Paru dans Allaiter aujourd'hui n° 114, janvier 2018.
Pourquoi la différence fait-elle si peur ?
Parce qu’elle n’est pas familière ?
Pourquoi est-elle si complexe à appréhender pour certains, notamment dans le monde médical ?
Maman de 35 ans, je suis touchée par une maladie neuromusculaire orpheline. Née avec, je vis avec, j’ai surtout appris à m’adapter et à croquer la vie. Vouloir marcher, vouloir être heureuse, vouloir aimer et être aimée, vouloir porter et mettre au monde nos enfants chéris de 8 et 3 ans aujourd’hui.
Ce projet d’un premier enfant avec mon mari, nous l’avions depuis le début ou presque. En consultation génétique, j’entends dire que « si, à l’échographie du cinquième mois, le bébé porte la maladie, vous pouvez, Madame, avorter et en refaire un autre ». Des paroles blessantes, que je ne voulais pas entendre. Le handicap fait partie de ma vie depuis toujours : soins quotidiens, périodes en fauteuil roulant, interventions chirurgicales multiples, mais aussi et surtout, cette volonté d’être heureuse, de savourer les petits bonheurs de tous les jours.
Nous nous mettons en route, mon mari et moi, pour cette aventure de « naître » parents à notre tour. Créativité, adaptations multiples dans la maison pour accueillir notre fille dans la plus grande autonomie possible au quotidien.
On me parle d’une césarienne, car mon bassin trop petit ne pourrait pas permettre à bébé de descendre. Me voici le jour du rendez-vous avec l’anesthésiste pour la rachianesthésie, trois semaines avant la césarienne programmée. Elle me dit que le geste peut être compliqué, qu’il y a un risque de perte de la marche, mais qu’elle peut y arriver, que l’on est dans un grand centre hospitalier axé sur la recherche et qu’il serait intéressant que mon « cas » puisse servir...
NON. La naissance de notre fille ne sera pas une « situation cobaye » (j’ai déjà donné). NON, je ne prendrai pas le risque de perdre la marche, elle m’est si précieuse !
Une anesthésie générale est donc programmée.
La veille du jour J, en fauteuil roulant, nous arrivons à la maternité pour cette nouvelle aventure. On demande à mon mari d’attendre dans un « cagibi » ou micro-couloir, entre un porte-manteau et une poubelle en guise de chaise, le temps de la césarienne, le temps de la naissance de notre fille.
Une nouvelle anesthésiste (car il était hors de question que la première « m’endorme ») me propose, avant de m’endormir, de chanter pour ma fille et de lui dire quelques mots. Je chuchote « à tout de suite, mon bébé d’amour », je chante l’Ave Maria de Gounod, mes yeux se ferment.
Une puéricultrice vient chercher mon mari pour lui présenter notre fille et lui proposer de la porter en peau à peau. Je suis heureuse qu’il ait pu partager ce moment précieux.
En salle de réveil, mon bébé est dans les bras de mon mari, emmitouflé dans une couverture, un petit bonnet trop grand sur la tête. Mon mari me rassure et me dit qu’elle va bien, je demande à la prendre contre moi. C’est la première rencontre avec ma fille, des larmes de joie, de soulagement, d’émerveillement.
De retour dans la chambre, nous découvrons notre enfant avec beaucoup de tendresse. Je sens aussi un vide dans mon ventre, comme si j’attendais encore de sentir ces petits mouvements du bébé qui bougeait en moi, depuis plusieurs mois, mais plus rien.
Il n’y a plus que ma respiration, je me sens presque seule. Une sensation bizarre, l’impression d’un trou de mémoire, et je réalise que ma fille est née.
Le peau à peau et l’allaitement vont me permettre de créer la relation avec notre fille et de vivre le deuil d’une naissance par voie basse. Je retrouve petit à petit la marche sur mes jambes. Fière de porter notre fille dans les bras.
L’obstétricien m’avait parlé d’une chambre accessible aux personnes à mobilité réduite. Une grande chambre où les cabrioles en fauteuil seraient possibles. Hélas, il n’y avait que la taille de la chambre (bac de douche avec une marche, pas de poignet pour se tenir ni de chaise de douche...). Allongée après la césarienne, impossible pour moi d’attraper mon bébé dans son berceau ! Heureusement, nous avions organisé des congés pour que mon mari puisse être présent au maximum. J’entends encore l’obstétricien me répondre que nous ne sommes pas assez nombreuses en situation de handicap moteur pour financer l’adaptation d’une chambre équipée en maternité ! C’était en 2008.
Le lendemain de la naissance, lors d’un aller-retour à la maison de mon mari, une puéricultrice voit mon fauteuil roulant dans la chambre et me demande à qui il est. Étonnée de sa question, je lui réponds que c’est le mien. Elle me dit alors : « Vous venez d’accoucher et vous êtes en fauteuil roulant ? », avec un air très étonné, comme si cette situation était impossible...
Je pleure, je me sens seule, allongée et douloureuse, je ne peux pas attraper ma fille dans son berceau. J’ai peur, l’angoisse m’envahit, et je suis en colère. La pédiatre passe quelques minutes après ce moment douloureux où j’ai réussi à douter de ma capacité à élever mon bébé. Remplie de larmes et d’angoisse, je lui confie ce que je viens de vivre et d’entendre.
Impossible pour moi de laisser passer cette violence verbale. J’ai droit à des excuses en présence de l’infirmière en chef ; le lendemain, j’apprends par cette pédiatre que la puéricultrice recevra un blame, car ce n’est malheureusement pas la première fois qu’elle manque de respect envers une patiente.
Le lendemain de la naissance, la montée de lait est bien là, mes seins sont même plus gros que la tête de mon bébé. Ma petite chérie de 2,7 kg n’arrive pas à téter, trop fatiguée et certainement touchée par les produits de l’anesthésie. Elle dort, elle dort, elle dort.
Plusieurs puéricultrices me conseillent d’abandonner l’allaitement, car avec mon handicap, ça risque d’être compliqué... Je ne vois pas en quoi, bien au contraire : pas de biberons à laver, pas de temps d’attente à côté du chauffe-biberon, des sacs plus légers à transporter, et des câlins à volonté...
Je résiste à la pression. C’était un de mes plus grands désirs que de nourrir mon bébé, et mon mari me soutenait entièrement dans ce choix. Je tire mon lait, mon mari lui donne à la seringue, ma petite crevette descend à 2,4 kg, je continue le tire-lait en la mettant d’abord au sein à chaque tétée pour qu’elle sente mon odeur en peau à peau au maximum. Je ressens aussi un besoin très fort de la sentir contre ma peau, même de la renifler, elle sent si bon et son odeur me fait du bien.
C’est à J5 que la pédiatre nous laisse rentrer à la maison en demandant la pesée quotidienne et le passage d’une puéricultrice à domicile.
Je trouve un positionnement qui me convient et ne me fait pas mal aux articulations. Je ne connaissais pas LLL à l’époque, juste une amie qui avait allaité ses quatre enfants plusieurs années et qui m’avait conseillé le « ventre contre ventre ».
Notre petite dort à côté de nous dans son berceau, mon mari se lève pour me la donner dans les bras. Il trouve très vite sa place pour la changer, la porter, lui donner son bain et me la donner aussi dans l’eau, des petits moments de bonheur, tétées et câlinou dans l’eau, on adore.
J’essaye une téterelle en silicone qui l’aide à téter, nous n’en avons plus besoin au bout de trois semaines. Ma fille rattrape les courbes.
J’ai tiré mon lait au travail jusqu’à ses 17 mois, et nous avons poursuivi l’allaitement jusqu’à ses 2 ans et 4 mois, avec bonheur et fierté.
Nous avons fait tout autrement pour l’arrivée de notre second enfant en 2014 : projet de naissance, changement de maternité, choix de l’obstétricien, visite de la chambre « réellement adaptée », choix du sommeil partagé et réorganisation fonctionnelle dans la maison.
Mon second a 3 ans et est toujours allaité.
Aujourd’hui, je souris encore au souvenir du regard des gens, observant du coin de l’œil, l’air un peu gêné quand même, la maman parfois sur roulettes ou marchant avec une canne, bah oui une maman en fauteuil roulant allaitant son petit. C’est peu fréquent, malheureusement.
Une revanche sur la vie, la volonté de se faire confiance et d’y arriver.
Merci LLL, merci à Emmeline d’avoir pris ses crayons pour cette illustration de « Maman Roulette », merci à toutes les mamans qui témoignent de leur vie, de leur quotidien, pour permettre à chacune d’avancer à son rythme, sur pieds ou sur roulettes !
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