La différence fondamentale entre un premier allaitement et le(s) suivant(s), c’est qu’on démarre cette nouvelle aventure avec un nouveau bébé, qui n’aura sans doute pas les mêmes besoins, le même comportement, et avec qui s’écrira une toute nouvelle histoire, dans la tranquille confiance que l’allaitement, c’est POSSIBLE, et que, même, ÇA MARCHE.
Il y a vingt et un ans, lorsque je suis devenue maman d’un tout petit garçon plein de force et de vitalité et de colère et de rage et de terreur, trémulant seul dans sa couveuse, nu, maigre avec ses 2 kg de bébé pas fini de cuire, arraché avant l’heure de façon traumatique au ventre de sa mère pour retard de croissance in utero inexpliqué, l’allaitement était pour moi une évidence. Mes seins avaient poussé pour ça depuis l’aube de mon adolescence, dès mes 9 ans, ils s’étaient gonflés, douloureux, encombrants tout au long de la grossesse, ils perlaient de grosses gouttes grasses orangées... Et mon petit garçon hurlant avait, dans les quelques minutes où on nous avait laissés ensemble à sa naissance, retrouvé calme et concentration pour ramper de toutes ses forces, bouche ouverte, vers leurs aréoles foncées... Une évidence, donc. Mais dans une ignorance complète de ses gestes, de ses rythmes, de sa dynamique, et en butte à des diktats aussi impérieux qu’imbéciles et contradictoires. Je croyais que les sachants savaient, et eux aussi, qui m’abreuvaient d’injonctions.
Son petit poids était un obstacle, la forme de mes mamelons aussi, on nous diagnostiquait tout un tas de difficultés insurmontables, en nous laissant seuls et sans aucun soutien. Je savais que l’allaitement DEVAIT fonctionner, que la nature ne pouvait pas avoir failli au point de ne pas permettre son succès. Mais le doute s’instillait quand, tout autour de moi, on s’ingéniait à me présenter le biberon comme une fatalité immémoriale : chez les Romains (et même chez les hommes préhistoriques !), il y a TOUJOURS eu des biberons parce que, souvent, ÇA NE MARCHE PAS. L’Histoire avec un grand H était convoquée pour me consoler. Elle a l’habitude, bonne fille, d’être sommée de comparaître en outil marketing de la meilleure invention de la science pour sauver les bébés de l’incompétence maternelle : le biberon et ce qu’on met dedans, les substituts, quoi...
Mais mon corps résistait, indocile, rebelle, et mes seins coulaient, coulaient, imbibaient des serviettes-éponges... Au moins, on ne pouvait pas me dire : « Et puis, tu vois, tu n’as pas de lait. » C’est la seule chose qui m’a permis de tenir, de tenter encore et encore, de batailler, de m’écouter et d’écouter les besoins de mon bébé qui voulait les bras de sa mère, et son lait.
Mais qu’aurais-je fait sans cette manifestation indubitable et généreuse, sans tout ce lait ? Il est tellement facile de saper les décisions, les élans, les envies d’une jeune mère, de sabrer sa volonté en arguant de son manque de motivation devant les insurmontables difficultés provoquées, accumulées, amoncelées par toutes ces pratiques délétères et ces conseils ineptes...
Alors, oui, ce qui change quand on tient pour la première fois son deuxième enfant dans les bras, c’est l’absolue certitude que l’allaitement, c’est POSSIBLE. Certitude acquise au fil des mois de vécu incontestable et qui aura forgé, enfin, une confiance dans sa capacité à être mère, une confiance dans des compétences maternelles expérimentées et que nul ne pourra nier. Curieux, n’est-ce pas, comme l’attitude des soignants en maternité change entre une primipare et une multipare ! La maman dont c’est le deuxième enfant a-t-elle acquis de l’expérience, un savoir-faire, ou de l’esprit critique ? En tous cas, on la laisse bien souvent plus tranquille... quitte parfois à la laisser seule face à des difficultés qu’elle n’aura pas connues avec l’aîné.
Cette confiance en soi gagnée au fil des mois de soins au premier-né, elle se manifeste aussi dans la vie quotidienne : à chaque réunion LLL ou presque, un éclat de rire ponctue l’incrédulité des jeunes primipares face à l’incroyable aisance des mamans de plus d’un enfant qui arrivent à se doucher tous les jours ! Au premier enfant, on a toutes été incapables d’accomplir les gestes de la vie quotidienne, accaparées que nous étions par un petit être qui monopolisait toute notre énergie et tout notre temps. Et soudain, lorsqu’un deuxième enfant arrive, on s’aperçoit qu’on a acquis une telle maîtrise que tout paraît plus simple alors qu’il y a maintenant deux enfants !
Je pense que cette maîtrise, c’est celle des priorités : on a appris à dégraisser. Sérieusement. Dans l’urgence absolue de reprendre pied. Et nombre de tâches qui n’étaient pas vitales ont été arbitrées, abandonnées purement et simplement dans une gestion quotidienne plus efficace.
Ça aussi, c’est un sacré changement entre le premier allaitement et les suivants, comme la liste des choses à emporter en déplacement qui se réduit au fur et à mesure que la famille s’agrandit... Parce que l’énergie est concentrée sur l’essentiel !
Ce qui change aussi, avec cette aisance acquise, c’est qu’on devient capable de donner le sein partout parfaitement sereinement. L’allaitement est un choix, posé, assumé, et si au premier on craignait de choquer, désormais, c’est l’urgence qui prime : avec plusieurs enfants à gérer, pas question de faire face à des pleurs de nouveau-né, il aura le sein avant qu’il le réclame ; et s’il a le temps de réclamer, ce sont ses frères et sœurs qui protesteront pour lui, histoire de faire un peu plus de bruit : « Maman, le bébé veut téter ! »
Je me souviens de ma gêne à allaiter un bambin, je me souviens d’être rentrée en tram à l’appartement pour ne pas donner le sein à mon petit de 18 mois dans un jardin public à Zurich. Et cela me paraît tellement loin que c’en serait presque incompréhensible si je n’avais pas le souvenir physique de la gêne éprouvée des regards posés sur nous (j’avais déjà des commentaires sur le sling plusieurs fois par jour), simplement à cause de notre proximité physique jugée trop grande... La gêne de mon incertitude face à l’image de moi, qu’il m’a fallu quelque temps pour mieux dompter, apprivoiser, apaiser... Depuis, je suis devenue maman, et même MÈRE DE FAMILLE NOMBREUSE, et j’ai su donner le sein à mes petits partout sans inquiétude, et dans une grande paix, sans gêne ni honte, simplement du bonheur, d’être ainsi à ma place de maman répondant aux besoins de son petit... Il faut parfois du temps pour oser affirmer ses choix et les vivre simplement, sans ostentation mais joyeusement. Et de fait, jamais je n’ai rencontré un seul regard hostile ou commentaire désobligeant.
J’aime à croire que c’est cela qui change entre le premier allaitement et les suivants : la simple certitude de vivre un moment très précieux, de grand bonheur, et de savoir mieux le savourer que dans l’inquiétude de la première fois.
Et aussi, en résumé : confiance en soi, confiance en la possibilité de l’allaitement, capacité de se concentrer sur l’essentiel, et moindre fragilité aux commentaires et injonctions.
Flore Marquis-Diers
Voir aussi la tribune de Diane Wiessinger parue dans Allaiter aujourd’hui n° 103, « Des tétées à horaires planifiés »
Les 7 différences entre l’allaitement du premier bébé et l’allaitement du dernier
Traduit de 7 Differences Between Breastfeeding the First and the Last Baby, de Samantha Rodman (son blog : www.drpsychmom.com)
Comme tous les aspects du maternage, l’allaitement évolue avec le temps. La façon dont j’allaite mon troisième bébé est très différente de celle dont j’ai allaité le premier.
Parlons donc des différences entre l’allaitement du premier bébé et l’allaitement du dernier (nous sauterons celui du milieu – depuis le temps, il devrait y être habitué...).
1. Horaires
Premier bébé : Vous essayez d’allaiter toutes les deux-trois heures. Vous tirez votre lait de façon planifiée. Vos seins s’engorgent juste au moment où le bébé devrait téter : 7 h, 9 h, 11 h 30, 13 h, 16 h, et 19 h. Même chose la nuit.
Dernier bébé : Vous allaitez selon un horaire connu sous le nom « quand le bébé en a envie ». Ou si vous avez envie de regarder un truc sur le Kindle. Ou si vous êtes en train de lire Bonsoir lune à votre bambin et que vous avez besoin que le bébé se calme. Ou si vous voulez faire la sieste.
2. Pudeur
Premier bébé : Vous avez quelques capes d’allaitement que vous utilisez à tour de rôle. Et même, vous les lavez. Bien que le bébé et vous souffriez de la chaleur et d’inconfort quand vous portez la cape, vous vous sentez gênée d’allaiter sans elle. Jamais vous n’allaiteriez dans, disons un restaurant bondé, sans la cape.
Dernier bébé : Vous avez égaré ou donné toutes vos capes d’allaitement. C’est à peine si vous vous asseyez pour allaiter parce que vous n’arrêtez pas de courir après un autre enfant ; donc l’idée d’ajouter une autre complication à l’allaitement est tout simplement grotesque. En outre, vous trouvez maintenant idiot de mettre votre bébé mal à l’aise parce que quelqu’un pourrait être troublé de vous voir le nourrir. Et donc vous dégainez vos seins sans complexe, comme une étudiante pendant le carnaval, mais plus fréquemment
et devant un public (votre bébé) encore plus appréciateur. Vous avez allaité sans vous cacher au restaurant, au parc de jeux, chez le médecin, chez le marchand de glaces et à l’école maternelle de vos enfants (vous allaiteriez éventuellement dans d’autres endroits, mais vous n’allez plus nulle part).
3. Tétées nocturnes
Premier bébé : Vous élaborez un système compliqué incluant des tétées dans l’obscurité, quelques biberons de votre lait donnés par le papa, et des tétées groupées destinées à apaiser les dieux des réveils nocturnes et à gagner une nuit entière de sommeil ininterrompu. Vous obtenez un certain succès à force de volonté.
Dernier bébé : Vous n’avez pas le temps de tirer ni de faire des tétées groupées. Vous allaitez le bébé quand il veut. Il est dans votre lit la plus grande partie de la nuit, afin qu’il ne réveille pas les autres enfants quand lui se réveille. Vous apprenez à dormir avec le bébé au sein. Vous n’avez pas fait une nuit d’affilée depuis cinq ans. Bientôt le bébé apprendra à dormir sans se réveiller de la nuit. Ou pas.
4. Matériel
Premier bébé : grande bouteille d’eau filtrée, fauteuil berçant avec repose-pieds, coussinets d’allaitement, la cape d’allaitement susmentionnée, hauts d’allaitement, crème pour les mamelons, gélules de fenugrec, tisane d’allaitement.
Dernier bébé : seins, bébé.
5. Activités pendant la tétée
Premier bébé : regarder la télé sans le son ; consulter son téléphone, si possible.
Dernier bébé : manger des repas complets, gérer deux autres enfants, les séparer quand ils se battent, préparer des snacks pour cinq personnes, taper à l’ordinateur, surveiller deux enfants au parc de jeux, faire la queue au parc d’attractions.
6. Le pire de l’allaitement ?
Premier bébé : avoir peur de ne pas avoir assez de lait.
Dernier enfant : avoir peur que l’allaitement s’arrête.
7. Le meilleur de l’allaitement ?
Premier bébé : la proximité avec votre premier précieux et adorable bébé.
Dernier bébé : la proximité avec votre dernier précieux et adorable bébé.
Ce numéro est en vente dans la boutique.
Merci
Magnifique témoignage lu les larmes aux yeux.
Tant d’injonctions, de phrases assassines et culpabilisantes de la part du personnel soignant, de notre entourage, quelle manque de bienveillance.
Il est doux de recommencer l’allaitement et effectivement, se faire confiance!
J'aime beaucoup les deux textes, je me retrouve un peu dans les deux et je rejoins un commentaire vu plus bas, "ah je ne suis pas la seule en fait à ressentir tout ça ?". Je le sais intellectuellement mais je l'oublie aussi, c'est chouette de le voir posé par écrit ici ! Merci beaucoup !
Ce post est très émouvant. Je n'ai qu'un enfant, mais cet allaitement est si précieux. On en est à 7,5 mois d'allaitement, et j'espère qu'il continuera encore longtemps. Je suis heureuse de nous être fait confiance jusque là. Et ça me fait rire car j'ai l'impression d'être à mon troisième allaitement tellement j'allaite partout, tout le temps. Taper à l'ordinateur a l'air plus complexe mais avec un nouveau-né ça doit être simple en effet !
Merci à votre association d'exister, merci pour tous les témoignages et conseils. Chaque mère devrait avoir connaissance de LLL pour se faire confiance et croire en sa capacité à allaiter.
Merci pour ces témoignages
Le dernier m a beaucoup fait sourire et relativiser :)
Je voudrais continuer allaitements mais je tier moin av je fait que du tire-lait
Ce texte me correspond tellement ! J'ai versé quelque larmes en vous lisant. A 3 mois maintenant L'allaitement devient pour moi compliqué, je pense avoir une baisse de lactation et ne trouve aucun moyen pour y remédier. Malgré tout les conseils reçu et mis en pratique, je suis très inquiète pour le futur. Je croise les doigt pour que tout rentre dans lordre
Quel texte!!!! J'ai adoré vous lire. Un pur moment de plaisir. C'est tellement vrai et je dirai même c'est tellement beau . L'allaitement est la plus belle chose du monde. Soyons fière de la force que nous avons de pouvoir le faire.
J'ai souri à chaque ligne ?
C'est exactement ça !
On lâche prise et on fait de notre mieux pour notre dernière petite merveille et ses frères et sœurs.
Ici bébé 4 a deux semaines et j'espère apprécier chaque moment de ce dernier allaitement.
Merci pour ce bel article!
Quel plaisir de lore votre texte!
Cela rassure encore une fois pour se dire "je ne suis pas la seule à vivre ça!"
Merci :)
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