La prévalence du diabète insulinodépendant (DID) augmente partout dans le monde (3 à 4 % par an). Ce type de diabète débute avant 20 ans dans la majorité des cas, et les jeunes enfants sont de plus en plus touchés, y compris les bébés. Sa prévalence varie suivant les pays, avec un gradient nord-sud en Europe. Elle est très élevée en Finlande (65/100 000). En France, elle est d’environ 13,5/100 000 chez les moins de 15 ans. Son diagnostic est plus difficile et donc plus tardif chez le petit enfant, et tous les ans des décès sont enregistrés suite à un DID diagnostiqué au stade du coma diabétique. La gestion du DID chez le très jeune enfant présente des caractéristiques spécifiques. Dans certains cas, le bébé est toujours allaité au moment du diagnostic, et les parents pourront alors s’entendre dire que l’allaitement doit être arrêté pour mieux contrôler le diabète. Il n’existe pratiquement aucune donnée sur les éventuelles spécificités du suivi chez le bébé allaité diabétique.
Globalement, les enfants peuvent être répartis en deux catégories : les enfants encore exclusivement allaités (qui ont généralement moins de 6 mois), et les enfants partiellement allaités ou en cours de sevrage (qui peuvent recevoir une formule lactée commerciale et/ou des solides). Un article de Daneman et al faisait le point sur le traitement des jeunes enfants. Les auteurs estiment que chez les enfants les plus jeunes, en particulier chez les bébés allaités, les injections d’insuline seront effectuées deux fois par jour, environ toutes les 12 heures. Lorsque l’enfant est plus âgé, on passera à trois injections par jour. Chez un petit enfant en pleine croissance, le traitement évoluera régulièrement avec le temps, que l’enfant soit ou non allaité. Il n’y a pas de raison pour que l’allaitement, recommandé pour tous les enfants, soit arrêté parce qu’un bébé est diabétique. Lorsque l’enfant est diversifié, les spécialistes qui suivent l’enfant pourront dire qu’il n’est pas possible de calculer avec fiabilité l’apport glucidique réalisé par le lait maternel. Certains acceptent que la mère continue à allaiter, mais demandent à ce qu’elle tire son lait pour qu’il soit donné au biberon, en quantité connue. Cela peut sembler une bonne idée, mais ne prend pas en compte le fait que c’est beaucoup plus compliqué que de donner le sein. Par ailleurs, cette recommandation fait l’impasse sur les aspects émotionnels de l’allaitement. Enfin, si le maintien de la glycémie est important, on estime généralement que les risques liés à une hyperglycémie chez un jeune enfant sont moins importants que les risques liés à une hypoglycémie, et qu’on peut donc tolérer un certain degré d’hyperglycémie.
Si l’on prend en compte tous les glucides présents dans le lait humain (lactose, glucose, galactose, sucres complexes), on peut estimer qu’il contient au maximum environ 80 g/l de glucides. On peut également estimer le volume de lait absorbé quotidiennement par un enfant, en fonction de son âge, et des autres aliments qu’ils peut consommer. Le fait qu’il soit difficile de calculer exactement le volume pris à chaque tétée n’est pas important, les éventuelles différences portant habituellement sur quelques grammes de glucides en plus ou en moins. En fait, il est beaucoup plus facile d’évaluer l’apport glucidique du lait maternel que les apports glucidiques d’un bambin diversifié, qui mange lui-même (une partie des aliments ressortant presque inchangés dans les couches, ou tombant par terre pendant le repas). Par ailleurs, les besoins en glucides et en insuline d’un jeune enfant dépendront également de son poids, de sa vitesse de croissance, de son niveau d’activité physique, de ses préférences alimentaires et des volumes d’aliments consommés à un moment donné, tous facteurs très variables d’un enfant à l’autre, et parfois d’un jour à l’autre chez un même enfant. Chez un jeune enfant, le traitement devra donc s’adapter, par un processus d’approximations et de corrections. C’est la raison pour laquelle les spécialistes recommandent d’administrer l’insuline après un repas (alors qu’on l’administre avant le repas chez les diabétiques plus âgés), à partir de l’évaluation de ce que l’enfant a mangé.
Par certains côté, la gestion du traitement chez un enfant allaité est même plus simple. Lorsqu’il est exclusivement allaité, il est assez facile de savoir quel volume de lait il absorbe quotidiennement en moyenne, un lait dont les apports glucidiques sur 24 heures sont plus stables que les apports réalisés par une alimentation diversifiée, ce qui facilite le calcul de la dose d’insuline nécessaire. La survenue éventuelle de pics de glycémie pourra être gérée par une dose minime d’insuline à action rapide, donnée en plus de l’insuline lente. Les enfants en cours de sevrage peuvent être répartis en deux catégories principales : ceux qui tètent encore souvent, de petites quantités de lait, et ceux qui ont 2 ou 3 « grosses » tétées quotidiennes (le matin, le soir, avant la sieste…). Dans le premier cas, l’apport glucidique est généralement trop faible pour nécessiter un supplément d’insuline. Dans le second cas, la tétée peut être assimilée à un goûter chez un enfant non allaité, et gérée de la même façon. S’il pourra parfois être indispensable de restreindre l’alimentation orale chez un enfant dont le DID vient d’être diagnostiqué, et qui présente une glycémie très élevée et une acidocétose importante, en attendant que son état se soit amélioré, il n’existe aucune raison médicale de sevrer un enfant allaité parce qu’il est diabétique. Les tétées seront des moments de réconfort pour l’enfant et la mère, particulièrement précieux pour atténuer le stress de la découverte d’un diabète (une maladie chronique sérieuse), et de l’apprentissage de sa gestion. De nombreux parents de jeunes enfants diabétiques trouvent particulièrement stressante la gestion de l’hypoglycémie nocturne. Si un enfant plus âgé ou un adulte peut comprendre la nécessité de prendre un en-cas, il est nettement plus difficile de le faire accepter à un jeune enfant, alors qu’un enfant allaité accepte généralement facilement une tétée, même s’il dort à moitié. Une courte tétée, de par son impact calmant, peut également faire accepter plus facilement à un jeune enfant les gestes stressants liés à la gestion du diabète (injections, suivi de la glycémie…), qu’il acceptera mieux lorsqu’il sera plus âgé.
Premier cas
Breastfeeding a baby with type 1 diabetes. Breastfeeding Support in Dublin.
Cet enfant avait 13 mois lorsqu’un DID a été diagnostiqué. Il y avait des antécédents familiaux de DID dans la famille maternelle. Il était toujours allaité. Il a été hospitalisé en raison d’une hyperglycémie très importante, et d’une acidocétose, et la priorité était de stabiliser son état clinique. Pendant cette hospitalisation, on a appris aux parents comment gérer le suivi de la glycémie et de la cétonémie, l’administration d’insuline, et la gestion des épisodes d’hypoglycémie. Le fait qu’il soit toujours allaité n’a pas posé de problèmes aux divers spécialistes, on a juste recommandé à la mère d’allaiter uniquement aux horaires des « repas » (petit-déjeuner, en-cas, dîner, goûter, souper, et encore un en-cas avant le coucher), plutôt qu’à la demande. Toutefois, à chaque rendez-vous de suivi, on lui demandait la fréquence des tétées, ainsi que le volume de lait maternel absorbé, et la mère avait globalement l’impression que l’allaitement était perçu comme une anomalie par les professionnels de santé. Personne ne l’a jamais encouragée à continuer, et la mère a elle-même commencé à douter de l’intérêt de poursuivre l’allaitement. Elle a contacté une consultante en lactation, qui l’a rassurée sur les bénéfices de son lait pour son bébé.
Par la suite, on a posé au bébé une pompe à insuline, ce qui permettait une bien plus grande liberté pour les repas, un meilleur contrôle de la glycémie, et la suppression des injections régulières. La pompe délivrait en continu une quantité basale d’insuline, et les parents devaient calculer le taux de glucides donnés aux repas, et injecter l’insuline supplémentaire correspondante via la pompe, en pesant éventuellement les aliments et en se référant au guide qu’on leur avait fourni. La mère savait que son bambin bien diversifié prenait assez peu de lait au sein la plupart du temps, et elle a décidé que s’il lui arrivait de prendre vraiment une « grosse » tétée, elle administrerait une petite dose supplémentaire d’insuline via la pompe. Mais elle a rapidement constaté que globalement les tétées n’induisaient pas d’augmentation de la glycémie nécessitant l’administration supplémentaire d’insuline.
Second cas
Breastfeeding My Type 1 Diabetic Daugher. San Diego Breastfeeding Center. December 10, 2013
Cette petite fille avait 19 mois lorsqu’elle a été hospitalisée en urgence pour un état de choc. Pendant les semaines précédentes, elle avait augmenté la fréquence des tétées et mouillait davantage de couches ; malgré cela, elle avait perdu du poids, puis avait commencé à souffrir de difficultés respiratoires. Un DID a été diagnostiqué. Pendant une semaine, son état a été critique. L’enfant était le plus souvent inconsciente, elle était terrifiée lorsqu’elle se réveillait, et sa mère ne pouvait même pas le prendre dans ses bras car la fillette voulait prendre le sein alors qu’on avait interdit à la mère de l’allaiter.
Lorsque les spécialistes ont autorisé l’alimentation, la mère a dû se battre pour faire accepter l’allaitement. Les médecins ont fini par accepter, uniquement parce que l’enfant n’était plus un nourrisson, et qu’ils estimaient que l’allaitement n’avait pas d’importance. Ils ont dit que la mère devait absolument tirer son lait et le donner uniquement à la tasse ou au biberon. Mais la mère avait toujours eu des difficultés à tirer son lait, et elle a donc insisté pour mettre sa fille au sein, ce qui a fini par être accepté en raison des hurlements de l’enfant qui voulait absolument prendre le sein.
La mère a pu rencontrer un diététicien spécialiste du diabète, qui l’a aidée à déterminer la quantité de lait maternel absorbée par son enfant, afin d’en calculer l’apport glucidique. Le diététicien a discuté avec la mère de la fréquence des tétées, afin de stabiliser au mieux la glycémie, et a convaincu les médecins de la possibilité de poursuivre l’allaitement dans le cadre du traitement diététique de l’enfant. Les tétées ont aidé l’enfant et la mère à accepter le stress des multiples injections d’insuline et prises de sang quotidiennes pendant toute la période d’ajustement. Les tétées nocturnes se sont également avérées très efficaces pour éviter les épisodes d’hypoglycémie pendant la nuit. La mère est heureuse d’avoir pu allaiter sa fille jusqu’à 32 mois.
Voir aussi DA 154 : Allaitement du bébé souffrant de diabète de type 1
Témoignage
Thomas : Le diabète de Mia a été diagnostiqué à 8 mois. Je ne reviendrai pas sur les modalités de traitement, mais sur la particularité d'un bébé « encore » allaité à 8 mois. Elle était diversifiée depuis ses 5 mois. Une diversification menée par l'enfant. C'est-à-dire qu'elle a toujours mangé des morceaux et, à ce moment-là, les quantités de solides qu'elle prenait étaient faibles comparées à la quantité de purées et autre compotes que peut prendre un bébé de 8 mois diversifié de façon « traditionnelle ». De plus, elle était allaitée à la demande.
Voilà donc les deux éléments qui ont posé problème à l'ensemble de l'équipe médicale et paramédicale (auxiliaire de puériculture, infirmière, puéricultrice, diététicienne, et jusqu'à l'assistante sociale) qui nous a entourés lors de la découverte de la maladie de notre fille. Car, au-delà de la maladie, c'est bien autour de l'alimentation que se sont cristallisées les tensions. Pour eux, un enfant de 8 mois doit avoir quatre repas par jour et faire ses nuits. Pour nous, connaissant la physiologie de l'allaitement, il n'est pas possible d'allaiter, comme le dit l'OMS, jusqu'à 2 ans et plus si l'enfant n'est pas décisionnaire des tétées. D'autant qu'avec la maladie, l'ambiance pesante de l'hôpital et la nourriture d'une qualité douteuse du centre hospitalier, Mia n'était pratiquement plus qu'au sein, avec 10 tétées par jour. Ce que l'équipe médicale voulait donc imposer était anti-physiologique et par là-même contre les préconisations internationales.
L'hospitalisation a été un enfer pour ma femme, qui était bien sûr à l’hôpital 24 h/24, pour ma mère qui soutenait ma femme en mon absence, et pour moi aussi qui était là dès que je n'étais pas au travail. Y compris la nuit, même si c'était interdit, pour pouvoir la soutenir face aux attaques incessantes du personnel. Car c'est comme ça que nous avons perçu la présence du personnel à notre égard. Chaque entrée dans la chambre était l'occasion de critiques gratuites sur notre « parentage » ; même l'assistante sociale s'y est mise, allant jusqu'à nous culpabiliser de mettre l'équipe en difficulté.
À tous les pères expulsés des chambres parents-enfant sous prétexte qu'il n'y a qu'un lit adulte, que la chambre est trop petite ou qu'il n'y a pas de lit du tout, je rappellerai que la charte de l'enfant hospitalisé stipule qu'en aucun cas, l'enfant ne peut être séparé de ses parents : les deux parents ! Avec tout ça, Mia était devenue passive, bougeait peu, bref elle était triste. Comment pouvait-il en être autrement, vu le contexte ? Il nous a fallu le soutien de nos proches et de LLL pour nous conforter dans nos connaissances, résister à ces assauts et trouver une solution pour soigner notre fille correctement.
Finalement, nous avons rencontré en consultation un pédiatre hospitalier d'un autre CHU qui a accepté de nous transférer tous les trois dans son unité de pédiatrie, et de nous accepter avec nos particularités : bébé allaité, mais aussi mère diabétique et père puériculteur, donc avec une grande expérience de la maladie. C'était là aussi un grand point d’achoppement avec l'équipe précédente car, selon nous, les consignes thérapeutiques n'étaient pas non plus adaptées.
Nous avons trouvé dans ce second CHU une acceptation de nos particularités, et une plus grande compétence de l'équipe dans la gestion du diabète. Ou du moins une façon de gérer la maladie plus en phase avec la façon de faire de la famille, même si, là aussi, nous n'avons pas eu le choix entre pompe à insuline ou stylo par exemple.
Donc oui, il est possible d'allaiter à la demande un enfant diabétique. Pour ce faire, il est complètement inutile de chronométrer la durée de la tétée ou l’écart entre les tétées, ou que sais-je encore. Il faut accepter de procéder par tâtonnements, de se tromper et d'apprendre de ses erreurs. Pour être concret : on part d'un postulat pour la quantité de sucre d'une tétée et, si ça se vérifie, tant mieux, sinon on adapte à la prochaine tétée. En quelques jours, l'affaire est réglée. Par la suite, il faut savoir faire de même à la maison puisqu'en retrouvant ses habitudes et son cocon familial, notre fille a moins tété et mangé plus de solides. Et donc, finalement, les tétées qui contenaient 5 g de sucre dix fois par jour à l'hôpital en contenaient 7 g cinq fois par jour quelques semaines plus tard.
En conclusion, il est tout à fait possible d'allaiter un bébé diabétique comme bon lui semble. Et je dirais même, il le faut absolument. C'est déjà un moment assez dur à passer pour toute la famille, un deuil à faire, celui d'un enfant « normal ». Alors, gardons nos habitudes. Et si l'équipe médicale ne vous soutient pas, changez ! Aujourd'hui, le quotidien du diabète est devenu une habitude à laquelle on ne prête plus attention. En tout cas, pas plus que nécessaire. Mia va sur ses 2 ans, elle a été allaitée jusqu'à 14 mois, et maintenant, elle mange de tout avec grand appétit. Bref, elle est en pleine forme et c'est l'essentiel !
Bonjour,
Je voudrais également laisser mon témoignage concernant l'allaitement d'un bébé diabétique type 1, puisque lors du diagnostic de mon fils, je me suis rendue compte qu'il n'existait pas beaucoup de témoignages sur le sujet.
Mon petit garçon a donc été diagnostiqué juste avant ses 18 mois. Il était alors allaité à la demande et diversifié. Dans un premier temps, nous avons été admis en pédiatrie à l'hôpital près de chez nous pour soigner son acidocétose. L'allaitement a été très bien accueilli : il a été décidé de le mettre "à jeun" pendant 24h pour le stabiliser, à l'exception de l'allaitement car l'équipe estimait que c'était indispensable pour son bien-être. Néanmoins, suite à des variations glycémiques trop importantes suite aux tétées, il nous a été demandé dans un second temps de nous en tenir à 2 ou 3 grosses tétées, ce que nous avons tout à fait accepté vu la justification et la bienveillance de l'équipe. Le deuxième jour, l'alimentation orale a été réintroduite, puis le troisième, nous avons été transférés dans un autre hôpital qui proposait un suivi de diabétologie pédiatrique, contrairement au premier, pour la formation au traitement.
Là-bas, notre fils a été mis sous pompe, et l'allaitement a été accueilli avec la même bienveillance, malgré une légère perplexité : l'équipe n'avaient pas beaucoup d'expérience dans le domaine, ils avaient déjà suivi un bébé de 6 mois exclusivement allaité, mais pas de bébé plus âgé en alimentation diversifiée. Leur principe de base étant que c'était au traitement de s'adapter à notre vie et pas l'inverse, ils nous ont proposé, dans un premier temps, de ne pas injecter d'insuline pour les tétées, puis de voir comment la glycémie réagirait et si nécessaire, de tester des petits bolus jusqu'à arriver à la dose correcte.
Nous avons donc procédé de la sorte, et au fil de nos expérimentations, les "bolus de tétée" ont varié entre 5 à 10 grammes de glucides, et les tétées nocturnes ont été bien utiles pour stabiliser les glycémies nocturnes. A présent, notre fils a 3 ans et demi et est encore allaité occasionnellement (max 1 fois par jour), et je ne fais en général plus de bolus.
Je réalise en lisant divers témoignages que nous sommes vraiment tombés sur deux équipes médicales extraordinaires : très ouvertes vis-à-vis de l'allaitement, et surtout, centrées sur le bien-être des enfants, sur la confiance envers les parents, et sur l'autonomisation du patient vis-à-vis de la maladie.
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