Cet article est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 24, LLLFrance, 1995
Les fentes palatines rendent l'allaitement plus ou moins problématique au niveau de la succion, mais après réparation chirurgicale, le handicap disparaît.
Les problèmes cardiaques ne compliquent pas vraiment l'allaitement, mais inquiètent sur la fragilité de l'enfant. Là aussi, en général, il y a une solution chirurgicale.
La trisomie, elle, implique un handicap à vie, et c'est sans doute là que l'allaitement, et le maternage qu'il implique, peuvent le plus aider à nouer les liens mère/enfant, et à découvrir les joies spéciales que, d'après beaucoup de familles, peuvent apporter ces enfants spéciaux.
Nous n'avons reçu aucun témoignage sur les fentes palatines, deux sur les problèmes cardiaques, deux sur la trisomie. Le dossier est donc plutôt réduit (pour plus de détails, contactez une animatrice LLL ou reportez-vous à la bibliographie citée) et nous vous invitons à lire ces témoignages longs et émouvants qui montrent que là encore plus qu'ailleurs, chaque couple mère/enfant est unique, et chaque mère trouve les solutions adaptées à son enfant.
Fentes labiales et palatines
Allaiter un bébé avec une fente labiale (défaut de soudure des parties de la lèvre supérieure) et/ou palatine (défaut de soudure au niveau du palais) représente un défi, plus ou moins important selon la gravité de la malformation, mais en général tout à fait possible à relever avec de l'information et du soutien.
Les avantages de l'allaitement
En plus de ses avantages habituels, l'allaitement maternel comporte dans ces cas des bienfaits particuliers :
- une protection contre les infections et particulièrement les otites, très fréquentes chez ces bébés, car les conduits auditifs allant de l'arrière du nez à l'oreille interne se remplissent facilement de liquide quand ils avalent,
- un liquide non irritant (le lait maternel est un fluide corporel naturel) pour les muqueuses s'il s'écoule dans le nez,
- un meilleur développement des muscles faciaux et de la m‰choire,
- une alimentation plus facile qu'au biberon dans la mesure où le sein, plus souple que la tétine, s'adapte mieux aux défauts de la lèvre ou de la bouche, où le bébé contrôle mieux le flux de lait et la position du sein dans sa bouche, où l'on peut s'adapter aux besoins spécifiques du bébé en changeant notamment sa position au sein,
- une intimité entre le bébé et sa mère qui, consciemment ou inconsciemment, pourrait être amenée à éviter le face à face avec lui, dans la mesure où la malformation est aussi visible.
Les solutions
En règle générale, il est préférable, en cas de fente palatine, de faire en sorte que le bébé tète en position semi-verticale, ceci afin d'éviter que le lait coule dans son nez.
Certains bébés ont besoin qu'on soutienne leur mâchoire et leur menton, et/ou qu'on maintienne le sein dans leur bouche pendant qu'ils tètent.
Il faut savoir qu'allaité ou pas, un bébé avec une fente faciale peut mettre deux à trois fois plus de temps qu'un autre à se nourrir. Les tétées seront donc souvent longues, éventuellement entrecoupées d'épisodes où le bébé s'étouffe à cause du lait dans son nez.
Il se peut donc qu'il se fatigue vers la fin, et n'obtienne pas suffisamment de "lait de fin de tétée", particulièrement riche en graisses. Dans ce cas, si le bébé a un problème de prise de poids, la mère pourra tirer ce lait et le lui donner en complément.
Chaque bébé étant unique, la mère sera sans doute amenée à trouver, par tâtonnements, la solution qui lui convient le mieux. Par exemple, une mère dont le bébé avait une fissure du palais mou, avait remarqué que si elle maintenait son sein dans sa bouche, il était capable de le "traire" avec ses gencives et sa langue.
Dans les rares cas où le bébé ne peut vraiment pas téter le sein, il est toujours possible de le nourrir de son lait en le tirant et en le lui donnant soit avec un biberon adapté, soit au gobelet, à la cuiller, avec un DAL (dispositif auxiliaire de lactation).
La chirurgie réparatrice
On opère en général les fentes labiales dans les premiers jours, et l'allaitement peut reprendre quelques heures après l'opération, car contrairement à la tétine du biberon qui pourrait endommager la cicatrice, le sein est souple et flexible.
Les fentes palatines, elles, sont réparées plus tard, à partir de 3 mois. S'il est allaité, l'enfant ne pourra probablement pas téter immédiatement après l'opération, car son palais lui fera mal. Il se contentera sans doute de reposer sa tête sur le sein ou simplement de garder le mamelon dans sa bouche sans téter. Mais à mesure qu'il se rétablit (environ une semaine), il recommencera à téter, avec peut-être même plus d'enthousiasme car l'opération lui facilitera grandement les choses !
Voir le dossier Fentes labiales et palatines.
Les enfants cardiaques
Les bébés qui ont un problème cardiaque présentent souvent une prise de poids lente, quel que soit leur mode d'alimentation. Ils ont en effet des besoins énergétiques particulièrement élevés, car ils doivent développer des efforts importants pour assurer leur oxygénation.
Beaucoup pourront être allaités exclusivement. D'autres auront besoin de suppléments appropriés, qui pourront être du "lait de fin de tétée", particulièrement riche en calories, tiré par la mère après la tétée (et donné de préférence autrement qu'au biberon pour ne pas perturber leur succion au sein).
Une étude (1) a suivi 45 enfants souffrant d'une malformation cardiaque. La longueur du séjour en hôpital était moindre quand les enfants étaient allaités (étaient considérés comme allaités tous les enfants qui recevaient du lait maternel, quel que soit le pourcentage qu'il représentait dans leur alimentation). En outre la croissance des enfants allaités, cinq mois après leur sortie de soins intensifs, était meilleure.
Le personnel pense souvent que prendre le sein est plus fatigant que boire au biberon. Or depuis la nuit des temps, nous sommes programmés pour téter le sein. Les études (2) montrant que les prématurés se cyanosent moins, ont moins d'épisodes de bradycardie (ralentissement du rythme cardiaque) et maintiennent mieux leur température lorsqu'ils sont au sein, doivent encourager la mise au sein des enfants cardiaques pour voir comment se déroulent les tétées, et décider au cas par cas des aménagements à apporter pour alimenter l'enfant en maintenant la relation d'allaitement.
(1) Combs V. et al., A Comparison of growth patterns in breast and bottle-fed infants with congenital heart disease, Pediatr Nurs 1993 ; 19(2) : 175-79.
(2) Différentes études de Paula Meïr.
Allaiter un bébé trisomique
Extrait de L'art de l'allaitement maternel, chapitre 8
Si votre bébé est porteur de trisomie 21, il se développera d’autant mieux s’il a la chance de bénéficier d’un environnement affectueux et de beaucoup d’échanges avec le reste de la famille.
En l’allaitant, vous lui communiquez votre amour et votre affection d’une manière unique. C’est aussi quelque chose de "normal" que vous pouvez faire avec lui, alors même que vous devez faire face au bouleversement que représente la naissance d’un enfant atteint de handicap. Les bébés trisomiques ont un besoin tout particulier d’être allaités, exposés qu’ils sont aux otites et aux infections respiratoires. Ces enfants accueillent volontiers l’amour qu’on lui témoigne, et le rendent avec enthousiasme à ceux qui les entourent. Ils apportent beaucoup de joie à leur famille.
Le bébé porteur de trisomie 21 est souvent somnolent les premières semaines, et peut ne pas avoir un bon réflexe de succion. Calme et patience l’aideront à apprendre à téter, à prendre le sein, à faire des mouvements de succion vigoureux et à déglutir.
Vous aurez sans doute besoin de tirer votre lait les premiers jours pour stimuler votre production lactée. Si votre bébé a besoin de compléments au début, vous pouvez lui donner le lait de fin de tétée riche en calories dans un gobelet, une pipette, une seringue ou un dispositif d’aide à la lactation.
Les débuts de l’allaitement seront peut-être lents, mais les bébés trisomiques peuvent apprendre à téter. Ne vous découragez pas en cas de difficultés. La relation d’allaitement avec votre bébé vous récompensera largement de vos efforts. Grâce à votre soutien aimant, votre bébé se débrouillera vite.
Virginie : L’allaitement exclusif a donné à ma fille porteuse de trisomie 21 une solidité et une résistance accrue aux maladies. Et la proximité avec cette enfant différente était primordiale, pour moi et sûrement pour elle aussi : besoin de la protéger, de lui donner plus et mieux, de resserrer le lien avec elle, de faire corps face aux autres. Au total, un allaitement épanouissant pour tout le monde.
Voir le protocole de l'ABM Allaiter le nourrisson hypotonique, et le témoignage de Dominique Allaiter un bébé différent.
Témoignages
Allaiter un bébé porteur de trisomie 21
Un bébé sourd
Ingrid : Erika, ma troisième fille, avait 8 mois lorsque mon mari commença à me dire : "C'est bizarre, elle ne parle pas". Je ne me souvenais pas trop de ce qui s'était passé avec ses sœurs, je la voyais jouer avec sa langue et ses lèvres en émettant plein de bruits rigolos, et je ne m'inquiétais donc pas. Mais lorsqu'elle a eu 10 mois, je finis par parler au médecin des inquiétudes de mon mari, et il m'adressa à un ORL. Celui-ci claqua des mains à côté de chaque oreille. L'examen fini, il appela un collègue et lui dit : "Elle n'a même pas cligné des yeux". Là, j'ai tout compris. J'ai eu l'impression que la pièce se remplissait de fumée, et que j'y flottais. Ils m'interrogeaient sur les antécédents familiaux, sur les conditions de l'accouchement. J'avais du mal à rassembler mes pensées, mes souvenirs. J'ai voulu leur parler de la petite réanimation qu'elle avait eue, mais le dernier mot ne venait pas. Je ressemblais à un disque rayé : "Elle a eu une petite...une petite...". Cela ne pouvait être qu'un cauchemar, et j'allais certainement finir par me réveiller.
Avant de confirmer le diagnostic, il fallait faire un test : le PEA (Potentiel Evoqué). Je suis rentrée à la maison en pleurs, la tête pleine de refus ("ce n'est pas possible !"), de questions ("pourquoi, comment, quand, combien ?"), de projections ("mon chéri, tu ne vas quand même pas te marier avec cette jeune fille : elle est charmante, mais elle est sourde"), etc. Mon mari m'a simplement dit d'un ton décontracté : "Je le savais". Je lui ai répliqué : "Encore heureux qu'il n'y ait qu'un seul de nous deux qui soit effondré...".
J'ai passé une soirée épouvantable à pleurer et à multiplier les petits tests sonores du style l'appeler alors qu'elle me tournait le dos et qu'elle ne m'avait pas vue arriver. Devant l'évidence, j'ai fini par dire : "Bon, elle est sourde, espérons que ce n'est pas trop grave, que c'est réparable".
Le PEA a eu lieu quatre jours plus tard. Il s'agit d'une sorte d'électroencéphalogramme que l'on fait aux petits sous anesthésie, en envoyant au moyen d'un casque des bips à un certain intervalle et à une certaine fréquence. On enregistre l'activité électrique du cerveau au moyen de trois électrodes placées sur le front et les lobes des oreilles : soit l'on retrouve les bips sur le tracé (pas de surdité, mais éventuellement malentendance), soit on ne les retrouve pas (surdité).
Diagnostic : Erika était atteinte d'une surdité de perception profonde, ce qui veut dire que l'oreille interne, la cochlée, ne fait pas son boulot qui est de transformer en impulsions électriques les vibrations perçues par le tympan et transmises par les osselets, et de les transmettre au cerveau via le nerf auditif. Personne ne sait encore toucher à l'oreille interne. Elle peut être appareillée, car elle a des "restes auditifs", mais comme sa perte auditive varie selon les fréquences (plus c'est aigu, moins elle le perçoit), et qu'elle est si importante, Erika n'entendra jamais comme nous. D'où les séances d'orthophonie pour la sensibiliser aux sons par la prise de conscience des vibrations qu'ils produisent. Lorsqu'on apprend quelque chose comme ça, on se sent perdu, on essaye de se documenter, on pose des questions. Il y a un sentiment d'injustice ("pourquoi elle, pourquoi nous ?"), et aussi de culpabilité ("je n'ai pas été foutue de faire un enfant normal"). On veut savoir : est-ce notre faute (gènes, négligence pendant la grossesse ou après la naissance), est-ce un accident (médical ou autre) ? Il faut essayer que ces questions ne deviennent pas une obsession. Savoir ou pas ne change rien au résultat : le handicap.
Mon mari a toujours gardé une attitude sereine, me rappelant sans cesse qu'elle était belle, en pleine forme. J'ai commencé à me dire qu'il y avait pire. C'est un piètre façon de se consoler, mais on fait comme on peut !
J'ai fini par accepter que ce n'était pas un rêve dont j'allais m'éveiller. Alors une sorte de déprime s'est installée. Je n'avais envie de rien, les journées se suivaient et se ressemblaient. Dans le même temps, j'étais consciente que l'épanouissement d'Erika passait par ma propre sérénité vis-à-vis de son problème. C'est là que la relation d'allaitement a joué un rôle essentiel comme facteur de guérison (la mienne bien sûr !), car là où il n'y avait ni envie ni force de rien d'autre, il y avait ce contact peau à peau. Petit à petit, je me suis rendu compte qu'il n'y avait rien de changé, que c'était le même bébé, que c'était la prise de conscience du handicap, et non le handicap lui même, qui avait perturbé quelque chose.
Et puis, tous les professionnels de santé auxquels Erika avait affaire me disaient qu'elle n'avait pas du tout l'attitude qu'ont en général les enfants sourds profonds : une sorte de renfermement sur soi, un peu comme autistes. Elle, au contraire, était épanouie, éveillée, ouverte à tout, nous interpelant sans cesse. Je suis sûre que c'est grâce à l'allaitement et au "maternage de proximité" qui va avec.
Pour un enfant sourd, l'allaitement comporte des bénéfices particuliers. Tout d'abord, il offre à l'enfant, par notre sein et la caisse de résonance de notre corps, l'un de ses premiers rapports avec les vibrations de la voix, d'autant plus accessible qu'il est lié au plaisir. Ensuite, lorsqu'on allaite, on regarde le bébé. Or les interactions par le regard sont la base de la communication avec l'enfant sourd. Un enfant "peu regardé" pourra avoir tendance à détourner son regard, rendant très difficile la communication. Troisièmement, l'allaitement éveille en la mère une grande capacité d'écoute, une disponibilité, une sensibilité aux messages non-dits du tout petit. Cela contribue à un développement psychologique harmonieux de l'enfant sourd, qui sinon se sent "largué" et a tendance à se renfermer sur lui même.
Enfin, personnellement, cela m'a aidée car j'ai naturellement tendance à n'aimer que ce qui est beau, normal. Il m'est difficile d'avouer cela. Mais je crois que beaucoup de celles qui ont des enfants hors-normes ont dû éprouver ce sentiment, si peu que ce soit. Cela semble monstrueux, et c'est pourquoi il est si difficile de nous l'avouer. Inutile d'évoquer les dégâts que ce sentiment peut provoquer dans le comportement de la mère – ne serait-ce qu'une forme d'indifférence – et par conséquent chez l'enfant. Je pense que sans l'allaitement et le maternage de proximité, j'aurais eu du mal à chérir Erika, et j'aurais pu lui dispenser un maternage certes responsable, mais froid et distant.
Aujourd'hui, Erika a presque 2 ans. Je ne sais pas quelle sera sa préférence : oralisme ou langue des signes. En attendant, j'essaye de la "baigner" de communication tous azimuts : je parle en articulant et j'accompagne la parole de gestes inventés ou existants, ainsi que des expressions du visage et des mouvements du corps qui vont avec. Je pense aussi qu'il faut continuer à parler, à chanter à un bébé sourd. Aucune importance s'il entend ou pas : c'est le reste qui passe, le met en situation de communication, et lui donnera plus tard envie de communiquer. (Allaiter aujourd'hui n° 24)
Livres sur le handicap
- Monique Cuilleret, Trisomie 21, aides et conseils, Ed. Masson.
- Claude Della-Courtiade, Élever un enfant handicapé, Ed. E.S.F.
- Dr D. Smith, L'enfant trisomique 21, Le Centurion.
- Marta et Estela Maglio de Martin, Sindrome de amor (Argentine).
- Janine Lévy, Le bébé avec un handicap, de l'accueil à l'intégration.
- Jacqueline Perrin, Herbe de vie. Lettre à mon enfant autre, Le Souffle d'or, 1993.
- Clotilde Noël, Tombée du nid, Pocket, 2017.
- Clotilde Noël, Petit à Petit, Salvator, 2016.
- Caroline Boudet, La vie réserve des surprises, Le Livre de poche, 2017.
Des albums pour les enfants (qui aident à vivre son propre handicap et surtout à accepter le handicap de l'autre)
- Valérie Paulin et Chantal Pétrissans, Histoires de Tilou, petit kangourou handicapé, Mame, 1992.
- Martine Delerm, La petite fille incomplète, Ipomée-Albin Michel, 1991.
- Gunilla Berström et Pierre Gamarra, Les fariboles de Bolla, Ed. La Farandole, 1981.
- Marie-Hélène Delval et Susan Varley, Un petit frère pas comme les autres, Bayard-Poche, 1993.
- Marie-Laure Rozan, Ondine, dépêche-toi de marcher, Albin Michel, 1992.
- Carolin Pistinier, Clara et Bérénice, Kaléïdoscope, 1995.
- Iséo et l'enfant trisomique, Collection bande dessinée médicale, Ed. Chanu, Lyon.
Romans pour enfants et adolescents
- Sylvia Cassedy, Morton, l'enfant différent, Livre de poche, 1989.
- Marie Dufeutrel, L'Été Jonathan, Rageot-éditeur, 1991.
- René Pillot, Le Guignol du fond de la cour, La Farandole, 1993.
- Véronica Robinson, David l'étrange, Castor Poche, 1980.
- Betsy Byars, Balles de flipper, Castor Poche, 1984
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