Publié dans le n° 135 d'Allaiter aujourd'hui, avril 2023.
Ce numéro contient de multiples témoignages sur ce sujet. Ils ne sont pas disponibles sur le site et les numéros d'Allaiter aujourd'hui s‘achètent dans la boutique LLL.
Dans une société où les idées reçues sur l’allaitement sont légion, le quotidien d’une mère allaitante est semé de questions autour de la compatibilité de divers gestes et substances avec l’allaitement.
Ce qui touche à la santé en général et aux soins dentaires en particulier ne fait malheureusement pas exception à la règle.
Les consultations dentaires peuvent être réalisées à titre préventif, dans le cadre de contrôles réguliers, ou dans le but de réaliser des soins conservateurs, des restaurations prothétiques, une prise en charge chirurgicale ou des actions à visée esthétique.
Les visites réalisées en urgence pourront majorer l’inquiétude de la mère au sujet de l’allaitement de son enfant, notamment si le professionnel manque d’informations fiables pour l’orienter dans ses recommandations et prescriptions.
Il paraît donc important de faire le point sur les connaissances actuelles et de balayer croyances et informations erronées concernant les situations courantes en pratique bucco-dentaire :
Obturations dentaires
Il existe plusieurs types de matériaux utilisés lorsqu’une obturation dentaire est nécessaire. Ceux utilisés le plus fréquemment sont la résine composite, l’amalgame dentaire et aussi le verre ionomère.
Les résines, biocompatibles, sont considérées comme sûres. Les verres ionomères sont non toxiques et considérés également comme sûrs.
Les amalgames sont des matériaux composés à 50 % d’un mélange de poudres métalliques (argent, étain et cuivre) et à 50 % de mercure. Les obturations à l’amalgame relarguent continuellement des vapeurs de mercure, principalement lors de la mastication et de la consommation de liquides très chauds (8).
Bien que le mercure soit connu pour avoir des effets toxiques potentiellement graves sur la santé (3), aucune étude ne permet à ce jour d’associer la présence de plombages et la survenue de maladies, et il n’y a pas de consensus sur la quantité de mercure qui, relarguée des obturations, serait excrétée dans le lait. Certains l’estiment supérieure aux recommandations de l’OMS ; pour d’autres, elle serait très faible et inférieure à celle engendrée par la consommation de poissons, ou le passage via le placenta durant la grossesse.
Si, pour une mère, le fait d’avoir des amalgames ne contre-indique pas l’allaitement (2,4), il sera malgré tout nécessaire de les éviter, et/ou s’ils sont nécessaires, d’être prudents lors de la pose et de la dépose.
Dès 2014, l’ANSM écrivait, dans un document à destination des patients, qu’elle réaffirmait "sa volonté de voir diminuer de façon importante l’utilisation des amalgames à base de mercure, matériau d’obturation utilisé dans le cadre du traitement de la carie dentaire" (4).
Depuis le 1er juillet 2018, la réglementation européenne impose par ailleurs le recours à d’autres matériaux que les amalgames, notamment chez la femme enceinte et allaitante "à moins que le praticien de l'art dentaire ne le juge strictement nécessaire en raison des besoins médicaux spécifiques du patient".
Le respect des règles énoncées par l’ANSM permettra de limiter l’exposition au mercure des amalgames dentaires lors de leur mise en place ou de leur retrait :
- "Les amalgames dentaires doivent être utilisés sous un conditionnement en capsules prédosées.
- Si le fraisage et le repolissage de l'amalgame sont pratiqués, ils doivent toujours être réalisés sous irrigation, aspiration et autant que possible avec un champ opératoire (digue dentaire).
- Les règles d'hygiène et les bonnes pratiques relatives à l’utilisation des amalgames dentaires doivent être respectées afin de limiter autant que possible la concentration de mercure dans l'atmosphère des cabinets dentaires" (5).
De son côté, la mère pourra, le cas échéant, limiter le relargage de mercure issu des amalgames en évitant la mastication régulière de chewing-gum, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France précisant dans un avis de 1998 que "la mastication de gomme à mâcher augmente transitoirement la libération de mercure par les amalgames ; leur consommation fréquente doit être évitée par les porteurs de nombreux amalgames" (6).
Pose de restaurations prothétiques
Différents types de restaurations prothétiques existent parmi lesquelles les inlay, les couronnes, les bridges, les appareils à armature métallique.
Les matériaux utilisés sont essentiellement la céramique et des alliages métalliques (or, cuivre, nickel, cobalt, chrome). E-lactancia les considère comme non toxiques et sans danger pendant l’allaitement (8).
Extraction dentaire
Aucune donnée ne permet de penser qu’une suspension de l’allaitement soit nécessaire en lien avec l’intervention en elle-même (10).
Blanchiment dentaire
À ce jour, bien qu’il n’existe a priori pas de données scientifiques sur l’utilisation de tels traitements en cours d’allaitement, le produit utilisé, du peroxyde d’hydrogène, agit localement, et l’on sait que son absorption est minime ou nulle. Certains le considèrent comme utilisable pendant l’allaitement (9) tandis que d’autres proposent d’attendre la fin de l’allaitement, dans la mesure où il n’y a en général pas de caractère d’urgence à sa réalisation (10). Le blanchiment sur des dents obturées par de l’amalgame est quant à lui fortement déconseillé (4).
Rayons X
Les radiographies rétro-alvéolaires et panoramiques dentaires sont des examens d’imagerie 2D utilisant des radiations ionisantes. Les connaissances actuelles permettent d’affirmer que les rayons X ne restent pas dans le corps ou le sein, et que la lactation n’est pas impactée par ce type d’examen (1). Aucune suspension de l’allaitement n’est nécessaire dans cette situation.
Cone beam
Le cone beam ou "tomographie à faisceau conique" est un examen d’imagerie 3D utilisé spécifiquement pour l’exploration de la cavité orale. Cette méthode utilise des rayonnements ionisants à partir d’une source conique qui tourne autour du patient pour permettre d’obtenir des images en coupes transverses. Il peut notamment être prescrit lors du bilan pré-implantaire. Comme dans le cas des radiographies 2D mentionnées plus haut, la réalisation d’un cone beam ne nécessite pas de suspension de l’allaitement.
Traitements
Des traitements pourront, si la situation le nécessite, être prescrits à la mère. Il s’agit habituellement d’antibiotiques et/ou d’antidouleurs.
Dans toutes les situations où un traitement est nécessaire, il conviendra pour le professionnel de peser les risques et les bénéfices dans la situation individuelle de la dyademère/enfant. Cette évaluation devrait prendre en compte non seulement les paramètres habituels (bénéfices escomptés, risques associés au fait de ne pas prendre le traitement, effets indésirables connus/attendus…), mais également l’âge de l’enfant allaité et les risques pour la santé de la mère et de l’enfant associés à une suspension ou à un arrêt précoce de l’allaitement.
Antibiotiques
L’amoxicilline est l’antibiotique prophylactique de premier choix en pratique bucco-dentaire (11). Son utilisation, tout comme celle de l’amoxicilline associée à l’acide clavulanique, est considérée comme compatible avec l’allaitement en dehors des situations où l’enfant présente une allergie aux bêtalactamines.
La clindamycine est utilisée en remplacement de l’amoxicilline notamment lorsque la patiente est allergique ou intolérante aux bêtalactamines. Bien que le CRAT recommande d’éviter l’allaitement lorsqu’il ne s’agit pas d’une prise unique, il semble que plusieurs études et organismes (dont l’Académie américaine de pédiatrie) considèrent son utilisation comme compatible avec l’allaitement (12).
D’autres traitements sont susceptibles d’être utilisés dans des situations spécifiques. La plupart sont considérés comme ne nécessitant aucune suspension de l’allaitement, notamment : l’azithromycine, la clarithromycine, la spiramycine. Deux exceptions toutefois :
- la doxycycline : pas de consensus ici encore, puisque le CRAT la considère utilisable lorsque le traitement dure moins d’une semaine, tandis qu’E-lactancia, sur la base d’avis d’experts et de sociétés médicales, la juge probablement compatible si le traitement ne dépasse 3 à 4 semaines.
- le métronidazole : il existe pour cette molécule des points de vue également divergents. Ainsi, le CRAT envisage comme possible l’utilisation du métronidazole pour une durée inférieure à 14 jours, en précisant que chez l’enfant qui ne tète plus la nuit (en cas de monodose), le médicament pourra être pris juste avant la dernière tétée du soir ; E-lactancia, le juge compatible avec l’allaitement dans la mesure où il est utilisé en pédiatrie, mais précise néanmoins qu’il est prudent d’utiliser la dose minimum efficace ou de choisir un autre médicament si l’enfant est né prématurément ou s’il s’agit d’un nouveau-né.
Antidouleurs
Dans l’idéal, un antalgique de palier 1 sera utilisé en première intention. On trouve dans cette catégorie plusieurs molécules considérées comme utilisables en cours d’allaitement, notamment le paracétamol, l’ibuprofène, le kétoprofène, le flurbiprofène, le diclofénac, le célécoxib et l’aspirine (en prise ponctuelle si la visée est antalgique) (15).
Si l’utilisation d’un antalgique de palier 2 est nécessaire, le CRAT propose d’utiliser préférentiellement le tramadol. Dans le cas d’un traitement au-delà des 4 premiers jours après l’accouchement, on privilégiera une durée brève (2 à 3 jours) et la posologie la plus faible possible. La codéïne semble pouvoir être utilisée pour une mère ayant accouché depuis plus de 2 semaines, dans les mêmes conditions que le tramadol (durée brève, posologie aussi faible que possible) (15).
Anesthésiques
Les anesthésiques utilisés en soins dentaires sont habituellement l’articaïne, la lidocaïne et la mépivacaïne. Qu’ils soient associés ou non à de l’adrénaline, ils ne contre-indiquent pas l’allaitement (13).
Les anesthésiques topiques, qui ne sont pas absorbés de manière cliniquement significative au niveau systémique, peuvent également être utilisés (14).
Si la mère a besoin d'une anesthésie générale, elle peut être rassurée sur le fait que ce type d'anesthésie ne nécessite pas de suspension à proprement parler de l'allaitement, et qu'elle peut allaiter son bébé dès lors qu'elle a retrouvé un état de vigilance suffisant pour le ternir et s'en occuper (16).
Autres produits utilisés pour la santé bucco-dentaire
Les bains de bouche ne sont pas absorbés dans la circulation sanguine et peuvent donc être utilisés chez la mère allaitante, tout comme les gels et liquides pour les aphtes, ainsi que les dentifrices fluorés (10).
Vanessa Lasne, animatrice LLL, consultante en lactation IBCLC, assistante dentaire qualifiée
Bibliographie
(1) Working safely with ionising radiation. Guidelines for expectant or breastfeeding mothers, Health and Safety Executive, 01/2015.
(2) Ministère de la santé et de la prévention, "Précautions d’emploi des amalgames dentaires".
(3) Mercure et santé, OMS, https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mercury-and-health
(4) Le mercure des amalgames dentaires : Informations à l’attention des patients sur les amalgames dentaires (ANSM, décembre 2014), https://ansm.sante.fr/uploads/2021/03/11/0b5892a526480ba401d0ccc3fd4ee0e2.pdf
(5) Le mercure des amalgames dentaires, Actualisation des données (ANSM, avril 2015).
(6) Avis du 19 mai 1998 du Conseil supérieur d'hygiène publique de France relatif à l'amalgame dentaire (section des milieux de vie), https://solidarites-sante.gouv.fr/fichiers/bo/1998/98-23/a0231468.htm
(7) Article 10 du Règlement (UE) 2017/852 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 relatif au mercure et abrogeant le règlement (CE) no 1102/2008.
(8) "Dental Filling", E-lactancia.
(9) "Tooth Whitening", E-lactancia.
(10) Dental treatment and breastfeeding, The breastfeeding network.
(11) Prescription des antibiotiques en pratique bucco-dentaire, AFSSAPS, 2011.
(12) "Clindamycin", E-lactancia.
(13) Anesthésie dentaire, CRAT.
(14) "Local anesthesia", E-lactancia.
(15) Antalgiques, CRAT.
(16) "General anesthesia", E-lactancia. Et protocole #15 de l'ABM "Analgésie et anesthésie chez la mère allaitante"
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