La principale caractéristique commune à tous les mammifères est que la femelle sécrète un liquide nutritif spécifiquement conçu pour la nutrition du petit de l’espèce. La sécrétion du lait est un processus qui se déroule de façon parfaitement normale chez au moins 85 % des femmes en post-partum. L’expérience montre qu’avec un soutien adapté, au moins 95 % des femmes peuvent allaiter exclusivement leur enfant.
Pendant la grossesse
Le sein contient un parenchyme tubuloalvéolaire enrobé par du tissu conjonctif et adipeux. Dans le sein de la femme adulte non enceinte et non allaitante, 10 à 15 canaux lactifères vont du mamelon et se divisent pour drainer des lobules. L’unité de sécrétion lactée est constituée d’un lobule. Chaque lobule comprend des alvéoles, tapissées de cellules épithéliales sécrétrices, et entourées de cellules myoépithéliales contractiles responsables de l’éjection du lait. Le tissu conjonctif et adipeux abrite aussi une vascularisation abondante.
Pendant la grossesse, la sécrétion hormonale spécifique de cet état va induire la maturation de l’épithélium sécrétoire et la prolifération de la glande mammaire. Les canaux lactifères s’allongent, leur extrémité se différencie en structures alvéolaires. Les mécanismes contrôlant ce développement chez la femme n’ont pas été explorés, et ce qu’on en sait est fondé sur un mélange de résultats obtenus par des études effectuées sur quelques espèces animales, et par des études in vitro du développement mammaire sur des modèles expérimentaux. Cependant, il y a de nombreuses différences entre les espèces, et les modèles expérimentaux conçus à partir de la croissance du tissu mammaire chez les animaux ne permettent d’avoir que quelques repères pour la croissance du sein dans l’espèce humaine. Les résultats d’une étude de Cox et al sur la mesure de la croissance du sein à l’aide d’une modélisation informatique du sein suggèrent que la croissance du sein pendant la grossesse est régulée par l’hPL. Vers le milieu de la grossesse, la glande est déjà suffisamment développée pour qu’une sécrétion apparaisse, mais ce phénomène de maturation se poursuit jusqu’à l’accouchement.
La lactogénèse est le phénomène selon lequel la glande mammaire développe sa capacité à produire le lait mature. Elle implique une cascade de modifications au niveau de l’épithélium de la glande mammaire. Elle comprend deux stades. Le premier stade se situe pendant la seconde moitié de la grossesse : le sein commence à produire une faible quantité de lait, on retrouve du lactose dans les urines et le sang.
Le moment auquel débute ce stade I (apparition de la capacité à synthétiser les composants spécifiques du lait) n’est pas défini avec précision chez la femme. Des auteurs ont rapporté un début de sécrétion mammaire chez une femme 110 jours avant l’accouchement, et ils n’ont pas observé d’importantes modifications dans les taux de lactose, glucose, potassium, chlorure et azote de cette sécrétion entre le pré-partum et le post-partum immédiat.
Le taux sérique de lactose chez les femmes enceintes augmente vers le milieu de la grossesse, ce qui coïncide avec une augmentation de l’excrétion urinaire du lactose. La présence de lactose dans les urines de la femme enceinte est donc un bon marqueur d’activité de la glande mammaire. L’apparition d’une telle excrétion urinaire était notée entre 15 et 20 semaines de grossesse, ce qui signifie que le premier stade de la lactogénèse débute à cette période chez la plupart des femmes. Les auteurs ont aussi constaté que le taux urinaire de lactose était corrélé au taux sérique de prolactine. Il semblerait donc que la prolactine soit impliquée dans la différenciation des cellules mammaires sécrétrices.
L’établissement de la lactation
Le mécanisme qui déclenche la parturition chez la femme est différent de ce qui a été constaté chez d’autres mammifères, et il reste obscur dans l’espèce humaine. Quoi qu’il en soit, il semble que la chute du taux de progestérone couplée à la présence d’un taux élevé de prolactine soit nécessaire au démarrage du stade II de la lactogénèse. Ce dernier est celui de l’induction d’une sécrétion lactée abondante. Il prend place pendant les 4 premiers jours post-partum ; c’est la « montée de lait ». Il semble que les principaux facteurs impliqués dans le stade II de la lactogénèse soient la préparation de l’épithélium pendant la grossesse, la chute du taux de progestérone (qui s’effondre dans les 4 jours qui suivent l’accouchement), le maintien d’un taux élevé de prolactine, et l’expression du lait hors des seins pendant la période qui suit la naissance. Il est possible que les variations interpersonnelles constatées dans la mise en route de la lactation soient dues à de légères variations dans cette chute du taux de progestérone.
Par la suite, aussi longtemps que les seins seront « vidés » régulièrement, la sécrétion lactée se poursuivra, la production lactée s’adaptant aux besoins de l’enfant grâce à un facteur autocrine sécrété dans le lait par la glande mammaire. La lactogénèse implique aussi un certain nombre de changements dans la perméabilité des ponts intercellulaires, et dans la sécrétion des composants du lait, qui sont excrétés à un taux croissant. Elle peut être vue comme un continuum qui va depuis la sécrétion de colostrum jusqu’à celle du lait mature.
Un certain nombre de facteurs peuvent retarder la montée de lait : rétention placentaire, césarienne, diabète maternel, stress important pendant l’accouchement. L’impact d’une rétention placentaire est lié à la persistance d’une sécrétion de progestérone. En ce qui concerne l’impact de la césarienne, les résultats sont cependant contradictoires. L’impact du stress semble lié au taux de glucose et du cortisol dans le sang du cordon. L’impact du diabète reste plus ou moins inexpliqué.
Prolactine et progestérone
Les mécanismes moléculaires par le biais desquels la prolactine régule la sécrétion lactée ont été largement étudiés, mais ce n’est pas le cas des mécanismes d’action du taux de progestérone, de l'expression du lait, ou des interactions entre ces deux facteurs et de leur impact sur les cellules sécrétrices de la glande mammaire en post-partum précoce. C’est peut-être parce qu’il n’existe aucun modèle in vitro qui imite le stade II de la lactogénèse chez la femme, ou en raison de la complexité des interactions qui prennent place pendant cette période, ou parce que nous avons du mal à percevoir la progression de la fonction mammaire, qui amènera la glande à être pleinement fonctionnelle. Le maintien d’un taux significatif de progestérone (rétention placentaire) inhibe la lactation. La prise d’inhibiteurs de la prolactine (bromocriptine) inhibe aussi la lactation.
L’hypothèse selon laquelle la survenue d’un pic dans la sécrétion de prolactine pendant l’accouchement serait le facteur déclenchant de la lactation est probablement erronée, dans la mesure où la montée de lait ne survient qu’environ 48 heures plus tard. Étant donné l’augmentation du taux sérique de prolactine pendant les tétées, on a longtemps pensé que la sécrétion de prolactine était responsable de la sécrétion lactée. Cependant, des études plus récentes n’ont retrouvé aucune corrélation entre le taux de prolactine et la synthèse du lait à court et à long terme. Certaines mères dont la sécrétion lactée est insuffisante (mais pas toutes) ont un taux sérique bas de prolactine, avec des pics peu élevés pendant les tétées ; certaines de ces mères (mais pas toutes) réagissent positivement au don de médicaments augmentant la sécrétion de prolactine. Mais dans de nombreux cas, le taux de prolactine n’avait aucun rapport avec le manque de lait de la mère. Il semble donc que si la prolactine a un rôle dans la sécrétion lactée, c’est un rôle favorisant, mais non essentiel. D’autres hormones, telles que l’insuline ou les corticoïdes, semblent jouer un rôle dans la lactation en expérimentation in vitro, mais ce qui est observé en pratique est beaucoup plus contradictoire.
La « montée de lait »
La sécrétion lactée, qui est généralement inférieure à 100 ml/jour à J1, commence à augmenter environ 36 heures après l’accouchement, cette augmentation devenant cliniquement nette au bout de 48 heures, et culminant vers J4, où elle est en moyenne 10 fois plus abondante que pendant les premières 24 heures. Cette augmentation quantitative s’accompagne de modifications qualitatives. Le premier changement au niveau de la composition du lait est la baisse du taux de chlorure de sodium et l’augmentation du taux de lactose, pour atteindre des taux similaires aux taux retrouvés dans le lait mature au bout d’environ 72 heures ; ces modifications sont liées à la fermeture des ponts intercellulaires, et non à une modification de la sécrétion mammaire.
On observe aussi une augmentation du taux d’IgA et de lactoferrine, dont les taux sont très élevés pendant les premières 48 heures post-partum. La lactoferrine est synthétisée par les cellules mammaires, tandis que les IgA sont fabriquées par des cellules présentes dans le milieu interstitiel, et sont excrétées dans le lait par transcytose. Le taux lacté de lactoferrine culmine environ 24 heures après celui du taux d’IgA. Le taux de ces deux molécules baisse ensuite en raison de la baisse de leur sécrétion et de l’augmentation du volume de la sécrétion lactée. Le taux d’oligosaccharides est élevé aussi dans le colostrum, puis baisse progressivement pour se stabiliser aux alentours de 1 mois post-partum. Trois composants sont intéressants dans la mesure où leur taux lacté augmente parallèlement au volume de lait produit : le citrate, le glucose et le phosphate libre. Cependant, les variations individuelles du taux de ces trois facteurs sont trop importantes pour que l’évolution de leur taux puisse être utilisée pour évaluer la mise en place de la sécrétion lactée.
Dans la mesure où la baisse du taux de chlorure de sodium est l’un des premiers phénomènes du stade II de la lactogénèse, et que le sodium est facile à mesurer, des études ont évalué l’intérêt de son suivi pour le dépistage des femmes ayant une sécrétion lactée insuffisante. Le suivi de l’évolution du taux lacté de sodium a permis de constater qu’il passait d’environ 60 mmol/l à J1 à 20 mmol/l à J3 chez des mères qui mettent leur enfant au sein régulièrement depuis la naissance. Un taux de sodium toujours élevé à J3 semble être un facteur prédictif significatif de sécrétion lactée insuffisante. Cela soulève cependant diverses questions. Un taux élevé de sodium dans la sécrétion mammaire est retrouvé dans 5 circonstances : la grossesse, les mastites, l’involution mammaire, l’inhibition de la sécrétion de prolactine, et l’accouchement prématuré. Des cas de déshydratation hypernatrémique sévère ont été rapportés chez des enfants allaités lorsque l’allaitement se passait mal. Cependant, lorsque les mères commençaient à tirer leur lait fréquemment, le taux lacté de sodium baissait rapidement. Cela suggère que la mise au sein régulière d’un enfant qui tète efficacement est nécessaire pour induire la fermeture des ponts de jonction intercellulaires, tout au moins chez certaines femmes.
Par ailleurs, d’autres études pour lesquelles les femmes n’exprimaient que 5 à 10 ml de lait à partir de chaque sein ont constaté que le taux lacté de sodium baissait normalement ; cela voudrait dire que la persistance d’un taux élevé de sodium chez certaines femmes serait liée à une autre anomalie ; pour en savoir davantage, il faudrait conduire des études beaucoup plus approfondies.
Toutes les femmes, qu’elles allaitent ou non, présenteront une montée de lait après l’accouchement, en l’absence d’un traitement médicamenteux suppresseur de la lactation. Cela signifie que l’expression du lait n’est pas un facteur nécessaire au déclenchement de la lactation. Si certaines études ont constaté que le démarrage de l’allaitement se passait d’autant mieux que l’enfant était mis au sein rapidement après la naissance, d’autres ont montré que la production lactée n’était pas significativement affectée par la fréquence des mises au sein pendant les premières 24 heures. Cependant, si le lait n’est toujours pas exprimé au bout de 3 jours, la glande mammaire va commencer à involuer, et le risque d’échec de la lactation devient plus élevé. La façon dont les seins sont vidés pendant les premiers jours peut avoir un impact sur la régulation de la production lactée. Une étude a montré que le fait de nourrir l’enfant au lait industriel avant la montée de lait était associé à une montée de lait plus tardive. Une autre a constaté que la fréquence des tétées à J2 était positivement corrélée à la production lactée à J5. Les mécanismes en cause restent encore à étudier chez la femme.
Mécanismes cellulaires de la production lactée
Le lait est un liquide très complexe. Il peut être séparé en deux phases principales : une phase aqueuse et une phase lipidique. Cette dernière représente environ 4 % du volume total du lait, et contient, outre les graisses, des composants tels que le cholestérol, des phospholipides et des hormones stéroïdiennes. La fraction cellulaire du lait représente un très faible volume, qui contient toutes les cellules présentes dans le lait. La caséine forme une phase qui peut être séparée du reste par centrifugation à très haute vitesse ou par précipitation en milieu acide. Ce qui reste après avoir enlevé tous les composants cités ci-dessus est le « petit-lait », qui contient le lactose, toutes les autres protéines, tous les sels minéraux et les oligo-éléments.
La composition du lait mature est globalement similaire chez toutes les femmes, avec uniquement des variations individuelles mineures (en fonction essentiellement de leur alimentation) et suivant le stade de la lactation. Très peu de composants peuvent avoir des taux très variables en fonction de l’alimentation maternelle (vitamines du groupe B, sélénium). Dans l’ensemble, l’apport nutritionnel de l’enfant allaité est quasiment indépendant de l’alimentation maternelle. Le taux de la plupart des composants du lait est régulé et soigneusement contrôlé, afin de permettre à l’enfant d’avoir des apports normaux même lorsque la mère est sous-alimentée. Les principaux composants du lait en quantité sont le lactose (un sucre spécifique du lait), les graisses (essentiellement sous forme de triglycérides) et les protéines. Les mécanismes de sécrétion de tous ces composants restent en grande partie mal connus. Il semble cependant exister cinq voies différentes par lesquelles ils peuvent être excrétés vers la lumière des acini à partir du sang ou du liquide interstitiel.
L’exocytose permet aux protéines, au lactose et à divers composants hydrosolubles de traverser les cellules par le biais de l’appareil de Golgi. La synthèse des protéines débute au niveau du noyau, avec la synthèse de l’ARN correspondant aux protéines du lait. Elles seront ensuite transportées et modifiées par l’appareil réticulo-endothélial. Elles seront aussi utilisées pour la synthèse d’autres composants, comme le lactose.
Les graisses sont collectées dans l’appareil de Golgi, et leur accumulation induit la formation de vésicules lipidiques qui vont s’entourer d’une membrane phospholipidique limitant le volume de ces vésicules pendant qu’elles traversent la cellule. Les ions monovalents, le glucose, l’eau… traversent tels quels les cellules sécrétrices, et sont excrétés au niveau de la membrane apicale. Ce mécanisme est celui dont la régulation est la moins connue. Il semble utilisé par le sodium, le potassium, le chlorure, l’eau et certains monosaccharides, mais pas par le calcium, le phosphate ou le citrate. Seules les petites molécules peuvent utiliser cette voie.
Il existe une transcytose à partir du milieu interstitiel, pour les immunoglobulines par exemple. Ce mécanisme est le mieux étudié pour les IgA, qui sont synthétisées dans l’organisme, ou par des cellules immunocompétentes présentes dans le liquide interstitiel mammaire. Elles sont fixées sur un récepteur spécifique de la membrane basale, et le complexe récepteur-IgA traverse tel quel la cellule pour ressortir au pôle apical ; le récepteur se détache alors de l’IgA, et il est excrété dans le lait. Il semble que de nombreuses autres protéines, hormones, facteurs de croissance… sont excrétés selon la même voie (albumine, insuline, prolactine…).
Enfin, il existe un phénomène d’excrétion paracellulaire pour certains composants plasmatiques et pour les cellules, qui implique le passage de certaines substances entre les cellules. Ce passage n’est normalement possible que pendant la grossesse, et à l’occasion de phénomènes inflammatoires. Après la montée de lait, il est rendu impossible par l’existence de ponts de jonction entre les cellules. Il semble que des cellules immunocompétentes puissent passer entre les cellules par diapédèse, les ponts s’ouvrant pour elles et se refermant aussitôt après leur passage. La survenue d’un phénomène inflammatoire, comme une mastite, induit un relâchement de ces ponts, et un passage des composants du milieu interstitiel vers le lait ; de même, certains composants du lait peuvent alors passer vers le liquide interstitiel. Souvent, on observe alors une augmentation du taux lacté de chlorure de sodium, et une fuite du lactose vers le milieu interstitiel.
De nouvelles technologies sont actuellement testées pour étudier la biologie des systèmes physiologiques complexes, et les cultures de tissus sont de plus en plus utilisées comme modèles expérimentaux. Grâce aux progrès des méthodes d’étude, nous pouvons espérer acquérir, dans un proche avenir, de nouvelles connaissances sur ce qui se passe pendant la lactogénèse à l’échelon moléculaire. Ces études, couplées à des études cliniques, permettront d’obtenir une meilleure compréhension de la lactogénèse chez la femme.
Régulation de la sécrétion lactée
Il est maintenant clair que la sécrétion lactée maternelle s’adapte aux besoins de l’enfant, en dépit des importantes variations constatées dans l’absorption de lait d’un enfant à l’autre, d’un jour à l’autre, et d’une tétée à l’autre chez un même enfant. Les travaux des auteurs ont montré que le degré de « vidange » des seins était fortement corrélé à la rapidité de synthèse du lait à court terme. Les enfants consommaient en moyenne 76 % du lait présent dans les seins, et la glande mammaire pouvait modifier de façon importante sa rapidité de synthèse du lait d’une tétée à l’autre. Par exemple, une mère qui n’avait pas mis son enfant au sein pendant 6 heures d’affilée avait une rapidité de synthèse du lait de 22 ml/heure. Mais si la tétée suivante intervenait au bout de 90 minutes, la rapidité de synthèse du lait était ensuite de 56 ml/heure.
Il semble donc démontré que la glande mammaire peut réguler à court terme la sécrétion lactée, afin de s’adapter au mieux aux besoins de l’enfant. De plus, la rapidité de synthèse du lait n’est pas la même dans les deux seins ; l’un des seins a une rapidité de synthèse plus grande, même s’il est stimulé autant que l’autre, et si le taux sérique de prolactine est le même pour les deux seins.
Le lait est synthétisé en continu, et stocké dans la lumière des ascini. La notion de capacité de stockage des seins a été soulevée pour la première fois en 1954 par Hytten, mais est restée quasiment ignorée jusqu’à l’utilisation de la modélisation informatique pour mesurer avec précision le volume des seins. Les consignes rigides d’allaitement (tétées toutes les 4 heures) en vigueur jusqu’à récemment pouvaient convenir aux femmes qui avaient une capacité de stockage mammaire importante, mais celles-ci ne sont pas les plus nombreuses, tant s’en faut ; on en a déduit que la plupart des femmes ne pouvaient pas avoir assez de lait. On sait maintenant que les femmes qui ont une faible capacité de stockage peuvent parfaitement avoir assez de lait pour peu qu’elles allaitent à la demande. Ces mères pourraient avoir l’impression d’être désavantagées par rapport aux mères qui ont une capacité de stockage importante. Il sera utile de leur expliquer que, sur le plan anthropologique et physiologique, la norme pour le bébé humain est d’être nourri fréquemment.
La quantité de lait produite par une femme allaitant un seul enfant est remarquablement constante partout dans le monde ; elle est d’environ 800 ml à 6 mois post-partum. On observe un volume de 5 à 15 % plus important chez les femmes qui ont une masse grasse très faible, un lait moins riche en lipides, et qui compensent en produisant un volume plus important. Les mères de jumeaux et de triplés peuvent fabriquer suffisamment de lait pour nourrir leurs enfants. L’étude de nourrices utilisant cette capacité pour gagner leur vie a retrouvé que ces femmes pouvaient produire quotidiennement jusqu’à 3,5 litres de lait. D’un autre côté, lorsque l’enfant commence à consommer d’autres aliments, la production lactée baisse en conséquence. Ces phénomènes démontrent que la production lactée est régulée par la demande de l’enfant en fonction de ses besoins.
Prolactine et ocytocine
Deux niveaux de régulation coexistent : la régulation du taux de synthèse du lait, et la régulation de l’éjection du lait. Bien que ces deux niveaux dépendent de la façon dont le sein est vidé, leur mécanisme et leur régulation sont différents. La prolactine agit sur la production du lait, mais son influence est largement modifiée par des facteurs autocrines qui dépendent de la façon dont les seins sont vidés.
L’excrétion du lait est un réflexe neuroendocrine sous la dépendance de l’ocytocine, qui stimule les cellules myoépithéliales, ce qui éjecte le lait vers l’extérieur. Si la sécrétion d’ocytocine est inhibée, l’enfant obtiendra très peu de lait, ce dernier restant dans les acini.
Il existe, chez les hommes comme chez les femmes, un rythme circadien de sécrétion de la prolactine, dont le niveau de base est plus élevé la nuit pendant le sommeil. Pendant la lactation, la prolactine est sécrétée épisodiquement, avec des pics pouvant perdurer pendant 75 minutes, et survenant 7 à 20 fois par jour. Les pics de prolactine semblent donc se superposer, ce qui maintient un niveau basal d’autant plus élevé que les pics sont fréquents. L’amplitude de ces pics est très élevée en post-partum précoce, et elle baisse progressivement ensuite pour devenir faible après 6 mois post-partum. Si on a amplement démontré que la sécrétion de prolactine était directement corrélée à la stimulation des mamelons, il semble y avoir peu de corrélations entre l’importance du taux de prolactine et la quantité de lait produite ; la prolactine semble nécessaire à la sécrétion lactée, mais ne semble pas avoir d’impact sur la rapidité de synthèse du lait et sur le volume produit.
Des études ont permis de constater que le principal facteur de régulation de la synthèse du lait est un facteur autocrine, régulant localement cette synthèse en fonction de la façon dont les seins sont vidés. Cependant, ce mécanisme reste très mal connu.
L’ocytocine permet l’éjection active du lait hors des seins. Elle agit non seulement sur les cellules myoépithéliales entourant les acini, mais aussi sur celles qui entourent les canaux lactifères, ce qui les rétrécit et les élargit. Sa sécrétion est déclenchée par la succion de l’enfant, mais aussi par divers facteurs émotionnels, ou des stimuli auditifs ou visuels (ce qui justifie l’appellation de réflexe neuroendocrine). Un « sphincter » constitué de fibres élastiques et musculaires lisses limite les « fuites de lait » intempestives, et doit aussi agir en cas de blocage émotionnel du réflexe d’éjection (stress).
L’alcool est un puissant inhibiteur du réflexe d’éjection, d’une façon dose-dépendante. Il semblerait que les opioïdes puissent avoir un impact similaire, mais ce phénomène est encore peu étudié. L’ocytocine induit aussi un comportement « maternant ». On ignore quelle est exactement l’importance de cet impact chez la femme ; toutefois, des études ont mis en évidence un indiscutable impact de l’ocytocine sur le comportement et sur certains paramètres biologiques (en particulier sur les réponses hormonales au stress).
Taux lacté de lipides et fréquence des tétées
On sait actuellement que le taux de graisses du lait varie au cours de la tétée. Il est généralement bas en début de tétée, et élevé en fin de tétée. Dans la mesure où les graisses représentent plus de la moitié des apports caloriques, leur taux est un facteur important. La mesure des seins par modélisation informatique rend possible l’appréciation des corrélations entre le taux lacté de graisses et le degré de remplissage des seins. Il a été constaté que le taux lacté de graisses est fonction du degré de remplissage des seins. Par exemple, s’il y a eu un long intervalle entre deux tétées, les seins de la mère sont « pleins » et le taux lacté de graisses en début de tétée sera très bas. En fin de journée, les tétées sont généralement plus fréquentes, les seins sont moins pleins, et le taux de graisses en début de tétée sera nettement plus élevé, au point de pouvoir atteindre, par exemple, le taux obtenu en fin de tétée à la première tétée du matin lorsque le bébé n’a pas pris le sein depuis la veille. Cependant, en définitive, sur une période de 24 heures, la quantité moyenne de graisses absorbée par un enfant était relativement constante, quel que soit le nombre des tétées.
D’un autre côté, la mesure du taux lacté de graisses peut être utilisée pour apprécier le degré de remplissage des seins, puis leur degré de « vidange » à des tétées successives. Pour ce faire, on prélève un peu de lait de début et de fin de tétée, et on le centrifuge dans un tube fin (crématocrite) pour séparer les graisses ; s’il y a peu de différence entre le lait de début et de fin de tétée pour ce qui est du taux de graisses, on peut en déduire que l’enfant n’a absorbé qu’une faible quantité du lait qui était disponible. On a retrouvé des variations importantes dans le taux lacté des graisses d’une mère à l’autre ; il était par exemple en moyenne d’environ 29 g/l chez une mère, contre environ 62 g/l en moyenne chez une autre. Cependant, la croissance des enfants allaités semble davantage en rapport avec le volume de lait maternel consommé qu’avec le taux des divers constituants de ce lait.
Des études évaluant les corrélations entre la sécrétion lactée et la fréquence des tétées chez des mères allaitant à la demande n’ont pas retrouvé de relation significative. Cela peut être dû au fait que c’est avant tout l’enfant qui régule spontanément ses apports. La situation pourrait être différente lorsque la mère tire son lait, et des études ont effectivement montré que les mères d’enfants prématurés qui tiraient leur lait pour leur enfant avaient une sécrétion lactée d’autant plus abondante qu’elles tiraient leur lait fréquemment. Toutefois, les études par modélisation informatique sont venues nuancer ce point de vue. Elles ont montré que toutes les mères ne répondaient pas de la même façon à l’augmentation de la fréquence d’expression, et que la perception des mères ne correspond par forcément à la réalité. Par exemple, chez des mères qui tiraient leur lait, la plus grande quantité était obtenue le matin, alors que la mère n’avait pas tiré son lait de toute la nuit ; pourtant, c’était pendant la nuit que la rapidité de synthèse du lait était la plus basse, en raison de l’absence d’expression. Cela pourra n’avoir aucune conséquence chez des mères qui ont une importante capacité de stockage, mais induire une baisse progressive de la sécrétion lactée chez les autres mères.
Contrôle autocrine
Les études faites sur d’autres mammifères ont montré que la synthèse du lait était contrôlée par un mécanisme autocrine. Le mécanisme spécifique de cette régulation reste à découvrir. Toutefois, ce que l’on sait donne à penser que l’inhibition de la sécrétion lactée lorsque le sein est plein est due non à la distension mammaire, mais à l’augmentation du taux local d’une substance sécrétée par la glande mammaire et excrétée dans le lait. Des études chez les vaches et les brebis ont permis de constater que les acini « vidés » sécrètent activement de l’a-lactalbumine et de l’a-S1-caséine, tandis que des acini voisins non « vidés » sécrétaient uniquement de la lactoferrine, protéine qui est associée à l’involution mammaire. Il semble donc que les acini peuvent ne pas être vidés de la même façon, et ne pas en être au même stade de synthèse du lait, ce qui suppose une régulation très ponctuelle de la sécrétion lactée, acini par acini.
Ce facteur autocrine a été retrouvé chez la femme. Bien qu’il soit difficile à isoler, à purifier et à analyser, certaines de ses actions locales commencent à être connues. Par exemple, il inhibe la synthèse protéique, stoppe la sécrétion des vésicules de Golgi, inhibe la différenciation des cellules sécrétrices, augmente le taux de catabolisme de la caséine, et diminue la fixation de la prolactine lactée sur ses sites cellulaires. Il nous reste toutefois beaucoup de choses à apprendre sur ce facteur. Nous ignorons tout de l’évolution de son taux dans le lait, et savons peu de choses sur son mécanisme d’action. Par ailleurs, d’autres facteurs peuvent aussi intervenir, soit des substances excrétées dans le lait, soit des facteurs physiques, tels que la pression intraluminale dans les acini.
De la lactation au sevrage
Une étude de Hartmann a montré qu’après la mise en route de la lactation, la sécrétion lactée restait relativement stable pendant les six premiers mois post-partum. Le volume des seins diminuait entre 6 et 9 mois post-partum, alors que la production lactée restait constante ; il est impossible de dire si la glande mammaire devenait plus performante avec le temps, ou si les graisses du sein étaient mobilisées. Lorsque le lait n’est plus extrait régulièrement des seins, la glande mammaire va commencer à involuer. La sécrétion va se tarir, les cellules sécrétrices vont être détruites, et la glande va revenir à son statut antérieur à la grossesse. Après le sevrage, le volume du sein redevient similaire au volume antérieur à la grossesse, et la glande mammaire se retrouve dans un état relativement quiescent avec des cycles évolutifs en réponse aux facteurs stimulants et involutifs en action pendant le cycle menstruel.
L’involution de la glande mammaire est la conséquence d’un processus qui est, grosso modo, l’inverse de celui qui avait induit la production de lait. La composition du lait change, avec augmentation du taux de sodium, de potassium et de protéines et diminution du taux de lactose, amenant la sécrétion à devenir similaire au colostrum.
Chez les femmes qui pratiquent un allaitement long et à la demande, le sevrage est progressif et s’étale sur une longue période (sevrage induit par l’enfant). Lorsque l’enfant cesse complètement de prendre le sein, cela a pour résultat une distension de la glande mammaire par le lait, et une atrophie des structures épithéliales. Enfin, la sécrétion lactée cesse totalement, les lactocytes desquament et entrent dans un cycle de mort cellulaire programmée. Il semble que l’involution de la glande mammaire survient beaucoup plus graduellement que chez d’autres mammifères, ce qui pourrait expliquer la relative capacité de relactation chez la femme.
Merci
Pourquoi les hommes adultes sussent les seins aux femmes?
Merci pour cet article de qualité où on apprend beaucoup de choses une façon à la fois claire et sans tomber dans l excès de vulgarisation scientifique.
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