VIII.5.2. Tabagisme
Passage lacté de la nicotine
Des métabolites de la nicotine ont été retrouvés en plus grande quantité dans les urines de nourrissons allaités que chez ceux nourris au lait industriel et vivant dans un entourage de fumeurs (247). Schulte-Hobein et al. (248) ont montré que les taux de cotinine urinaire étaient 10 fois plus élevés chez 69 enfants allaités de mère fumeuse (plus de 5 cigarettes par jour durant la grossesse et après l’accouchement) comparés aux 69 nourrissons de mères fumeuses mais nourris au substitut de lait (p < 0,0001). Les taux de cotinine urinaire des enfants de mère fumeuse, mais non allaités, étaient plus élevés comparés aux adultes non fumeurs soumis aux effets du tabagisme passif. Des résultats similaires ont été retrouvés par Mascola et al. (249) dans une cohorte de 330 couples mère-enfant suivis pendant 12 mois (p < 0,0001).
Dans ces 2 études, les taux de cotinine urinaire et dans le lait maternel étaient mesurés une fois par mois pendant la première année de vie de l’enfant.
La concentration en nicotine et ses métabolites dépendait du nombre de cigarettes fumées, du temps passé entre la dernière cigarette et la tétée. La nicotine a été retrouvée dans le lait à des concentrations 1,5 à 3 fois supérieure à celle du plasma, sa demi- vie dans le lait et dans le plasma était identique : de 60 à 90 min. (250, 251). L’enfant de mère fumeuse est aussi exposé aux effets négatifs du tabagisme passif sur la santé.
Tabac et durée d’allaitement
Scott et Binns (93) dans une revue de la littérature des facteurs associés à l’initiation et la durée de l’allaitement ont retrouvé une association constamment négative entre le tabagisme et l’initiation et la durée de l’allaitement. Les auteurs citaient une étude brésilienne de Horta et al. (252) qui rapportait un odds ratio ajusté de ne pas être allaité à 6 mois de 1,34 (IC à 95 % : 1 à 1,8) en cas de tabagisme maternel et un impact très significatif du nombre de cigarettes fumées. Comparativement aux non-fumeuses, l’OR d’allaitement inférieur à 6 mois était de 1,61 (IC à 95 % : 1 à 2,61) quand les mères fumaient de 10 à 19 cigarettes/j et de 1,94 (IC à 95 % : 1,10 à 3,39) lorsqu’elles en fumaient 20 et plus par jour. Les auteurs rapportaient également les résultats d’une enquête canadienne publiée en 1990 et incluant 3 120 femmes et qui retrouvait un OR (IC à 95 %) d’initiation d’allaitement de 0,57 (0,38 à 0,85) en cas de tabagisme et de 0,71 (0,48 à 1,05) en l’absence de tabagisme.
McInnes et al. (253) dans une enquête réalisée en Écosse dans une population de 997 femmes enceintes défavorisées retrouvaient également que le tabagisme était un facteur prédictif significatif (p < 0,01) indépendant du fait de ne pas allaiter (OR : 0,61 ; IC à 95 % : 0,44 à 0,86).
Nafstad et al. (254) rapportaient les données d’une enquête norvégienne incluant 3 020 enfants nés à Oslo en 1992-93. La Norvège est un pays où la prévalence et la durée de l’allaitement sont extrêmement élevées (dans cette enquête, seuls 29 enfants soit 1 % n'étaient pas du tout allaités et 70 % des enfants étaient allaités plus de 6 mois). Les résultats montraient qu'à 6 mois, la durée de l’allaitement était significativement plus longue (p < 0,01) chez les non-fumeuses (75 %) en comparaison avec les fumeuses légères (< 10 cigarettes/j : 59 %) et avec les fumeuses importantes (> 10 cigarettes/j : 41 %).
Comparativement aux enfants de mères non fumeuses, le risque d’être sevré avant l’âge de 1 an était multiplié par deux pour les enfants des mères fumeuses importantes (IC à 95 % : 1,7 à 2,3) et par 1,3 (IC à 95 % : 1,2 à 1, 5) pour les enfants de mères fumant moins de 10 cigarettes/j.
Consommation de tabac et production de lait maternel
Une forte consommation de tabac semble avoir un impact négatif sur la production de lait. Les taux de base de prolactine étaient plus bas chez des mères fumeuses consommant plus de 1 cigarettes par jour comparées à des non-fumeuses sans modification des pics de prolactine en réponse à la succion (176). La nicotine pourrait aussi avoir un impact négatif sur le réflexe d’éjection en induisant des décharges d’adrénaline. Hopkinson et al. (255) ont comparé la production de lait chez des mères fumeuses et non fumeuses ayant accouché entre 28 à 32 semaines d’aménorrhée et utilisant un tire-lait pour établir et entretenir la lactation. Après ajustement sur les facteurs d’âge, de parité, de rapport poids/taille, d’expérience de l’allaitement, de consommation d’alcool et de caféine, de poids de naissance et de fréquence d’expression du lait, le volume de lait produit par jour à 2 semaines était plus bas chez les fumeuses (406 ± 262 ml contre 514 ± 338 ml) que chez les non-fumeuses. Mais Amir (247) constate, à partir d’une revue de la littérature sur le tabagisme et l’allaitement, de nombreuses limites méthodologiques dans la plupart des études. Rien ne prouve que les mécanismes physiologiques supposés interférer sur la production de lait en cas de tabagisme soient responsables de la durée plus courte d’allaitement généralement observée. Des facteurs sociaux et psychologiques et des différences dans la pratique de l’allaitement sont plus probablement impliqués.
Tabac et santé de l’enfant
Le rôle du tabagisme sur les coliques est mal connu. Matheson et Rivrud (256) ont retrouvé une incidence plus fréquente des coliques chez les nourrissons allaités en cas de tabagisme (> 5 cigarettes/j : 40 % contre 26 % chez les enfants de mères non fumeuses (p < 0,005). Mais une étude plus récente et mieux décrite menée par Reijneveld et al. (257) a retrouvé un risque de coliques 2 fois plus élevé en cas de tabagisme sauf dans le cas d’enfants allaités.
Woodward et al. (258) ont retrouvé une incidence de maladies respiratoires chez les enfants de mères fumeuses allaités plus faible comparativement à ceux nourris au substitut de lait. Dans cette étude incluant 1 218 enfants, le non-allaitement multipliait le risque de maladies respiratoires par 7.
Nafstad et al. (259) dans une étude ayant porté sur 3 754 enfants nés en Norvège en 1992 et 1993 ont cherché à évaluer les relations entre la durée de l’allaitement et la prévalence des infections respiratoires basses pendant la première année de vie en cas d’exposition au tabagisme maternel. Après ajustement pour les variables confondantes, les auteurs ont mis en évidence que l’allaitement prolongé (> 6 mois) diminuait le risque d’infections respiratoires basses et que cet effet était d’autant plus marqué que l’enfant était exposé au tabagisme. Comparativement à un allaitement prolongé sans tabagisme, le risque relatif ajusté d’infections respiratoires basses était de 2,2 (IC à 95 % : 1,6 à 3,1) en cas d’allaitement inférieur à 6 mois chez une mère fumeuse, de 1,3 (1,0 à 1,7) en cas d’allaitement inférieur à 6 mois chez une mère non fumeuse et de 1,1 (0,7 à 1,6) en cas d’allaitement prolongé chez une mère fumeuse.
En conclusion, il est nécessaire de convaincre les mères fumeuses qui allaitent de cesser de fumer en les y aidant dès la grossesse. Mais selon certains experts l’allaitement demeure le meilleur choix même si la mère continue de fumer (176, 177, 215, 247, 260). En effet, quelques études ont montré qu’en cas de tabagisme maternel, la morbidité était plus élevée chez les enfants nourris au lait industriel comparativement à ceux allaités.
L’American Academy of Pediatrics dans une revue sur le transfert des médicaments et toxiques dans le lait maternel (261) a retiré la nicotine de la liste des produits contre-indiquant l’allaitement ; le comité reconnaît : « qu’il est possible que tabagisme et allaitement soient moins délétères pour l’enfant que tabagisme et alimentation au lait industriel et espère que l’intérêt porté à l’allaitement par une mère fumeuse serve de base de discussion pour l’inciter au sevrage tabagique ».
Il est possible d’atténuer les effets nocifs du tabagisme en conseillant à la mère de ne jamais fumer en présence de l’enfant, de fumer juste après les tétées et d’attendre si possible 2 heures après avoir fumé pour mettre l’enfant au sein. L’utilisation de produits de substitution de la nicotine peut représenter une alternative intéressante car, s’ils sont bien utilisés, ils induisent une absorption de nicotine inférieure et évitent l’exposition de l’enfant aux autres toxiques contenus dans la fumée de cigarette. On manque de données et de recul sur leur utilisation en cas d’allaitement.
VIII.5.3. Consommation d’alcool
La concentration d’alcool dans le lait maternel est voisine de celle du sérum. Le pic d’alcool dans le lait survient 30 minutes à 1 heure après ingestion et diminue ensuite progressivement parallèlement au taux sérique. Une consommation d’alcool en grande quantité entrave la sécrétion de lait et est dangereuse pour l’enfant. Pendant la première année de vie, l’activité hépatique de l’alcool déshydrogénase est inférieure de 50 % à celle de l’adulte (262). Little et al. (263) ont retrouvé des index de développement psychomoteur plus bas chez les enfants exposés à l’alcool par l’intermédiaire du lait maternel comparativement à ceux qui ne l’étaient pas.
Cobo (264) a montré que l’alcool éthylique diminuait le réflexe d’éjection du lait maternel de façon dose-dépendante. Il n’y avait pas d’impact pour des doses < 0,5 g/kg, un effet partiel et variable était observé pour des doses allant de 1 à 1,5 g/kg et le réflexe d’éjection était significativement voire complètement inhibé quand les doses d’alcool consommées par la mère étaient comprises entre 1,5 et 2 g/kg.
Mennella (265) a montré que les enfants consommaient moins de lait (environ 20 %) quand la mère avait pris de l’alcool 4 heures ou moins avant la tétée : la consommation d’alcool modifie la saveur du lait et surtout réduit la quantité de lait produite. Des mécanismes compensatoires ont été observés et les enfants consommaient plus de lait dans les 8 à 16 heures qui suivaient si la mère ne reprenait pas de boisson alcoolisée. Mennella et Gerrish (266) ont également montré que le sommeil des enfants était modifié en cas de tétée 1 heure après que la mère avait consommé une bière ou un verre de vin. Les enfants passaient significativement moins de temps à dormir pendant la période d’observation de 3,5 heures suivant l’exposition au lait maternel « alcoolisé » (56,8 minutes contre 78,2 minutes). Cette réduction concernait surtout le temps de sommeil paradoxal (25,8 minutes contre 44,2 minutes après lait maternel « sans alcool »).
Une consommation d’alcool en quantité modérée (< 0,5 g/kg/j) soit environ 1 à 2 consommations lors d’activités sociales n’est pas contre-indiquée (215, 260). Par contre, il est souhaitable de donner le sein avant la consommation d’une boisson alcoolisée plutôt qu’après.
Le groupe de travail propose de conseiller à la mère qui allaite de s’abstenir de consommer de l’alcool.
VIII.5.4. Consommation de caféine
Dans une revue de la littérature examinant les effets du café sur la lactation, Nehlig et Debry (267) ont rapporté que les quantités de caféine retrouvées dans le lait maternel variaient selon les auteurs. La caféine diffuse rapidement dans le lait maternel, mais sa concentration y est relativement faible. La présence de caféine ne modifie pas la composition du lait maternel et aurait tendance à stimuler sa production. L’élimination de la caféine est plus lente chez l’enfant (activité plus faible du cytochrome P-450 hépatique et immaturité relative de certaines voies de déméthylation et d’acétylation). Les demi-vies de caféine varient de 80 à 100 heures (valeurs extrêmes allant de 40 à 130 heures), elles ont été mesurées chez l’enfant prématuré et le nouveau-né. Ces demi-vies diminuent rapidement à des valeurs respectives de 14,4 et 2,6 heures chez le nourrisson de 3 à 5 et de 5 à 6 mois. Cependant pour des nourrissons du même âge, l’élimination de la caféine est plus longue chez l’enfant allaité par rapport à ceux nourris au substitut de lait (inhibition ou répression des processus de maturation postnatale normale du métabolisme de la caféine par le cytochrome P-450 hépatique).
Les effets de l’exposition précoce à la caféine au cours de la période d’allaitement sur le nouveau-né ont été étudiés chez l’animal alors que chez l’homme les effets sur le comportement, le sommeil, le développement cérébral et le contrôle de la respiration ne sont pas clairement établis.
Nehlig et Debry concluent que la consommation de café ou de caféine (boissons riches en caféine) ne semble pas avoir de conséquences mesurables chez le nouveau-né. Mais en raison du métabolisme lent de la caféine chez le nouveau-né et du risque d’accumulation de doses actives de caféine, il est souhaitable que les quantités absorbées restent modérées (300 mg/jour maximum, soit 2-3 tasses de café).
Extrait du Rapport de l'ANAES (2002) Allaitement maternel - Mise en œuvre et poursuite dans les 6 premiers mois de vie de l'enfant
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