Impact de l’allaitement sur la vie quotidienne de mères diabétiques
Breastfeeding and its impact on daily life in women with type 1 diabetes during the first six months after childbirth : a prospective cohort study. Berg M, Erlandsson LK, Sparud-Lundin C. Int Breastfeed J 2012 ; 7 : 20.
L’allaitement pourra présenter des difficultés spécifiques chez les mères souffrant de diabète insulino-dépendant (DID). Elles ont un risque plus élevé de complications pendant la grossesse et l’accouchement, le nouveau-né a un risque plus élevé d’hypoglycémie, les séparations mère-enfant sont plus fréquentes, et le démarrage de l’allaitement pourra donc être plus difficile. Par ailleurs, ces mères doivent gérer au quotidien leur diabète, alors que la grossesse, puis le post-partum, rendent la glycémie plus instable. Des études ont constaté que les besoins en insuline étaient plus bas chez les mères allaitantes. Elles pourront donc avoir davantage de difficultés dans la gestion des injections d’insuline. Le but de cette étude était d’explorer l’impact de l’allaitement sur la vie quotidienne des mères souffrant de DID par rapport à des mères non diabétiques.
Cette étude a inclus des femmes souffrant de DID qui avaient accouché dans quatre hôpitaux suédois. La première mère non diabétique à avoir accouché dans le même service après une des mères du groupe DID et qui acceptait de participer à l’étude a été sélectionnée pour constituer le groupe témoin. Les dossiers médicaux des mères ont été analysés, et toutes les mères ont répondu à des questionnaires à 2 et 6 mois post-partum. L’allaitement a été dit exclusif si le lait maternel était le seul lait reçu par l’enfant, et il a été dit partiel lorsque l’enfant recevait également une formule lactée commerciale.
108 mères du groupe DID et 104 mères du groupe témoin ont pu être recontactées à 2 mois, ces chiffres étant de 108 et 99 à 6 mois. Les deux groupes présentaient des caractéristiques similaires pour l’âge de la mère, la parité, le statut marital, le niveau de scolarité, l’âge gestationnel et le poids de l’enfant à la naissance. 43,1 % des mères diabétiques ont accouché par voie basse contre 74,3 % des mères du groupe témoin. À 2 mois, 80,7 % des mères diabétiques allaitaient, 80 % allaitant exclusivement ; chez les mères du groupe témoin, ces chiffres étaient respectivement de 91,3 % et 86,3 %. À 6 mois, ces taux étaient respectivement de 61,5 et 44,4 %, et 76,7 et 40,5 %. Avant la naissance, 84,1 % des mères diabétiques avaient confiance ou très confiance en leur capacité à allaiter, contre 92,3 % des mères du groupe témoin. À 2 et 6 mois, le pourcentage de mères qui estimaient que l’allaitement n’était pas important était similaire dans les deux groupes (3 à 7 %), ainsi que le pourcentage estimant que l’allaitement était très important (74 à 80 %). La prévalence des problèmes d’allaitement était similaire dans les deux groupes, sauf en ce qui concernait les problèmes de lésions des mamelons, plus fréquents chez les femmes du groupe témoin à 2 mois (54,7 % contre 29,9 %). Les mères diabétiques étaient plus nombreuses à utiliser une sucette à 2 mois (85,2 % contre 71,2 %).
Le niveau de satisfaction des mères vis-à-vis de leur expérience d’allaitement était très élevé, et similaire dans les deux groupes : 94,2 % des mères diabétiques et 95,1 % des mères du groupe témoin se disaient satisfaites à 2 mois, ainsi que respectivement 92,8 % et 90,8 % à 6 mois. 76,9 % des mères diabétiques et 82 % des mères du groupe témoin estimaient que l’allaitement avait un impact modéré à important sur leur vie quotidienne pendant les deux premiers mois ; c’était le cas de respectivement 63,1 % et 58,2 % des mères entre 2 et 6 mois. Dans les deux groupes de mères, l’allaitement reléguait d’autres tâches au second plan, les mères devaient organiser leur temps de façon différente, elles dormaient moins bien. Les mères diabétiques continuaient à avoir plus de mal à gérer les interruptions dans leurs activités entre 2 et 6 mois, et elles s’inquiétaient davantage pour leur santé pendant les six premiers mois, tandis que les mères du groupe témoin avaient davantage besoin d’organiser leur temps pendant les deux premiers mois, ce qui est probablement en rapport avec le fait que la gestion de leur maladie impose aux mères diabétiques de structurer leur journée.
Le niveau élevé de confiance de toutes ces mères dans leur capacité à réussir leur allaitement est probablement en rapport avec le taux élevé d’allaitement à 2 et 6 mois chez les mères diabétiques. Ces mères avaient par ailleurs un vécu aussi positif de leur allaitement que les mères non diabétiques, ce qui est encourageant. Les principales limitations de cette étude sont le petit groupe de mères incluses, et l'absence de données sur les mères perdues de vue. Cette étude montre que les mères diabétiques pourront bénéficier d’un soutien professionnel et de la part de leur entourage, afin de réduire les facteurs de stress et les problèmes liés aux fluctuations de la glycémie en post-partum.
Modifications de la physiologie et de la glycémie chez les mères allaitantes diabétiques
The physiological and glycaemic changes in breastfeeding women with type 1 diabetes mellitus. Achong N et al. Diabetes Res Clin Pract 2017 ; 135 : 93-101.
Le lactose est le principal glucide du lait humain. Il est synthétisé à partir de glucose et de galactose. Le glucose est transporté dans les cellules sécrétrices mammaires essentiellement par le GLUT1. Chez les femmes non diabétiques, le taux de glucose libre et de lactose dans le lait maternel est constant. Le délai entre la naissance et la montée de lait est influencé par plusieurs facteurs, en particulier par le démarrage précoce de l’allaitement et une fréquence élevée de tétées. Chez les mères souffrant de diabète insulino-dépendant (DID), le risque de complications périnatales est plus important à la fois chez la mère et l’enfant, et ce dernier sera plus souvent séparé de sa mère. Les femmes diabétiques dont la glycémie est bien contrôlée voient leur montée de lait survenir dans le même délai que les femmes non diabétiques, mais un mauvais contrôle du diabète est corrélé à une montée de lait plus tardive. Chez ces femmes, un âge maternel plus élevé et un mauvais démarrage de l’allaitement augmenteront encore le retard de la montée de lait.
Le taux de lactose est similaire dans le lait des mères diabétiques et non diabétiques. Les études évaluant l’impact du DID sur le taux lacté de glucose ne permettent pas de conclure. Une étude retrouvait un taux plus élevé de glucose, la différence restant toutefois modeste, tandis qu’une autre étude ne retrouvait pas de différence significative. Une étude a émis l’idée que le lait des mères diabétiques présentant une hyperglycémie au moment de la tétée pouvait avoir un impact négatif sur le bébé. Une étude sur des rats a constaté que l’exposition au glucose en début de vie avait un impact significatif sur la prise de poids et la régulation de l’appétit par la suite. Le volume de lait maternel consommé pendant la première semaine par les enfants de mères souffrant de DID était corrélé à un risque plus élevé de surpoids à 2 ans, mais cette étude n’a pas recherché la composition du lait. Une autre étude a constaté un taux plus élevé de surpoids chez des enfants qui avaient été exclusivement allaités par leur mère pendant la première semaine post-partum que chez des enfants qui avaient reçu à la place du lait humain provenant d’un lactarium ; par ailleurs, les enfants allaités par leur mère diabétique étaient plus nombreux à présenter un retard d’acquisition du langage. Cela permet de penser que le lait de mères diabétiques et hyperglycémiques pourrait présenter des risques pour l’enfant pendant la première semaine, mais aucune autre étude sur le sujet n’a été menée pour confirmer ces résultats, et ces études n’ont pas recherché la composition du lait.
Le lait humain contient de l’insuline. Son taux lacté baisse entre J3 (il est alors supérieur au taux sérique) et J7. Une étude a recherché le taux lacté d’insuline chez des femmes souffrant de DID, de diabète de type 2, et chez des femmes non diabétiques entre 1 et 6 mois post-partum, et ce taux était similaire dans les trois groupes. Chez les femmes souffrant de DID, ce taux était plus variable, très probablement en raison des injections maternelles d’insuline. Un taux lacté élevé d’insuline est inversement corrélé au poids et à la masse maigre infantile. Aucune étude n’a évalué un éventuel impact de l’insuline administrée à la mère chez l’enfant allaité.
Tant l’hyperglycémie que l’hypoglycémie ont un impact négatif sur la lactation. L’hypoglycémie diminue la synthèse de lactose de > 50 %, et l’hyperglycémie est à l’origine de > 60 % des variations constatées dans la production lacté des mères diabétiques. La lactogenèse augmente les besoins énergétiques des mères en raison du contenu calorique du lait maternel. L’impact de la lactation sur les besoins en insuline des mères souffrant de DID reste mal connu. La plupart des études ont fait état d’une baisse de ces besoins ou de leur stabilité chez les mères allaitantes par rapport à des mères qui n’allaitaient pas. Toutefois, les résultats de ces études reposaient sur des évaluations intermittentes de la glycémie par les mères, ce qui en limite la fiabilité. Dans une étude qui faisait état de besoins plus faibles en insuline chez les mères allaitantes, la dose maternelle d’insuline n’était pas ajustée pour le poids. Dans une autre étude, les mères allaitantes avaient une fréquence plus élevée d’épisodes d’hypoglycémie pendant les deux premières semaines post-partum que les mères qui n’allaitaient pas, en particulier la nuit, mais il n’y avait plus de différences entre les deux groupes entre 3 et 8 semaines. Là encore, le suivi de la glycémie n’était pas optimal, et l’alimentation maternelle n’a pas été prise en compte. À noter que des études ont constaté une baisse des besoins en insuline pendant jusqu’à 3 mois post-partum chez les mères qui n’allaitaient pas, pour des raisons inconnues. Une étude a constaté une baisse significative des besoins en insuline chez les femmes souffrant de DID pendant les huit premières semaines post-partum, qu'elles allaitent ou non. Plusieurs études anciennes ont donné des résultats variables, mais leur fiabilité est limitée par l’absence de données fiables sur l’alimentation maternelle, les méthodes d’évaluation de la glycémie et les types d’insuline utilisés dans les années 1980, nettement moins performants que ce qui est actuellement utilisé. Si certaines de ces études faisaient état d’une baisse des besoins en insuline pendant les premières semaines, la différence entre les femmes diabétiques qui allaitaient et celles qui n’allaitaient pas disparaissaient par la suite. Les auteurs ont publié récemment une étude prospective, qui a constaté une glycémie plus stable chez les femmes diabétiques allaitantes que chez celles qui n’allaitaient pas et chez les femmes diabétiques qui n’avaient pas été enceintes et qui constituaient le groupe témoin, avec en particulier une fréquence plus basse d’épisodes d’hyperglycémie chez les mères diabétiques allaitantes par rapport à celles qui n’allaitaient pas, celle des épisodes d’hypoglycémie étant similaire dans ces deux groupes, et ce entre 2 et 4 mois post-partum. Ils ont également constaté que la succion abaissait la glycémie maternelle, mais que cette baisse était la plupart du temps insuffisante pour induire une hypoglycémie. La glycémie la plus basse était constatée entre 90 et 120 minutes après le début de la tétée.
L’impact des tétées sur la glycémie maternelle est peu connu. Deux études n’ont pas constaté d’impact sur la glycémie chez des mères non diabétiques pendant les 60 minutes suivant la mise au sein, mais la durée du suivi pourrait être insuffisante. Du glucose sera prélevé dans le sang pour la synthèse du lactose, mais la production lactée pour « remplir » le sein après la tétée dure des heures. De même, les données sur l’impact de la lactation sur la glycémie chez les femmes souffrant de DID sont limitées. Une étude a fait état d’une glycémie plus basse pendant la première semaine post-partum chez ces femmes lorsqu’elles allaitaient, cet impact ayant disparu à 1 et 2 mois, et il n’y avait pas de différences liées au fait d’allaiter ou non sur le plan de la fréquence des épisodes d’hypoglycémie. Une étude a recherché l’impact de l’expression du lait sur la glycémie chez des femmes souffrant de DID et des femmes non diabétiques pendant les deux premières semaines post-partum. La glycémie baissait dans les deux groupes après la séance d’expression, mais cette baisse était plus importante de 55 % chez les mères diabétiques, et la différence entre les deux groupes augmentait encore après une seconde séance d’expression (délai entre les deux séances non précisé). Les mêmes auteurs ont mené une autre étude comparant des mères diabétiques et non diabétiques entre J2 et J84 ; les épisodes d’hypoglycémie importante sont tous survenus pendant les deux premières semaines post-partum. Dans cette étude, les modifications hormonales liées à la grossesse semblaient persister jusqu’à 6 semaines post-partum, et il semblait y avoir une certaine hétérogénéité sur le plan de la production lactée et du statut hormonal chez les mères diabétiques. La succion peut avoir un impact sur la glycémie directement en raison de la captation du glucose par la glande mammaire pour relancer la synthèse de lactose, ou indirectement via l’impact de l’ocytocine et de la prolactine sur le métabolisme glucidique.
En effet, la prolactine agit directement sur les cellules pancréatiques bêta, et induit une augmentation du taux sérique d’insuline. Toutefois, les cellules pancréatiques bêta sécrètent peu d’insuline, voire plus du tout, chez les mères souffrant de DID. La sécrétion basale de prolactine et les pics en réponse aux tétées baissent progressivement entre 3 et 6 mois post-partum, sans que cela ait un impact sur la production lactée. Il est donc peu probable que la prolactine induise des modifications de la glycémie chez les mères diabétiques. L’ocytocine est exprimée par des tissus sensibles à l’insuline, et elle peut stimuler la sécrétion d’insuline et de glucagon. Chez les personnes non diabétiques, l’ocytocine induit une augmentation de la glycémie et de la sécrétion de glucagon, suivie par une augmentation de la sécrétion d’insuline et d’adrénaline, mais il est peu probable qu’elle induise une augmentation significative de la sécrétion d’insuline chez les personnes souffrant de DID. Par ailleurs, la sécrétion de glucagon disparaît progressivement avec le temps chez les personnes diabétiques.
Le DID n’est pas une pathologie exceptionnelle chez les femmes en âge de procréer. L’allaitement est source de bénéfices pour ces mères et pour leurs enfants, et il devrait être activement encouragé. Le démarrage de l’allaitement pourra être plus difficile chez ces mères, en particulier en cas de mauvais contrôle de la glycémie, mais avec un suivi adéquat ces mères allaitent tout autant que les mères non diabétiques. Les domaines dans lesquels des études sont nécessaires sont l’évolution de la glycémie par rapport aux femmes diabétiques qui n’allaitent pas, l’impact de l’allaitement sur cette évolution et sur les besoins en insuline, l’impact spécifique de la tétée sur la glycémie et les éventuelles recommandations diététiques ou thérapeutiques (ajustement des doses d’insuline) que cela pourrait impliquer, les mécanismes en cause dans l’impact de l’allaitement sur la glycémie chez ces mères, et les implications à long terme de l’allaitement par une mère diabétique chez les enfants de ces mères, qui auront été exposés en post-partum précoce à un lait maternel contenant davantage de glucose.
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