Ce dossier a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 94, LLL France, 2013
Devenir mère ne consiste pas seulement à « faire sortir » le bébé.
Pendant le travail se déroule toute une séquence hormonale très complexe, qui permet à la mère et au bébé d’endosser leurs nouveaux rôles avec confiance et enthousiasme. Si cette séquence est trop perturbée, cela peut rendre plus difficiles les débuts de la maternité et de l’allaitement.
Dire cela n’est pas nouveau. Il y a plus d’un demi-siècle, quand La Leche League a démarré, la plupart des mères étaient en fait inconscientes pendant l’accouchement.
Quand elles se réveillaient de l’anesthésie, on leur fourrait dans les bras un bébé fraîchement nettoyé et déjà habillé qu’elles devaient supposer être le leur. Ce n’était pas très excitant, mais elles étaient persuadées que c’était préférable à la douleur d’un accouchement non médicamenté.
Les femmes qui ont créé La Leche League étaient, elles, intéressées par les accouchements non médicamentés, avec présence du père, souvent à domicile, que préconisait le tout nouveau mouvement pour une naissance naturelle. Elles découvraient que la naissance pouvait être exaltante. Elles découvraient également que l’allaitement était beaucoup plus simple et disons naturel après un accouchement plus simple et plus naturel.
Mais quelque part sur le chemin, nous nous sommes retrouvées à nouveau sur cette « route de la naissance médicalisée ». Aujourd’hui, les femmes sont généralement conscientes pour la naissance, mais la majorité d’entre elles reçoivent des médications – comme par exemple la péridurale – qui les empêchent de ressentir le travail et l’accouchement. Et malheureusement, une naissance médicalisée a tendance à perturber le sens de la maternité des femmes et à gêner la capacité des bébés à téter facilement, tout comme dans les années 1950.
Alors, peut-on quand même allaiter après avoir subi l’une de (voire toutes) ces interventions ? Absolument !
Avancer après une naissance difficile
Si vous avez l’impression que ce qui s’est passé pendant l’accouchement gêne l’établissement de votre relation avec votre bébé, vous n’êtes pas la seule. La plupart des femelles mammifères vivent des difficultés de ce genre si elles n’ont pas éprouvé de sensations pendant le travail ou la naissance, ou si l’expérience a été anormalement traumatique, ou si le petit leur est enlevé.
Beaucoup de bébés humains ne prendront pas le sein après une naissance difficile, et certaines mères ne sont même pas sûres d’avoir envie qu’ils le prennent. Cela s’explique sur un plan biologique : la naissance ne s’est pas déroulée de la façon dont elle « aurait dû » se passer, si bien que ni le bébé ni la mère n’ont bénéficié des gestes et des hormones qui aident à ce que l’attachement se fasse immédiatement.
Votre bébé et vous avez besoin de vous reconnecter d’une manière fondamentale. Voici quelques idées pour accélérer le processus :
– cela peut aider que votre bébé reste avec vous 24 h sur 24, même si vous n’avez pas encore l’impression de vouloir être avec lui. La familiarité engendrée par le fait d’être ensemble va aider vos corps à se reconnaître l’un l’autre à un niveau primal. Votre bébé va vous plaire de plus en plus. Petit à petit, vous allez trouver en lui de plus en plus de raisons de l’adorer ;
– passez le plus de temps possible en peau à peau avec votre bébé. Humez-le, sentez-le, caressez-le, savourez-le ;
– vous pouvez prendre un bain chaud avec lui, aux chandelles, rien que vous deux et personne d’autre. Caressez-le, massez-le, tout en profitant de l’eau apaisante. Admirez sa merveilleuse peau, bécotez-le, embrassez ses petits orteils. Laissez-le téter s’il peut et veut téter, pendant que vous vous prélassez dans le bain ;
– essayez de tenir votre bébé et de regarder son visage tandis que des ami(e)s ou parent(e)s vous font un massage relaxant des pieds, du crâne, des épaules, du dos, partout où ça vous fait du bien. Laissez-vous envahir par la sensation, et ouvrez-vous au plaisir. Tout cela aide la production d’ocytocine, l’hormone de l’attachement ;
– décidez de certaines choses pour votre bébé : ce qu’il va porter comme habits, comment le tenir, comment le réconforter. Assumer des responsabilités pour lui va vous aider à vous sentir plus maternante ;
– si votre bébé ne prend pas le sein, sachez que c’est temporaire, essayez d’être patiente, de ne pas paniquer. La plupart des bébés finissent par y arriver.
La naissance vous appartient
Si tout ce que vous ne vouliez pas s’est produit, ou si votre accouchement n’a juste pas été ce que vous espériez, c’est quand même votre histoire et celle de personne d’autre. Cette histoire, vous voudrez probablement la raconter un jour en détail à une amie chère, ou peut-être même à votre enfant. À un moment – même des années plus tard – il pourra être utile de l’écrire. Les bons et les mauvais côtés, ce que vous avez vu, ce que vous avez fait, comment vous vous êtes sentie. Votre histoire vous deviendra précieuse exactement pour ce qu’elle est : le début de votre vie commune avec votre enfant.
Il y a vraiment une vie après l’accouchement, et elle sera vraiment merveilleuse (la plupart du temps). Quelle que soit la façon dont s’est passée la naissance, pour la plupart des mères et des bébés, l’allaitement finit par marcher. L’Art de l’allaitement maternel vous expliquera les bases pour maintenir votre lactation, bien nourrir votre bébé, et faire de vos seins un bel endroit où vous et votre bébé récupérerez des éventuelles blessures de la naissance et apprendrez l’allaitement. Vous avez devant vous plein de jours heureux.
Traduit de The Womanly Art of Breastfeeding, huitième édition, 2010.
Quelques lectures
Isabelle Brabant, Vivre sa grossesse et son accouchement, éditions Chronique sociale, 2003.
Au coeur de la naissance, sous la direction de Lysane Grégoire, éditions du Remue-ménage, 2004.
Claude Didierjean-Jouveau, Pour une naissance à visage humain, Jouvence, 2007.
Catherine Piraud-Rouet et Emmanuelle Sampers-Gendre, Attendre bébé... autrement, éditions La Plage, 2008.
Sophie Gamelin-Lavois, Préparer son accouchement : le projet de naissance, Jouvence, 2009.
Association Maman blues, Tremblements de mères. Le visage caché de la maternité, éditions L’Instant présent, 2010.
Vanina Caïtucoli, Attendre & accueillir bébé. L’accompagnement, une aide précieuse, éditions Gramond, 2011.
Michel Odent, Le bébé est un mammifère, éditions L’Instant présent, 2012.
Hélène Vadeboncoeur, Une autre césarienne ou un accouchement naturel ? S’informer pour mieux décider, éditions FIDES, 2012.
Quelques études
Ocytocine pendant le travail
Une étude a constaté que l’administration d’ocytocine pendant l’accouchement semblait avoir un impact négatif sur les réflexes primitifs liés à l’alimentation (succion et déglutition), ainsi qu’un impact négatif sur l’allaitement dans la durée.
Olza Fernández I et al, Newborn feeding behaviour depressed by intrapartum oxytocin: a pilot study, Acta Paediatr 2012 ; 101(7) : 749-54.
Selon une autre étude, l’administration d’ocytocine en perfusion pendant le travail a un impact négatif sur la sécrétion endogène d’ocytocine pendant la tétée à J2.
Jonas W et al, Effects of intrapartum oxytocin administration and epidural analgesia on the concentration of plama oxytocin and prolactin, in response to suckling during the second day postpartum, Breastfeed Med 2009 ; 4(2) : 71-82.
Allaitement et péridurale
Une étude faite en 2006 sur plus de 1 200 femmes australiennes a montré que celles qui avaient accouché sous péridurale avaient plus de difficultés d’allaitement dans les tout premiers jours suivant la naissance et deux fois plus de risques d’arrêter l’allaitement au cours des six premiers mois.
Sans démontrer de façon sûre que la péridurale est en elle-même la cause de cet état de fait, l’étude montre que les femmes qui ont accouché sous péridurale ont besoin d’un soutien accru en matière d’allaitement.
Torvaldsen S, Intrapartum epidural analgesia and breastfeeding : a prospective cohort study, Int Breastfeeding J 2006 ; 1 : 24.
En cas de césarienne
On peut bien sûr allaiter après une naissance par césarienne, mais les débuts peuvent être retardés et plus laborieux, et la nouvelle mère aura particulièrement besoin de soutien pour son projet d’allaitement.
Voir l’article paru dans AA n° 65 : Vivre une césarienne et réussir son projet d'allaitement
L’aspiration gastrique
Faite encore quasiment systématiquement dans les maternités françaises, l’aspiration gastrique peut perturber les réflexes qui amèneront le bébé à prendre le sein, voire provoquer une aversion orale, lui faisant rejeter tout ce qui est proche de sa bouche, voire à l’intérieur, dont le sein. Toutes les recommandations récentes en matière d’allaitement déconseillent l’aspiration systématique ou la retardent après la première tétée.
Haute Autorité de Santé, Favoriser l'allaitement maternel. Processus, évaluation, 2006.
Bain réparateur
Dans son ouvrage Complementary and Alternative Medicine in Breastfeeding Therapy, la consultante en lactation américaine Nikki Lee parle de ce bain réparateur (remedial co-bathing) décrit à l’origine par la sage-femme australienne Heather Harris comme un moyen « high-touch and low-tech » de réparer le lien entre la mère et son bébé après un accouchement difficile et un mauvais démarrage de l’allaitement.
Droit des femmes
En mai 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé (jurisprudence Ternovsky) que « le droit relié à la décision de devenir un parent inclut le droit de choisir les circonstances entourant le devenir parent », et donc les conditions de l’accouchement. Cette jurisprudence s’applique dans tous les pays de l’Union Européenne.
Le droit des femmes à choisir les circonstances de devenir
Merci pour tous vos conseils et vos références d'étude. C'est extrêmement intéressant !
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