Cet article est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 25, LLLFrance, 1995
Qui n'a pas entendu une fois ou l'autre : "Je ne veux pas allaiter, j'ai peur d'abîmer ma poitrine", ou : "On m'a dit que je risquais de me décalcifier si j'allaitais", voire : "Je veux faire un régime juste après l'accouchement, alors je n'allaiterai pas".
Mythes, fantasmes, réalités ? Comment, dans les faits, la femme vit-elle l'allaitement, dans son corps et dans son psychisme ?
Sacrifice, esclavage ou enjeu féministe ?
La façon dont on a, au cours de l'Histoire, parlé de l'allaitement du point de vue des femmes, a toujours été tributaire de la vision de la maternité dominante à l'époque.
Quoi de commun, à première vue, entre l'idéologie traditionnelle où la femme ne peut se réaliser que dans la maternité, et où l'allaitement est vu comme un sacrifice nécessaire, et une certaine idéologie féministe qui assimilait la maternité - et bien sûr l'allaitement - à un esclavage ?
Pourtant ces deux visions se rejoignent sur un point essentiel : l'allaitement serait pour la femme une contrainte épuisante. Acceptée dans le premier cas, rejetée dans le second.
C'est encore, ne nous y trompons pas, le discours dominant chez nous. A savoir : le lait maternel est plein d'avantages pour le bébé, alors faites un effort... Mais si c'est trop pour vous, n'hésitez pas, passez au biberon, c'est aussi bien...
Il est d'autres pays - en particulier les pays scandinaves - où la maternité et l'allaitement ont été intégrés aux combats féministes, où les femmes ont refusé de se laisser amputer de cette part si importante d'elles-mêmes, et où, comme par hasard (?), les taux d'allaitement dépassent les 90%.
En fait, plus les recherches s'affinent, plus l'on s'aperçoit que si l'allaitement est bon pour l'enfant, il est bon également pour la mère, que ce soit sur un plan physiologique ou psychologique.
Le lait et le sang
Il est maintenant bien connu que la tétée précoce et les contractions utérines qu'elle provoque, diminuent énormément les risques d'hémorragie et aident l'utérus à reprendre plus vite sa taille, sa forme et sa tonicité. Ceci est encore plus important pour une femme qui a subi une césarienne.
A plus long terme, on sait que l'allaitement entraîne une aménorrhée plus ou moins longue (voir l'article sur la MAMA dans Allaiter aujourd'hui n° 17, p. 10) qui bien sûr favorise l'espacement des naissances, mais réduit aussi le risque d'anémie. On mesure mieux dans ces conditions la catastrophe que représente pour les femmes (et pas seulement pour les bébés) le déclin de l'allaitement maternel dans les pays du Tiers-Monde : en l'absence de contraception, ces femmes se retrouvent subir des maternités rapprochées (souvent une par an, au lieu d'une tous les deux ans et demi en moyenne), dans un état de malnutrition et d'épuisement extrême.
Je ne veux pas de seins qui pendent !
Dans une société qui met l'accent sur la beauté du corps et le sein érotisé, les femmes (et leurs compagnons !) craignent souvent de voir leurs seins déformés par l'allaitement. D'autant que les rares scènes d'allaitement diffusés par les médias sont très souvent celles de mères africaines aux seins flasques et pendants, vivant dans des zones où sévit la famine (ce qui, par la même occasion, associe l'allaitement à l'exotisme et/ou la misère...).
Pourtant tous les spécialistes s'accordent à dire que ce qui abîme les seins, ce sont les changements brusques de volume, donc essentiellement l'accroissement en début de grossesse, un engorgement les premiers jours ou un sevrage brutal. Pour éviter cela, une bonne conduite de l'allaitement avec mise au sein précoce, tétées nombreuses les premiers jours et sevrage en douceur, est primordiale. Et, surtout dans le cas de seins lourds et volumineux, un bon soutien-gorge, qui soutienne sans comprimer.
Maigrir, grossir...
Après l'accouchement, si la mère surveille le poids de son bébé pour vérifier qu'il grossit bien, elle est aussi attentive au sein. Avec l'objectif inverse : retrouver rapidement sa taille d'antan. Qu'en est-il quand on allaite ?
Le Dr Sachet, médecin nutritionniste à l'hôpital Bichat, responsable de la consultation de nutrition de la femme enceinte, nous dit : "La période d'allaitement est idéale pour perdre un peu de poids. Vous avez pendant votre grossesse stocké un certain nombre de kilos de graisse qui ont servi au cours des trois derniers mois à fournir de l'énergie - à vous et à votre bébé - et à préparer une réserve pour l'allaitement.
Ces deux à quatre kilos de graisse qui vous font horreur au retour de clinique vont être "mobilisés" en deux à trois mois pour fournir chaque jour entre 200 et 300 calories (la moitié de ce qui est nécessaire pour fabriquer le lait de votre enfant)" (1).
L'allaitement va donc permettre de maigrir en douceur (2)... à condition de ne pas manger comme quatre ! En effet, comme la femme enceinte, la femme qui allaite utilise mieux sa ration alimentaire, et les apports recommandés sont sans doute surestimés (3). Aussi, si sous prétexte qu'elle produit du lait, la femme se gave sans restrictions de chocolat, gâteaux, etc., elle pourra avoir du mal à perdre du poids, surtout si dans le même temps, elle a restreint son activité physique.
Allaitement et cancer
Contrairement à certaines idées encore répandues dans le public selon lesquelles l'allaitement pourrait "donner" le cancer du sein, voire le transmettre à l'enfant (!), toutes les études récentes montrent au contraire que l'allaitement contribue à protéger la mère contre le cancer de l'ovaire (4) et celui du sein. Il semblerait que l'allaitement puisse diminuer de près de moitié les risques de cancer du sein ; plus longue serait la durée totale d'allaitement, meilleure serait la protection (le risque serait réduit des deux-tiers pour celles qui auraient allaité en tout six ans et plus) (5). Les mécanismes en jeu ne sont pas encore bien élucidés. Il se pourrait que le lait contienne des substances pouvant protéger les tissus mammaires des agressions de l'environnement. L'allaitement aurait un effet de drainage sur les sécrétions accumulées au cours des années. Enfin l'on pense que les changements continuels du taux d'oestrogènes que connaît la femme lorsque n'est ni enceinte ni allaitante et a ses cycles menstruels, sont un facteur de risque pour le cancer du sein.
Je voudrais faire ici une mise en garde. On parle ici de facteur possible de protection, non de garantie à 100%. De même qu'un bébé allaité peut avoir une otite, même si l'on sait que le risque en est énormément réduit, de même une femme qui allaite ou a allaité - même longtemps - peut avoir un cancer du sein. Et si elle est en train d'allaiter, il se peut malheureusement que ce fait masque, aux yeux des professionnels de santé qu'elle va rencontrer, l'éventualité d'un cancer. Je pense à une amie qui a traîné une masse énorme au sein pendant des mois. Chaque fois qu'elle la montrait à un médecin, il lui répondait : "C'est parce que vous allaitez, ça disparaîtra lorsque vous arrêterez". Lorsque le diagnostic de tumeur maligne a finalement été fait, il était trop tard.
Donc en cas de doute, il est important de demander une investigation approfondie, la même qu'on ferait en absence d'allaitement. Les examens (mammographie, échographie...) seront alors réalisés après une tétée, et interprétés si possible par un praticien habitué aux clichés pris sur un sein lactant.
Voir Allaitement et cancer.
Et la décalcification ?
Une autre inquiétude des femmes, c'est que l'allaitement entraîne une décalcification durable pouvant faire plus tard le lit de l'ostéoporose. En fait une étude récente faite sur des femmes ayant allaité jusqu'à 9 mois, a montré un retour à une densité normale un an après le sevrage (6). D'autres études, portant sur des femmes ménopausées ayant allaité plusieurs enfants, ont montré que la densité osseuse augmentait avec chaque enfant allaité, et que ces femmes avaient moins de fractures que la moyenne (7).
Quelques autres pistes
Une étude (8) a montré que l'allaitement pourrait avoir un rôle préventif des infections urinaires, non seulement chez le bébé allaité mais aussi chez la mère allaitante.
Une autre étude (9) faite sur des rates chez lesquelles on avait artificiellement provoqué une endométriose, a montré que celles qui ensuite allaitaient, voyaient l'implant se réduire considérablement. Voir aussi Avoir allaité diminue le risque de souffrir d'endométriose.
Il existe d'autres maladies chroniques dans lesquelles les modifications hormonales de la grossesse provoquent une rémission des symptômes. Si la femme allaite, très souvent la période de rémission s'étend sur plusieurs mois (deux à huit mois) après la naissance du bébé. C'est notamment le cas de la polyarthrite rhumatoïde, du lupus et de la sclérose en plaques.
De même, certaines mères diabétiques observent une nette rémission pendant l'allaitement, qui peut durer des années (10).
Il est fort possible qu'on découvre dans les années qui viennent d'autres bienfaits de l'allaitement pour la mère. La littérature sur le sujet a beaucoup augmenté récemment, tout simplement parce que des chercheurs s'y sont intéressés : on ne trouve que si on cherche !
Si l'on ne veut pas allaiter
Je ne voudrais pas finir cette revue des aspects physiologiques de l'allaitement pour la femme, sans dire un mot des problèmes posés par l'administration systématique de Parlodel comme "coupe-lait". Il peut provoquer des vertiges allant jusqu'à la perte de conscience (d'après une organisation de consommateurs américaine, il serait peut-être impliqué dans treize décès) ; il provoque une stimulation ovarienne pouvant entraîner une nouvelle grossesse ; enfin, il est loin d'être efficace à 100 % pour ce qui est de bloquer la lactation. Il semble donc plus judicieux d'agir comme les sages-femmes hollandaises qui se contentent de ne pas mettre le bébé au sein et de surveiller un éventuel engorgement.
Mise à jour 2013 : l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) estime désormais que le rapport bénéfice/risque du Parlodel n’est plus favorable dans l’inhibition de la lactation : Bromocriptine (Parlodel® et Bromocriptine Zentiva®) : le rapport bénéfice/risque n’est plus favorable dans l’inhibition de la lactation - Point d'information.
Une dimension de la sexualité féminine
Pour beaucoup de femmes qui l'ont vécu, l'allaitement fait partie intégrante de leur vie sexuelle. Il est la continuation de la grossesse. Il les a aidées à tisser les premiers liens avec l'enfant et à le materner jour après jour (11). Il leur a donné un sentiment de force, de puissance, de compétence, de plénitude... qui fait peur à beaucoup ! A commencer par le père, qui peut se sentir exclu de cette relation si spéciale qui semble combler sa compagne affectivement et sensuellement. C'est alors au couple à réfléchir à sa relation et à la place que prend l'enfant entre eux deux.
Claude Didierjean-Jouveau
(1) Guide de l'alimentation de la femme enceinte, Stock-Laurence Pernoud, 1990.
(2) D'après une étude du Journal of the American Dietetic Association, avril 93, un mois après l'accouchement, les femmes qui allaitent ont perdu plus de poids et de largeur de bassin que celles qui n'allaitent pas.
(3) Voir les études citées dans "L'Alimentation infantile, bases physiologiques", suppl. au vol. 67 du Bulletin de l'OMS, p. 37-43.
(4) K.E. Brock et al., "Sexual, Reproductive and Contraceptive Risk Factors for Carcinoma-in-Situ for the Uterine Cervix in Sydney", Medical Journal of Australia, 160 (1989) : 125-130.
(5) D.M. Layde et al., "The Independant Association of Parity, Age at First Full-Term Pregnancy and Duration of Breasfeeding with the Risk of Breast Cancer", Journal of Clinical Epidemiology, 42 (1989) : 763-773.
J.M. Yuan et al., "Risk Factors for Breast Cancer in Chinese Woman in Shangai", Cancer Research, 48 (1988) : 1949-1953.
(6) Sowers, Mary Fran et al., "Changes in Bone Density with Lactation", Journal of the American Medical Association, 1993 ; 269(24) : 3130-35.
(7) S.R. Cummings and J.L. Kelsey, "Epidemiologie of Osteoporosis and Osteoporotic Fractures", Epidemiologic Review, 7 (1986) : 178-203.
(8) Giovanni V. Coppa et al., "Preliminary study of breastfeeding and bacterial adhesion to uroepithelial cells", Lancet 1990; 335:569-71. Le mécanisme serait le suivant : le lait humain - contrairement au lait de vache - est très riche en oligosaccharides, qui se retrouvent en grande quantité dans les urines du bébé allaité et de sa mère. Or les oligosaccharides ont la capacité d'inhiber l'adhésion bactérienne aux cellules épithéliales, adhésion qui est un prérequis important pour le développement d'une infection. Voir La LLLettre des associés médicaux, n° 7, p. 24.
(9) Barrigan, Fertil. Steril., Dec. 1992.
(10) Voir La LLLettre des associés médicaux, n° 8, p. 19. Cette rémission a été attribuée aux interactions hormonales hypophysaires et hypothalamiques pendant la grossesse et la lactation. De nombreuses mères éprouvent un sentiment de mieux-être pendant l'allaitement. Cette meilleure tolérance pourrait être due au transfert du glucose du sang vers le sein, où il est transformé en galactose et en lactose.
(11) Les hormones de la lactation, l'ocytocine et la prolactine, ont toutes deux des effets sur l'humeur et l'état physique de la mère, et sont semble-t-il des hormones d'"attachement". Voir par exemple S.F. Virden, "Relationship between infant-feeding method and maternal role adjustment", J. nurs. midw., 33 : 31-35 (1988).
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
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Vous trouverez pas mal de choses dans le dossier Avantages de l'allaitement : https://www.lllfrance.org/vous-informer/votre-allaitement/benefices-de-l-allaitement/892-avantages-de-lallaitement
professionnel de la santé, je souhaiterais avoir des information sur le bienfaits de l'allaitement.
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