Kangaroo mother care in the nursery. GF Kirsten, NJ Bergman, FM Hann.
Pediatr Clin North Am 2001 ; 48(2) : 443-52.
Le portage kangourou est un terme dérivé des pratiques de maternage des marsupiaux, chez qui les petits sont dans une poche ventrale près des mamelles maternelles, qu'ils peuvent téter à la demande. On définit le portage kangourou comme un contact peau à peau entre la mère et son nourrisson. L'évolution humaine fait que le petit de notre espèce nait avec une immaturité très importante ; on observe un phénomène similaire chez les grands primates qui sont proches de nous sur un plan anthropologique. Ces observations permettent de penser que l'être humain est un primate porteur (par opposition à d'autres mammifères qui cachent leurs petits dans une tanière, ou chez qui le petit suit très rapidement le troupeau). Depuis quelques décennies, la médecine néonatale a accompli des progrès qui permettent de faire survivre des enfants de plus en plus prématurés ; malheureusement, ces progrès ont été accomplis en sacrifiant la relation mère-enfant. Le portage kangourou permet de remédier à cet état de fait.
Partout dans le monde, les femmes ont porté leurs enfants contre leur peau. Le portage kangourou a été « redécouvert » en Colombie, où il était utilisé dans les services de néonatalogie pour tenter d'abaisser la mortalité et la morbidité très élevées. On montrait à la mère comment placer son enfant en position verticale entre ses seins, et l'enfant sortait du service dès que son état clinique était stable et que la mère avait bien appris à le prendre en charge. Ce portage est utilisé tant dans les hôpitaux où aucun matériel n'existe pour la prise en charge des prématurés (ce type de soins représente en gros la seule possibilité de prise en charge) que dans des services de pointe où ce portage permet d'améliorer la qualité du lien mère-enfant et d'encourager l'allaitement.
Le portage kangourou a un impact positif sur l'allaitement : la durée de l'allaitement est augmentée, la mère a une sécrétion lactée plus abondante, l'enfant tète plus souvent, la mère se sent plus compétente, et la prévalence de l'allaitement à la sortie du service est plus élevée. L'enfant maintient bien sa température centrale lorsque son poids est > 1500 g, il passe davantage de temps en sommeil calme ; son rythme cardiaque et respiratoire est aussi stable que dans un incubateur. Ce portage est gratifiant pour la mère qui se sent plus compétente et moins angoissée. Il pourrait aussi abaisser la prévalence des infections, mais les études sur le sujet restent insuffisantes. Et enfin, ce portage permet de faire des économies substantielles, ce qui n'est pas à négliger pour des services où le coût d'hospitalisation est élevé. Dans l'ensemble, cette méthode semble ne présenter que des avantages, et aucun inconvénient n'a jamais été retrouvé. Il est cependant dommage que bon nombre des études effectuées à son sujet présentent des biais méthodologiques. Des études plus rigoureuses seraient très intéressantes.
La première étape pour démarrer un programme de portage kangourou dans un service de néonatalogie est la formation de l'équipe soignante. Cette dernière doit apprendre les aspects pratiques du transfert de l'enfant de l'incubateur au portage kangourou et vice-versa. Elle doit aussi être compétente en matière de surveillance de ces enfants pendant le portage, en matière d'allaitement et de soutien émotionnel aux parents. La plupart des parents souhaitent désespérément s'occuper de leur bébé, mais sont terrifiés à la perspective de lui faire mal ou de ne pas savoir s'y prendre. Ils auront besoin du soutien actif et des encouragements de l'équipe soignante afin de surmonter leur peur. Cela implique de sa part une grande motivation, et un réel désir d'aider les parents à se réapproprier leur enfant. Lorsqu'une mère court un risque élevé d'accouchement prématuré, elle doit recevoir des informations sur les soins à donner à un prématuré (en particulier sur l'allaitement et le portage kangourou) dès la grossesse, afin de commencer à s'y préparer.
Le moment où le portage kangourou sera débuté dépend de l'état clinique de l'enfant, de la motivation et du niveau de connaissance en la matière de l'équipe soignante, et du soutien prodigué à la mère. Selon les cas, il pourra être débuté très rapidement (dans les 90 mn qui suivent la naissance, dès que l'enfant est stabilisé), rapidement (dans les 6 heures qui suivent la naissance), moyennement rapidement (au bout de quelques jours, dès que l'enfant est stable même s'il a encore besoin d'une aide respiratoire), ou tardivement (après 1 semaine ou davantage pour les très grands prématurés). Même lorsque l'enfant a encore besoin de rester en incubateur ou est toujours sous assistance respiratoire, il peut bénéficier du portage kangourou pendant de courtes périodes, dont la durée sera progressivement augmentée. On veillera à ce que tous les tubes de ventilation, perfusion sont bien fixés, et l'enfant vêtu uniquement d'une couche et d'un bonnet sera placé contre la peau de sa mère, entre ses seins, et sous ses vêtements; ses signes vitaux seront suivis en permanence par monitoring. Dès que la mère aura l'habitude de porter ainsi son enfant, et que ce dernier sera suffisamment stable, elle sera encouragée à l'installer seule contre sa peau. Ce portage peut aussi être pratiqué par le père.
Pour faciliter l'installation de l'enfant contre sa mère, il sera utile d'avoir dans le service un fauteuil ou un rocking chair confortable, pouvant s'incliner en arrière, et qui peut être placé à côté de l'incubateur. Un paravent favorisera l'intimité. L'idéal est que la mère puisse rester en permanence dans le service pendant les derniers jours d'hospitalisation de son bébé et s'occuper totalement de lui, afin d'être bien rodée au portage kangourou et à l'allaitement de son petit prématuré, dans une salle spéciale où les mères pourront lire, se reposer, manger dans une ambiance agréable et détendue tout en portant leur bébé.
Très souvent, la règle dans les services de néonatalogie veut que l'on ne commence à mettre le prématuré au sein que lorsqu'il atteint 32 semaines d'âge gestationnel et qu'il pèse au moins 1800 g. Ces restrictions sont fondées sur les problèmes constatés chez les prématurés lorsqu'ils prenaient le biberon. Mais de nombreuses études ont montré que prendre le sein était beaucoup moins stressant pour les prématurés que prendre un biberon, et ces routines sont fortement remises en question. Les mises au sein devraient débuter dès que l'enfant est stable, n'a plus besoin d'assistance respiratoire, et peut être sorti de l'incubateur. Cela sous-entend que, par ailleurs, tout a été fait pour aider la mère à mettre en route sa lactation (expression régulière du lait, ayant débuté aussi vite que possible après la naissance). À partir du moment où l'enfant est mis au sein, le lait qui lui sera donné en complément des tétées pourra être donné au gobelet, au doigt, ou par gavage, de façon à couvrir ses besoins. Les mères auront besoin d'un soutien actif pour apprendre à reconnaître le comportement de leur enfant pendant la tétée. Même si au début l'enfant ne fait guère que prendre le mamelon dans sa bouche, lorsqu'il a 28 à 30 semaines d'âge gestationnel, cela facilitera la mise en place d'un comportement efficace au sein.
Ce qui se passera après la sortie du service doit être discuté avec les parents dès le début du séjour de l'enfant. L'idéal est que l'enfant bénéficie du portage kangourou jusqu'à ce qu'il pèse au moins 2 kg. L'enfant peut quitter le service dès que son état clinique est bon, que sa prise de poids est correcte, et que les parents sont compétents et motivés pour le portage kangourou et la surveillance des apports alimentaires de leur enfant. Ce dernier sera suivi régulièrement après sa sortie du service.
Le portage kangourou est en passe de devenir une technique courante de soin des enfants de petit poids de naissance un peu partout dans le monde. Ce portage semble présenter de nombreux avantages pour la mère et l'enfant ; il abaisse le coût des soins, favorise le lien mère-enfant, et a un impact bénéfique sur la sécrétion lactée maternelle et sur l'allaitement. Toutefois, les études réellement fiables sur l'impact du portage kangourou manquent ; il serait utile de faire de telles études concernant les enfants de petit poids de naissance.
portage kangourou et impact sur la durée de l'allaitement
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