Ce dossier a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 58, LLL France, 2004
Quand une femme met son premier bébé au sein pour la première fois, et quand elle continue à le faire jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, elle le fait dans un certain environnement. Et cet environnement, selon qu’il est plus ou moins favorable et soutenant, va souvent faire en sorte que l’expérience d’allaitement soit une réussite ou un échec.
On peut imaginer la mère allaitant son bébé comme le centre de cercles concentriques de plus en plus larges, chacun de ces cercles jouant son rôle dans le soutien (ou le non-soutien…).
Au centre : la mère et son bébé
La naissance d’un bébé, surtout si c’est le premier, est pour toute femme un moment de grand bouleversement psychique, de grande vulnérabilité. Il n’en reste pas moins que si, au départ, la femme a une assez bonne confiance en elle, elle part évidemment avec plus d’atouts.
Toutes les études faites sur le sujet ont montré l’impact du niveau de confiance en elle-même de la mère sur la réussite et la durée de l’allaitement. Une de ces études a été faite sur 300 femmes australiennes recrutées pendant le dernier trimestre de leur grossesse (1). On les a interrogées à leur entrée dans l’étude, puis une semaine et quatre mois après l’accouchement, pour notamment évaluer leur niveau de confiance en elles à l’aide d’une échelle d’évaluation (la Breastfeeding Self-Efficacy Scale). 92 % d’entre elles ont commencé à allaiter, mais à 4 mois, elles n’étaient plus que 52 % (dont 28,6 % qui allaitaient exclusivement). La principale raison donnée pour le sevrage était la conviction de ne pas avoir assez de lait. Les mères qui avaient eu des scores élevés à l’échelle d’évaluation étaient plus nombreuses à allaiter exclusivement à 1 semaine et à 4 mois que celles qui avaient eu des scores bas.
Le premier cercle : le père
On ne saurait trop insister sur le rôle du compagnon dans la réussite de l’allaitement, que ce soit pour son initiation ou pour sa poursuite (2). Une étude portant sur 245 mères de Pennsylvanie a par exemple montré que parmi les raisons données pour ne pas allaiter, 36 % indiquaient l’opinion du père du bébé. D’ailleurs, les campagnes récentes de promotion de l’allaitement maternel intègrent cette donnée, quand elles ne se concentrent pas exclusivement sur les pères (comme par exemple en Grande-Bretagne).
Dans l’enquête commandée par LLL France à l’Institut des mamans en 2002 (3), les mères qui avaient allaité ou étaient encore en train d’allaiter qualifiaient l’attitude du papa de « très favorable » à 62,21 %, de « favorable » à 26,55 %, d’« indifférente » à 7,07 % et de « négative » à 1,39 %. Les résultats auraient sans doute été très différents chez celles qui n’avaient pas allaité.
Qu’est-ce qu’un père soutien de l’allaitement ? C’est un homme qui a compris que ce dont sa compagne a le plus besoin, c’est d’une enveloppe protectrice et aimante du couple allaitant, une barrière contre un entourage souvent critique, un regard admiratif et approbateur sur ce qu’elle fait pour le bébé.
Mères, belles-mères… et toute la famille
Cette barrière protectrice, elle doit souvent s’exercer d’abord face aux grands-mères, qui sont d’une génération où l’on allaitait peu ou alors d’une façon particulièrement rigide (tétées toutes les trois heures, pas de tétées de nuit,etc. (4)), et qui donc non seulement ne vont pas soutenir leur fille ou belle-fille dans son allaitement, mais risquent fort de le saboter, plus ou moins consciemment.
Une étude faite en 1995 à Newcastle (Grande-Bretagne) pour savoir comment on peut prévoir les femmes qui arrêteront rapidement d’allaiter, est d’ailleurs arrivée à cette conclusion étonnante : « Nous avons découvert que le point le plus important est : combien de fois voyez-vous votre mère ? Plus on la voit, moins on est susceptible d’allaiter » !
Les rassemblements familiaux au moment des fêtes peuvent être des moments particulièrement éprouvants si l’on est la seule femme de la famille élargie à avoir allaité et à allaiter encore. Mieux vaut s’y préparer, imaginer à l’avance des répliques qui, sans être agressives, couperont court à la critique. Et savoir que, là comme ailleurs, plus on est sûre de ce qu’on fait, moins on attirera de remarques négatives.
Copines, ami(e)s, voisin(e)s, collègues, employeurs…
La même stratégie vaut aussi pour eux. Il faut savoir que l’allaitement n’est pas un sujet neutre dont on peut parler comme on parle de l’émission de télé de la veille au soir ou de la mode du printemps prochain. L’allaitement renvoie chacun (y compris les psys ! Voir l’interview du Pr Soulé) à sa propre histoire de bébé allaité ou pas allaité, de mère ayant allaité (avec succès ou pas) ou n’ayant pas allaité, de père d’enfants allaités ou pas allaités. Or, comme l’a dit le Pr Soulé au 5e Congrès de maternologie, « quoi qu’on pense ou dise des divers modes d’allaitement et de leur interchangeabilité, l’image d’une mère allaitant son bébé reste toujours la représentation idéale de la bonne mère ». Rien d’étonnant donc à ce que cette vision suscite regrets, jalousies, culpabilité et souvent agressivité…
À la mère donc d’essayer de se faire des alliés autour d’elle. Un exemple : son employeur, si elle a repris le travail. Avec un peu de documentation sur les effets bénéfiques de l’allaitement pour la santé de l’enfant, elle peut assez facilement lui montrer que si elle continue à allaiter son bébé, elle aura moins besoin de congés pour enfant malade…
Des professionnels de santé amis de l’allaitement
Chez nous, le rôle des professionnels de santé dans le succès ou l’échec de l’allaitement est particulièrement important. Manquant de formation initiale sur le sujet (deux heures dans les études d’un médecin généraliste), ils n’ont trop souvent comme « solution », face à un problème quel qu’il soit (voire pas de problème du tout), que de préconiser l’arrêt de l’allaitement. Combien voit-on par exemple d’allaitements précocement avortés parce que le médecin a prescrit à la mère un médicament qu’il pense incompatible avec l’allaitement ?
Le Dr Jack Newman, responsable d’une consultation d’allaitement au Canada, a écrit un texte pour aider les mères à « reconnaître qu'un professionnel de santé ne soutient pas l'allaitement ». Il commence ainsi : « Tous les professionnels de santé disent soutenir l'allaitement maternel. Mais beaucoup le soutiennent uniquement lorsque cela se passe bien et encore, pas toujours. Dès que l'allaitement maternel, ou tout autre chose dans la vie d'une jeune mère, ne se déroule pas parfaitement, beaucoup trop d'entre eux préconisent le sevrage ou les compléments. Voici une liste partielle d'indications vous permettant de savoir si un professionnel de la santé soutient ou non l'allaitement maternel ou du moins suffisamment pour qu'en cas de problème il (elle) fera les efforts nécessaires afin de vous aider à continuer l'allaitement. » (5)
Il faut quand même dire que les choses s’améliorent depuis quelques années, que de plus en plus de professionnels de santé, se rendant compte de leur manque de formation, décident de se former/s’informer (6), que de plus en plus d’établissements demandent à être formés, voire cherchent à obtenir le label « Hôpital ami des bébés ».
Trouver un professionnel de santé vraiment bien formé en allaitement maternel est malgré tout encore difficile. Il reste alors à en trouver un qui, reconnaissant ses lacunes dans le domaine, soit prêt à remettre en question ses idées reçues.
Tout le monde s’y met
Dans un monde idéal, c’est la société dans son ensemble qui devrait soutenir et entourer la mère qui allaite.
Devrait trouver normal qu’une mère allaite au restaurant ou au supermarché.
Devrait faciliter la poursuite de l’allaitement après la reprise du travail (soit que l’enfant soit gardé sur place et puisse être allaité dans la journée, soit que la mère tire son lait dans de bonnes conditions).
Devrait développer les chambres mère/enfant pour que l’hospitalisation de l’un ou de l’autre ne se solde pas par une séparation et un sevrage obligés.
Devrait organiser la formation primaire des professionnels de santé de façon à ce qu’au lieu de ne pouvoir conseiller que l’arrêt de l’allaitement en cas de problème quel qu’il soit, ils connaissent les solutions pour préserver l’allaitement.
Etc., etc.
Certains pays ont développé une politique dans ce sens, avec des résultats incontestables. Pensons par exemple au Brésil qui, en 1997, a enrôlé jusqu’aux facteurs de la région du Nordeste pour que, après une courte formation dispensée par une consultante en lactation, ils puissent donner des conseils en même temps qu’ils distribuent le courrier !
Communautés de mères
Faute de trouver le soutien nécessaire dans leur entourage, les mères peuvent le trouver dans les multiples réseaux qui regroupent des femmes allaitantes : groupes de mères, dont les groupes LLL au premier chef, groupes de parole dans certaines PMI, communautés virtuelles sur Internet… Toutes les études sur le sujet ont montré l’efficacité de ce genre de soutien pour le succès de l’allaitement dans la durée. C’est d’ailleurs pour cela que la 10e des « conditions pour le succès de l’allaitement maternel » (OMS/Unicef) est : « Encourager la constitution d’associations de soutien à l’allaitement maternel et leur adresser les mères dès leur sortie de l’hôpital ou de la clinique ».
En attendant le jour où toute la société sera devenue un groupe de soutien pour la mère allaitante, les associations de mères ont encore de beaux jours devant elles !
Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau
(1) R Blyth et al, Effect of maternal confidence on breastfeeding duration : an application of breastfeeding self-efficacy theory, Birth 2002 ; 29(4) : 278-84.
(2) Voir AA n° 48 sur les pères et l'allaitement.
(3) www.institutdesmamans.com
(4) Voir AA n° 54 sur l'allaitement au XXe siècle.
(5) Comment reconnaître qu'un professionnel de santé ne soutient pas l'allaitement, feuillet n° 18.
(6) Notamment par la revue Dossiers de l’allaitement. Voir aussi le DIU lactation humaine - allaitement maternel, les formations à l’examen de consultante en lactation, le site lecrat.fr
La transmission du savoir-faire - surtout pour le premier enfant - est un moment d’épreuve, selon la capacité de la nouvelle grand-mère à faire passer une expérience que la jeune mère n’a pas encore acquise, et selon la capacité de celle-ci à accepter les leçons de sa mère, ou à savoir s’en démarquer lorsqu’elle en ressent la nécessité […]
L’allaitement est, de ce point de vue, une épreuve cruciale, comme le rappelle Louise L. Lambrichs dans son adresse imaginaire au nouveau-né : « Un moment, j’ai pensé que je n’aurais jamais assez de lait pour te rassasier, je me suis même rêvée – tu vas rire – tonneau de Danaïdes. Je voyais mon lait se répandre en vain sur le lit, sur les draps, sur le sol, ce spectacle me désespérait et quand je te mettais au sein, il n’y avait plus rien […] D’autant plus allègrement que ma mère s’est tout de suite mise en tête de me convaincre d’abandonner. « Pourquoi ne le nourris-tu pas au biberon ? C’est tellement plus simple. D’ailleurs avec toi, c’est ce que j’ai fait et tu ne t’en portes pas plus mal. » Je me suis sentie mauvaise mère parce que j’avais fait un choix différent […] Elle a hésité avant de poursuivre : « Et d’ailleurs, ce que me disait ma mère : si tu veux garder de beaux seins, évite d’allaiter. » Ainsi, non seulement mon choix rompait avec la tradition […] mais de plus je m’exposais à devenir laide et indésirable. J’ai beau savoir qu’il s’agit là de superstition sans fondements, qui changent à chaque génération, ça ne m’a pas aidée. Heureusement, j’ai trouvé autour de moi d’autres soutiens. »
Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich (Mères-filles : une relation à trois, Albin Michel)
Voir la brochure L'allaitement maternel. Votre soutien est précieux, à télécharger dans le dossier Père et famille du bébé allaité.
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