le ton le plus triste que je connaisse, et en essayant malgré tout d’attraper une poignée de cheveux de l’heueux élu, qui lui me dévore des yeux, et fait durer la tétée avec un plaisir évident !
Allaiter deux enfants suscite beaucoup d’étonnement, qui s’amplifie avec l’âge des bambins. Si ma famille et mes amis, pour certains résignés, ne me posent plus la question, lorsque j’évoque ce sujet avec d’autres personnes moins proches, je sens l’interrogation en eux. Comment peut-on avoir encore du lait, et en plus pour deux enfants ?
Je suis heureuse de cet allaitement en duo, c’est une expérience très positive qu’il m’a été donné de vivre sereinement, grâce à l’allaitement idyllique de ma première fille. Elle m’a donné confiance en moi : puisque ça avait si bien fonctionné pour un, pourquoi serait-ce plus compliqué pour deux bébés ?
Marion (73)
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