En novembre 2017, une petite fille est venue bouleverser nos vies. Après un mois d'hospitalisation pour rupture de la poche des eaux et hémorragies diverses, j'ai mis au monde mon quatrième enfant, à 6 mois de grossesse (28sa). Lison, 1 kg, 35 cm.
Au lieu de la tétée d'accueil, j'ai eu droit à quelques infimes secondes d'un bébé minuscule et bleu contre moi.
Lison a ensuite été emmenée par les équipes de réanimation néonatale et rapidement intubée.
Elle est née infectée par les germes qui ont déclenché l'accouchement. À 4 jours de vie, elle a sur-infecté et fait une septicémie. Pendant 10 jours, son état était critique et la question de l'alimentation ne se posait même pas.
J'ai donc découvert la relation lactée avec mon tire-lait ! J'ai découvert la difficulté de mettre une lactation en route artificiellement.... sans bébé, sans joie, juste avec le stress que son bébé ne survive pas, que le lait ne vienne pas.
J'ai mis mon réveil toutes les 3 heures, jour et nuit. J'ai savouré chaque peau à peau, chaque câlin, avec ma fille. Et j'ai attendu. J'ai attendu qu'elle puisse manger, pas téter, juste manger en recevant mon lait par la sonde nasogastrique.
Un matin le médecin a dit que son ventre était mieux, que l'infection était maîtrisée, et on a pu commencer à l'alimenter. 1 ml par heure, puis 2, puis 3... Mais ça ne marchait pas, son ventre devenait dur et elle n'avait pas de transit. Alors on arrêtait, pensant que ce n'était qu'une histoire d'immaturité ou d'intestins feignants.
Il y a eu des radios, des lavements, plusieurs essais à nouveau. Et puis, un soir, elle a fait un énorme malaise et a eu besoin d'un massage cardiaque pour repartir. J'ai cru que c'était fini...
Quelques jours après, Lison est passée au bloc, et on a alors découvert une sténose importante de son intestin. Les suites post-opératoires ont été un peu difficiles, mais après ça, on a enfin pu l'alimenter autrement qu'en perfusion. Son premier caca a été un événement dans tout le service !
Étrangement, je me souviens que lorsque j'étais hospitalisée pour grossesse pathologique, je n'avais pas spécialement peur de la prématurité, j'avais peur de ne pas réussir à allaiter. J'étais terrorisée à l'idée d'être privée de ce lien. L'allaitement, c'était ma façon d'être mère, je ne savais pas faire autrement.
On nous avait tout volé : notre grossesse, notre accouchement et plein d'autres choses encore, mais notre allaitement, personne ne pourrait nous l'enlever. Je crois que l'une comme l'autre, on s'y est accroché de toutes nos forces, envers et contre tout.
Lison a eu de nombreuses intrusions dans la bouche et le nez, la probabilité qu'elle ait des difficultés à téter et des troubles de l'oralité était énorme. Et pourtant, à 32sa, elle savait coordonner succion, déglutition et respiration. Et si les tétées étaient très courtes, très fatigantes et peu nutritives, c'était les rares moments où elle ouvrait grand les yeux et me fixait.
Dès lors que Lison a semblé prendre une petite quantité de lait au sein, les "tétées-pesées" ont été mises en place. Il s'agissait de la peser avant et après chaque tétée. Au début, c'était pour surveiller la quantité prise afin de ne pas surcharger ses intestins encore fragiles, et par la suite, en fonction de la quantité prise, un complément de mon lait lui était donné en sonde nasogastrique.
Au début, Lison faisait une tétée sur deux et entre-temps elle dormait. Si je la réveillais pour téter, la tétée n'était pas efficace. Et la plupart du temps, je n'arrivais même pas à la réveiller.
Et puis un jour, Lison s'est mise à réclamer plus souvent et à réagir aux stimulations. Elle a commencé à bien téter et à prendre la quantité qu'on attendait qu'elle prenne. On s'est alors débarrassé de la sonde. C'était une petite victoire, mais très vite, il y a eu le retour de bâton. Ce n'était plus "que du lait maternel". En effet, en néonat, le lait qui est donné dans la sonde est enrichi.
La courbe de poids est donc devenue moche, et les médecins m'ont dit que mon lait ne suffisait pas. Ça m'a vraiment troublée, et puis je me suis dit que ce n'était pas possible que tout ce que je savais, tout ce que j'avais appris ces dernières années sur l'allaitement, ne s'applique pas dès lors que le bébé était prématuré.
J'ai donc décidé de me faire confiance, de nous faire confiance. J'ai repris les bases de l'allaitement : du peau à peau, des tétées fréquentes, aux signes d'éveil, ne pas regarder sa montre, ne pas compter, être en phase avec son bébé. J'ai campé à l’hôpital, nuit et jour. Je ne quittais plus ma fille que pour rentrer prendre une douche, et j'ai souvent oublié de manger.
J'ai arrêté de la peser sans cesse. À force de me concentrer sur le chiffre de la balance, j'en avais oublié l'essentiel. Je l'ai donc gardée contre moi pour la stimuler et la mettre au sein le plus souvent possible. Et ça a marché, la courbe s'est inversée !
Début février, deux semaines avant son terme théorique, nous sommes enfin rentrées à la maison... avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête concernant le poids. Mais j'étais pleine d'espoir, ce serait forcément plus facile à la maison.
J'ai continué de tirer mon lait plusieurs fois par jour, avant la tétée pour que le débit soit moins important et aussi pour entretenir ma lactation.
Mais Lison avait un très gros reflux. Dès que je la posais, elle pleurait. La nuit, elle ne dormait que sur moi. Elle tétait tout le temps, tirait beaucoup la langue et passait ses journées à vomir. Elle prenait du poids, mais très lentement...
Cela faisait trois semaines qu'on était rentrées lorsqu'elle est tombée malade. Elle s'est mise à tousser de plus en plus et son état s'est vite dégradé. Elle a été hospitalisée de nouveau, et après quelques jours, nous avons appris qu'elle avait une grave infection respiratoire.
Elle a très vite été trop faible pour téter ou alors les quintes de toux la faisait vomir et faire des malaises. Il y a même eu une période où on nous a interdit les tétées, même de réconfort. Les médecins nous ont dit que l'alimentation n'était pas le problème dans l'immédiat, qu'elle était sous perfusion de sucre pour lui assurer un minimum de nutriments et d'hydratation.
Pendant trois semaines, l'état de Lison était inquiétant, les malaises respiratoires étaient impressionnants. J'ai recommencé à tirer intensivement mon lait. Et j'ai presque honte de le dire, mais j'ai jeté des litres et des litres... Je tirais pour entretenir ma lactation, mais je n'avais ni la force ni le temps de nettoyer les téterelles.
Et puis, quand Lison a commencé à aller mieux, on a pu de nouveau la baigner, la mettre au sein, la peser... Et le verdict est tombé : en trois semaines, elle n'avait pas pris un gramme. On lui a alors posé une sonde nasogastrique pour l'alimenter. J'ai négocié qu'ils commencent par donner mon lait avant toute chose. Et évidemment, je me suis remise à faire la vaisselle !
Lison reprenait tranquillement les tétées au sein pour le plaisir et était alimentée par la sonde. Mais nous n'avons pas eu vraiment le temps de faire nos preuves. Au bout de 24 heures, Lison n'avait pas pris de poids, et il a été décidé d'enrichir mon lait et d'introduire deux biberons de lait artificiel hypercalorique.
Par chance, Lison commençait vraiment à récupérer, et elle s'est remise à bien téter, en plus des alimentations qui passaient par la sonde. Ce qui fait qu'elle a pris plus de 100 g en 24 heures... Les médecins ont alors réajusté, peut-être que juste mon lait enrichi pourrait suffire !
Progressivement, Lison a recommencé à téter normalement, la sonde me permettait de m'absenter pour mes grands qui avaient aussi besoin de moi. Ça me rassurait. Tant qu'elle avait la sonde, ils l'alimentaient pendant qu'elle dormait, et on avait pas besoin d'introduire de biberons.
Le problème s'est posé quand Lison a commencé à vouloir vraiment téter, pas juste manger. Et puis un jour, elle a arraché sa sonde, et il a été décidé qu'elle n'était plus nécessaire. J'ai alors dû me résoudre à ce qu'elle boive au biberon, et j'ai essayé d'être la plus présente possible à l’hôpital.
Même si Lison allait de mieux en mieux, elle continuait d'avoir des ralentissements cardiaques importants lorsqu'elle faisait des quintes de toux. À force, on a remarqué que les quintes de toux faisaient suite à des remontées acides. Un traitement a donc été mis en place. En parallèle, on m'a vivement incitée à espacer les tétées pour limiter son reflux. Et il fallait de nouveau lui donner du lait artificiel pour qu'elle prenne plus de poids. Cela me semblait assez paradoxal : moins de tétées, mais plus de poids...
Grâce au soutien de mon mari et aux informations de LLL, j'ai trouvé le courage de persévérer dans cet allaitement. Parce que oui, des fois, j'ai eu envie de tout laisser tomber. De rentrer dormir et pleurer au fond de mon lit pendant qu'ils lui donneraient un grand biberon de lait artificiel. J'ai donc continué d'allaiter à la demande. À la question de savoir quand avait eu lieu la dernière tétée, je répondais que ça faisait 2/3 heures. Et je vidais certains biberons de lait artificiel dans le lavabo...
Fin avril, après deux mois d'hospitalisation, on a enfin pu sortir, un pack de lait artificiel hypercalorique sous le bras et contre la promesse de voir une puéricultrice chaque semaine pour la peser.
Après un régime strict d'éviction, j'ai pu mettre en avant chez Lison plusieurs allergies. Grâce à cela, le reflux a été maîtrisé. Sous contrôle de notre pédiatre, nous avons pu nous débarrasser du traitement anti-reflux, et Lison a arrêté de régurgiter. Elle a passé les premiers mois à la maison en écharpe, au sein, à dormir, à téter et à grossir !
La dernière fois que nous avons vu la PMI, Lison avait pris 400 g en 15 jours, et la puéricultrice s'est demandée si elle ne mangeait pas trop ! Ce jour-là, elle a toutefois admis que sa venue n'était plus nécessaire.
Aujourd'hui, Lison a 2 ans, elle va bien, et la tétée, c'est sacré !
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